Un mois plus tard...
- Chloé
- 8 janv. 2022
- 20 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 mars 2022

Tu as un mois mon amour, alors il est temps de t’écrire cette fameuse troisième lettre. Surtout parce que j’oublie déjà, et je n’ai pas vraiment eu le temps de noter mes ressentis en détails au début, je le regrette. Alors je me lance avant qu’il ne soit trop tard.
Tout a commencé de travers, ou alors était-ce notre « endroit » à nous. Parce que c’est notre histoire après tout, unique, comme toi, comme moi, comme notre relation mère-fille. « Mère-fille », ces deux mots qui sonnent si fous, si imperceptibles, comme de la magie qui se dissout dans l’air. Je les chuchoterais presque tellement je peine à croire que depuis un mois ils s’appliquent à nous deux.
Dans ma première lettre je te disais que dès que j’ai su que tu t’étais logée au creux de mon ventre j’ai cessé mes lectures, l’écoute des épisodes de podcasts sur la maternité, la parentalité et l’éducation. J’ai eu envie de m’écouter, de nous faire confiance à toi et moi. Je l’ai senti comme une évidence, et puis j’étais relativement fière de cette sérénité. Elle voulait dire que je me sentais capable, suffisamment apte à être ta maman, avec mes outils à moi, quels qu’ils soient. Je croyais surtout que l’amour que je te portais déjà l’emporterait toujours sur les doutes, les questionnements ou la lecture de mille bouquins. Et quelque part je me sentais parfaitement alignée avec mes valeurs, mes convictions et mon envie de t’avoir dans ma vie de voir les choses comme ça et ainsi te les transmettre de cette manière. Se faire confiance et penser que l’amour vainc tout. Je ne pouvais pas deviner que ce ne serait pas si simple, même en ayant lu mille bouquins, surtout en ayant lu mille bouquins en fait !
Depuis ta venue, c’est d’ailleurs peut-être bien mon problème. J’ai lu trop de bouquins, trop de posts Instagram (j’espère que tu n’auras plus accès à ce type de réseau social) sur le post-partum, l’éducation « idéale » à la sauce du 21ème Siècle, et toutes les injonctions que contient cette société qui a un avis sur tout et voit évoluer plus de pseudo experts que jamais. Et surtout de super mamans qui choisissent bien ce qu’elles veulent montrer. Je crois qu’il n’y a pas plus anti-féministe que la maternité couplée aux réseaux sociaux, et je suis tombée dedans. Tu vois, j’ai longtemps hésité à avoir un enfant dans la société actuelle que je ne trouve pas digne de toi, et c’est justement dans cette société de la surinformation, de l’injonction et de la course à la perfection - quand ce n’est pas celle de la comparaison - que je me suis laissée ensevelir par les doutes et la culpabilité. Mais s’il y a bien quelques constantes qui reviennent, que j’avais beaucoup entendues et lues sur le post-partum, ce sont les suivantes : « ça passe vite », « tout évolue, ce ne sont que des phases plus ou moins longues » et « le post-partum est violent. »
J’ai longtemps hésité avant d’écrire cette « lettre » car j’aurais aimé, pensé même, te dire que tout n’était qu’amour et évidence à ta rencontre. Je me suis posée la question de savoir si moi j’aurais aimé lire ça de ma maman. En fait, depuis que je suis moi-même maman, je sais que oui j’aurais aimé. Et je me dis que je me serais peut-être sentie moins coupable de lire ça d’autres femmes, plutôt que des posts militants sur l’allaitement, le congé maternité trop court et le cododo (que je ne remets absolument pas en question, là n’est pas le propos.) Et puis j’espère que si ces mots ne te semblent pas « idéals », tu comprendras que ce qui anime ma sincérité sans filtres aujourd’hui, c’est aussi et avant tout le besoin de crier haut et fort qu’il est temps de mettre un terme à cette culpabilité omniprésente durant le post-partum et après (après tout je n’en suis qu’aux balbutiements de quelque chose de grand qui ne va faire qu’évoluer), et qui touche surtout les mères donc les femmes. Cette culpabilité qui régit tout et s’insinue en nous tel un poison. Si je ne regrette pas d’avoir lu autant de bouquins et m’être autant informée, je vois bien la différence avec ton papa qui lui fait les choses avec instinct sans se poser mille questions parce qu’un jour il a lu ça et le lendemain son contraire. Si j’avais lu moins de bouquins et si je n’avais pas laissé la course à la perfection m’envahir pour que « tout soit parfait » pour toi – n’est-ce pas ce qu’on souhaite tous pour nos enfants (quelle erreur!) - je n’aurais pas aussi mal vécu ta venue qui n’a rien eu de « prévue » et surtout de physiologique. Enfin, écrire cette lettre est incomparable à écrire les deux autres, parce que maintenant tu es là. Ton visage, ton corps, tes habitudes, toi toute entière. Tu es là. Je ne t’imagine plus, je te découvre chaque jour. Ca rend les choses réelles. Cette fois je sais qui va lire ces lettres. Alors c’est un peu de pression. Je ne te décrirai pas ici comment tu es, je garde ça pour une lettre manuscrite personnelle que je partagerai plus tard avec toi, par respect pour ta vie privée.
***
Je me suis retrouvée dans un bloc opératoire quand j’avais imaginé des mois durant (bien avant que tu ne sois au creux de mon ventre) te prendre dans mes bras dans une petite piscine gonflable avec ton papa derrière nous, au coin de la cheminée, et regarder tes grands yeux pleins de sagesse plonger dans les miens pendant des minutes voire des heures, dans la douceur de notre maison et des lumières tamisées. J’avais tellement lu de bouquins sur l’accouchement physiologique que je savais. Je savais à quel point la césarienne n’est pas bonne pour un nouveau-né, c’était impossible de défaire mes connaissances ou prétendre le contraire. Elles ont conditionné ta venue et ma culpabilité. Le poison s’est infiltré très tôt comme tu peux le voir, et la suite n’a pas été qu’amour et évidence quand moi-même j’étais secouée au-delà de l’entendement, avant même d’avoir réellement débuté le post-partum. Voici le début de notre histoire mon amour. Inattendu, secoué, déstabilisant. Je ne suis pas sûre qu’il en soit souvent autrement quoi qu’il arrive et quoi qu'on en dise.
Le jour J, après que tu as été mise dans mes bras dans la chambre de maternité avec seulement ton papa et moi, une fois l’anesthésie complètement évaporée, j’ai eu un pic d’adrénaline comme jamais. T’avoir contre moi, sentir ta peau toute douce, ton odeur de bébé, regarder tes grands yeux, serrer ton petit corps sur ma poitrine où tu t’es nourrie pour la première fois, me dire que tu étais là, enfin, et ne pas vraiment y croire - un peu comme si tu étais le bébé de quelqu’un d’autre - et te présenter aux gens qui nous sont les plus chers et qui t’aimaient déjà infiniment avant même de te voir «en vrai » a été l’un des moments les plus joyeux de ma vie. Et les plus forts.
Et puis la nuit est arrivée. Nous étions déjà épuisés des deux nuits avant l’accouchement et absolument pas préparés ! Tes pleurs ont été comme des couteaux finement aiguisés qui me lacéraient les entrailles. J’ai ressenti une angoisse à nulle autre pareil de t’entendre pleurer sans pouvoir te calmer. Et la nuit a été extrêmement difficile, longue et éreintante. Je ne pouvais presque pas me lever alors je me suis chargée de te nourrir et te réconforter autant que je pouvais depuis mon lit, où tu as dormi avec moi, papa sur son lit pliant à côté, qui a arpenté la chambre et la pièce de change pour soulager tes pleurs, toi qui venais d’atterrir dans un monde nouveau, froid, grand, lumineux, après neuf mois dans un cocon protecteur. Après cette première nuit, je dois t’avouer que la magie s’est quelque peu évaporée. J’imagine que la fameuse chute d’hormones qui arrive après un accouchement et le contre-coup des péripéties inattendues qui lui étaient liées ont joué leur part. La fatigue est venue frapper. Fort, très fort. Tes pleurs de bébé, totalement normaux, me semblaient si difficiles à supporter, comme si tu étais en souffrance et que je ne pouvais t’aider. Heureusement il y en avait peu. Tu vois, je crois même que le souci majeur ces premiers jours a été celui d’avoir pensé qu’en ayant une grossesse calme et sereine, en ayant fait justement très attention à ce que je sois dans un environnement apaisant pour toi pour respecter le fameux dicton culpabilisant « maman zen, bébé zen » j’avais probablement imaginé que tu serais parfaitement apaisée et calme dès ta naissance, comme ces bébés parfaits dont se vantent les parents sans imaginer le mal qu’ils peuvent faire « il ne pleurait jamais », « il dormait tout le temps », « il était tellement calme, tellement apaisé » que je n’arrivais plus à savoir ce qui était normal ou anormal, ce que j’aurais dû attendre de toi. La vérité c’est que je ne devais rien attendre de toi car tu ne me devais rien, encore moins moi qui veux à tout prix t’épargner cette course à la perfection malsaine, menée par une idée insidieuse d’une vie idéale et épurée étalée partout, et fausse. Quelle ironie d’attendre de toi quoi que ce soit alors que je t’ai dit, en étant la plus sincère du monde, que j’avais hâte de te découvrir et que tu pourrais être qui tu voulais avec nous. Une professionnelle de la petite enfance, amie de ma belle-famille, m’a dit que le plus dur en ayant un premier enfant, c’est de faire le deuil de l’enfant imaginé pour rencontrer le vrai. Il est vrai que neuf mois à imaginer un enfant, six dans notre cas à t’imaginer « toi » car on connaissait ton prénom et ton sexe, c’est long pour laisser l’imagination galoper, qu’on le veuille ou non ! Si je t’ai dit que j’avais hâte de te découvrir, je mentirais de dire que ta rencontre ne m’a pas déstabilisée au-delà de l’entendement.
Les jours passés à la maternité ont été plutôt sereins, une bulle. Je me suis parfois sentie enfermée et prisonnière dans ces 15m2 et regarder par la fenêtre à la tombée de la nuit n’était pas toujours le moment le plus heureux de ma journée. J’étais davantage stressée quand ton papa rentrait pour s’occuper de notre chien et de la maison, et que j’étais seule avec toi. J’étais si peu sûre de moi mon amour, si tu savais. Une vraie débutante avec le plus grand rôle de sa vie à jouer. J’étais redevenue une petite fille qui a besoin de validation pour tout mais je faisais, seule, par habitude et par fierté. On a demandé de quitter la maternité plus tôt que le délai réglementaire pour une césarienne, pour être quand même un peu « alignés » avec l’accouchement à domicile dont on avait rêvé, et vite se retrouver en famille dans notre cocon, comme on l’avait tant imaginé. Beaucoup de jeunes parents m’avaient parlé de ce fameux retour à la maison avec son bébé. La beauté de ce moment, l’excitation intense, le bonheur indescriptible. Je m’étais moi-même dit que ce serait l’un des seuls avantages du fait que l’AAD n’ait pas pu se faire. Quelle déconvenue j’ai vécu ! Quitter la maternité a été un périple. J’ai cru que tous nos trajets futurs allaient être ainsi et que je pouvais enterrer tout espoir de ce dont j’avais rêvé durant des mois : t’emmener partout avec nous. Je suis sortie de la voiture la première et je me suis précipitée chez nous. Retrouver notre chien a été le meilleur moment de cette journée et soirée. J’ai pleuré. J’avais imaginé tant de fois ces premiers instants nous quatre à la maison, jamais sans lui, toujours en pensant au bien-être qu’il me procure dans les moments les plus difficiles de ma vie, que le retrouver fut un bonheur indescriptible. Bien plus que de rentrer chez nous avec toi. Voilà la vérité. J’ai été déboussolée ce soir-là comme jamais dans ma vie. La réalité de la situation m’a sauté à la figure à ce moment-là: nous avions une petite fille pour toujours. Notre vie était changée à tout jamais. Aucun retour en arrière possible. Ma liberté n’était qu’une notion éloignée que je retrouverais peut-être un jour, ou jamais. J’ai eu un poing dans l’estomac qui n’est parti que quelques jours plus tard. Mon appétit avait considérablement diminué à la maternité, il a complètement disparu dès notre retour à la maison. Ce soir-là tu as rencontré ton grand-père maternel, je n’en ai même pas profité. Cette rencontre n’a rien eu d’idyllique avec l’infirmière qu’on avait appelée en urgence et au dernier moment pour me faire les piqures que j’avais chaque jour à la maternité, et qui est passée pile quand il venait d’arriver. Cette scène est certainement la plus représentative du post-partum. Il y a ce qu’on attend, ce qu’on imagine durant des mois, il y a ces milliers de photos et vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux de ces retours filmés, mis en scène, idylliques, beaux, heureux, et il y a la réalité. La nôtre notamment. En écrivant cet article un mois plus tard, je souris en me remémorant cette scène. C’est à l’image de la vie je trouve, et de ce que je souhaite que tu en vois. L’inattendu, la façon de se retourner et se dire « wahou, il s’est passé toutes ces choses, si on me l’avait dit ! » C’est encore une très belle leçon.
Pendant une dizaine de jours, j’ai eu ce qu’on appelle un « baby blues. » La violence de ce que j’ai ressenti m’a frappée en pleine face. Avec tout ce que j’avais lu sur la difficulté du post-partum, jamais je n’aurais pensé que ce serait si intense, si difficile, si déstabilisant et surtout si violent. La perte d’identité du jour au lendemain. Passer de seulement Chloé à « maman de... », « maman », « la maman » (aujourd’hui quand certaines personnes demandent de nos nouvelles, elles disent « et comment va la maman? » On n’utilise même plus mon prénom.) C’est anodin, pas voulu et peut-être même censé me faire plaisir pour mettre ce nouveau rôle en valeur. Mais n’empêche que les nouvelles mères ont déjà un peu l’impression qu’elles n’existent plus en tant que femme voire personne, en devenant uniquement maman alors ça remue le couteau dans la plaie. La perte de repères aussi. Le plus violent selon moi. Toute notre vie est sans dessus-dessous, rien ne ressemble à avant dans un décor pourtant identique (la maison, la configuration de la vie (jobs, famille, amis etc.) et le couple.) Tout est à ajuster, réajuster, recommencer. Il n’y a plus de notion de temps. On vit dans une faille spatio-temporelle. On dirait que la vie d’avant n’a jamais existé et qu’il n’y a plus de futur. On ne sort pas, on dort debout, on se sent prisonnier. La fatigue, véritable poison qui s’insinue dans nos veines et vient assombrir des sentiments déjà difficiles et intensifier des ressentis déjà violents, prend aux tripes. Jamais telle fatigue n’a été subie, même en sortant quatre soirs par semaine sans dormir et en allant en cours le lendemain pendant les années étudiantes. Chaque soir à la tombée de la nuit (trop tôt en Décembre) j’avais le « blues du dimanche soir » en plus violent. Je me sentais prisonnière de ma maison, de toi, et de ma vie tout entière. J’étais tellement mal, tellement déboussolée et bouleversée que je passais mon temps à répéter frénétiquement à ton papa « non mais là je ressens ça parce que... » « non mais ça tous les parents le disent hein, c’est pareil chez les autres, c’est censé partir... », « non mais ça c’est sûrement passager mais ça vient de ça. » Je cherchais des explications, je verbalisais, je me rassurais à voix haute, j’analysais tous mes ressentis et je parlais, parlais, parlais pour évacuer un trop-plein d’émotions comme jamais je n’avais vécu. Et malgré le fait de savoir que d’autres femmes devaient être au même stade que moi en même temps, d’autres parents aussi, malgré le fait de savoir que ce n’était qu’une phase, je me sentais totalement seule et je ne voyais aucune lumière au bout du tunnel.
Je ne mangeais presque plus, j’étais une boule de stress de peur de mal faire avec toi. J’avais l’impression de ne rien savoir faire, ne rien faire assez bien. J’avais excessivement peur que tout soit figé, que tout reste aussi difficile, que je n’apprenne jamais, que je ne m’habitue jamais suffisamment, que je ne prenne pas mes marques, que je reste hésitante, balbutiante et si peu sûre de moi dans mon rôle de mère. Je ne te connaissais pas en fait, et je pensais qu’il aurait déjà fallu que je te connaisse par coeur, que le lien avec toi soit tellement fort que tu serais déjà « ma fille » dans le sens où personne ne te connaît mieux que moi et ne sait mieux que moi ce qui est bon pour toi. Ce n’était pas du tout le cas et je me sentais mal, nulle et coupable. Si je t’ai aimée dès l’instant où j’ai entendu ton cri (en fait je t’aimais déjà profondément quand tu as grandi en moi), je ne me suis pas sentie mère pour autant dès l’instant où je t’ai vue. Ca m’a pris cette bonne dizaine de jours. Aujourd’hui je ne réalise toujours pas mais ce n’est pas pareil. Au début j’avais un peu l’impression qu’on m’avait prêté un costume qui ne m’allait pas et ne m’irait peut-être jamais. J’étais maladroite mais surtout j’avais l’impression que ce n’était pas à moi de le porter. Aujourd’hui je suis encore maladroite dans ce nouveau costume mais je l’ajuste à ma taille chaque jour un peu plus, et je sais que personne d’autre que moi ne pourrait le porter. Et j’aime le porter.
J’ai toujours vu venir le revers des réseaux sociaux avant qu’il ne me frappe. L’envie est l’un des sentiments que je méprise et déteste le plus et je ne supporte pas ce qu’il déclenche chez les gens. Alors j’ai toujours pris énormément de recul quant à ces comptes épurés qui semblent parfaits. Je pensais donc être « immunisée. » C’était sans compter sur la culpabilité qui vient nous ronger dès l’instant où on devient mère. J’avais lu tellement de choses et de posts sur le portage mais moi je n’arrivais pas à te mettre correctement dans ton porte-bébé sans que tu hurles. Et puis tu étais si petite. Je n’osais pas ne serait-ce que réessayer. J’avais idéalisé ce couple avec ses jumeaux qui voyagent partout depuis leurs premiers mois mais moi j’avais peur de prendre un rdv chez le médecin pour toi sans ton papa pour m’accompagner. J’avais tellement d’informations dans ma « besace », pas mal d’expérience avec les tout petits (pas aussi petits cependant) que je pensais que je montrerais peut-être quelques trucs à ton papa pour l’aider mais j’étais gauche, stressée et pleine de culpabilité, pour tout, et il était bien plus à l’aise que moi. Et je détestais ça au fond, tout en étant rassurée que l’un de nous deux soit calme. J’avais souhaité allaiter car je souhaite pour moi-même une alimentation saine et naturelle, éviter les médicaments et préférer les plantes, la nourriture et le sport, et aller au plus simple et écologique aussi. J’ai débuté l’allaitement shootée aux médicaments. Je ne m’étais pas mis de pression ceci dit et je n’avais pas du tout préparé l’allaitement. J’ai eu des douleurs au bout de dix jours, le tire-lait à tarder à être disponible et je ne trouvais pas suffisamment le temps de tirer dans ce nouveau quotidien bouleversé, à totalement ajuster, j’ai donc abandonné petit à petit au profit d’un allaitement mixte avec aussi du lait en poudre puis uniquement du lait en poudre. Ca a achevé de me rendre coupable moi qui ne m’étais pas sentie mère assez tôt, qui n’avais pas réussi à te mettre au monde de la manière la plus naturelle possible et qui ne réussissais même pas à te nourrir de la « meilleure » façon qui soit (puisque ce sont les recommandations de l’OMS et que c’est écrit jusque sur les boites de lait infantile.) Toutefois, la petite part de féministe qui restait alors en moi ressortait suffisamment pour m’aider à me dire chaque jour que j’avais donné mon corps pendant neuf mois et que j’avais le droit de faire une pause, me le ré-approprier et vouloir davantage de temps pour moi. Pour mon bien-être et surtout pour faire honneur aussi à toutes ces mères « pas parfaites » qui doivent avoir l’impression d’être victimes d’une véritable chasse aux sorcières en regardant certains comptes de mamans sur Instagram quand elles ont décidé de ne pas allaiter, pas porter, pas faire de cododo.
Les dix premiers jours je ne mangeais donc presque plus. J’avais peur de ne pas te donner suffisamment de « bon lait » du coup. J’étais complètement désemparée et paniquée quand tu pleurais. Et j’étais si fatiguée que les nuits me semblaient durer une éternité et l’idée qu’un jour ça puisse aller mieux me semblait impossible. Je me répétais que j’aurais peut-être un enfant qui ne ferait pas ses nuits avant des mois voire des années, que j’allais mourir de ce manque de sommeil. J’envoyais des messages paniqués à des amies jeunes mamans pour comparer. Encore et toujours comparer, pour me rassurer ou au contraire prendre peur, penser que moi je faisais mal ou pas suffisamment bien. J’ai détesté quand des gens nous décrivaient d’autres jeunes parents en admirant leur savoir-faire, leur calme et leur bébé qui dormait paisiblement dans son cosy toute la journée quand moi je t'avais dans les bras endormie les 3/4 du temps, par choix. Choix que je remettais ainsi tout de suite en question, comme si j’étais incapable de décider correctement pour toi. J’ai angoissé des jours durant des premiers jours seule avec toi, bien avant que ça n’arrive et en m’ôtant une énergie que je n’avais même plus avec des suppositions. J’ai compté les semaines avant la fin de mon congé maternité. Je me suis sentie nulle et coupable. Je voulais que cette phase du début avance vite pour que tout soit plus simple, pour que tu aies un âge avec lequel je suis à l’aise. J’ai pensé durant des mois, enceinte, que je serais sûrement une mère louve et j’ai angoissé des premières rencontres en me disant que j’allais devoir accepter que tu sois portée par d’autres personnes que nous deux, par des personnes qui t’aiment déjà tellement qu’ils veulent t’accaparer un peu. Finalement j’ai souvent été soulagée de te laisser un peu pour boire un verre et manger mon assiette chaude. J’ai culpabilisé et pensé que c’était la faute de la césarienne, qu’elle avait volé ce lien spécial et fusionnel entre nous, et qu’elle m’empêchait de le ressentir. Ton papa n’avait de cesse de me répéter que notre lien était incroyable et bien visible, je n’y croyais pas.
Et puis mon corps, que j’avais pensé épié post-accouchement, et que j’ai finalement complètement oublié, comme s’il était devenu un vulgaire outil. Celui de te mettre au monde. Il a été tellement malmené et dépossédé de toute intimité sur cette table d’opération et pendant le séjour à la maternité, que je l'ai relégué au placard. C'était aussi l'outil pour te nourrir, et je devais le faire devant les infirmières qui venaient à la maison, les sages-femmes, mon sage-femme. Et puis finalement j’ai perdu une grande partie de mon poids de grossesse très vite, et mon ventre a dégonflé aussi vite. Et j’ai trouvé ça étrange en fait. Ca a accentué cette impression de n’avoir jamais été enceinte, que cette phase pourtant si douce et si belle n’avait jamais existé. Puis j'ai regardé de nouveau ce corps, cherché à l’apprivoiser comme « avant » sans penser à un vulgaire outil, et alors j'ai eu du mal à accepter ces kilos restants et ce petit ventre « pas comme avant. » Tout en me disant que si beaucoup de femmes ont retrouvé leur corps (presque) comme avant en seulement quelques semaines, beaucoup plus ont mis du temps et se sentent mal devant leur miroir, alors moi je n’avais pas vraiment le droit de me plaindre. La culpabilité, encore.
Le couple. J’ai d’abord aimé ton papa comme jamais. Je retombais amoureuse de lui chaque jour en le voyant dans son nouveau rôle, et surtout je nous retrouvais comme à l’étranger : nous deux contre vents et marées, mon phare dans la tempête. Puis la routine avec un nouveau-né, la fatigue et le manque de temps pour soi et donc pour son couple ont pris le dessus. La façon de nous parler, l'impatience, l'irritabilité et même l'agressivité ont dépassé l'entendement, des deux côtés. Et puis j’ai surtout détesté ton père quand il allait passer du temps dans la dépendance qu’on fait rénover, en me laissant seule avec ces nouvelles responsabilités, sans aucune possibilité de faire quoi que ce soit d’autre. J’ai détesté ton père quand il a quitté la maison pour retourner travailler parce que lui sortait une journée complète, sans pleurs, sans responsabilités, sans avoir cette impression d’être prisonnier de n’avoir aucune autre perspective qu’être parent dans sa journée. La façon dont la maternité met en exergue ce manque d’égalité hommes/femmes m’a pété au visage.
***
Et puis le temps a passé. J’ai trouvé beaucoup de réconfort dans une grande sororité. Des jeunes mamans au même stade que moi et des amies très présentes pour me rassurer et surtout m’écouter. J’ai fini par (presque) accepter de ne plus t’allaiter exclusivement puis plus du tout parce que je suis persuadée que pour être une bonne maman il faut être en accord avec soi-même, montrer l’exemple qu’on voudrait donner (et celui d’une mère esclave n’est pas celui que je choisirais pour toi), et ne pas s’oublier. Depuis on t’emmène en voiture sans angoisse, je te mets en porte-bébé tous les jours, je te donne le biberon sans avoir peur que tu t’étouffes, je sais t’apaiser sans t’allaiter, tes pleurs sont devenus une partie de mon quotidien, et quand j’ai fait tout ce qu’il fallait pour les calmer, j’accepte sans angoisse qu’ils continuent. J’ai pris confiance en moi et je suis parfois même fière d’être ta maman devant les autres. En tous cas j’ose tenter de te calmer, je ne me sens pas coupable que tu pleures, comme si j’étais la seule raison de ton mal-être, j’ose chanter des berceuses ou des chansons inventées pourries, j’ose faire le clown, j’ose dire que tu n’es pas un bébé parfait qui sourit à longueur de journée, fait ses nuits et ne pleure jamais (et ton père et moi n’avons jamais souhaité que tu sois ainsi, je te rassure !) J’ai apprécié ces moments seule avec toi dès l'instant où je les ai vécus, et la première semaine seule toi et moi est passée à la vitesse grand V. Je réfléchis à quelle stratégie adopter pour te mettre le moins longtemps possible chez la nourrice le premier mois prévu car tu seras encore petite, et j’appréhende ce moment. Pour autant, je veux du temps pour moi, je sais que j’en aurai grandement besoin, et je n’en peux plus de cette culpabilité qui entoure les mères qui reprennent au bout de 10 semaines. Il est certain que le congé maternité est trop court du point de vue de l’enfant. Qu’on le martèle devant les millions de mères qui n’ont pas le choix ou ont même envie de reprendre - et que la seule issue envisageable soit certainement encore de demander aux mères et uniquement aux mères de rester plus longtemps à la maison en mettant entre parenthèses tout le reste et en devant se sentir bien dans le rôle unique de mère – est inacceptable.
Un mois plus tard j’ai oublié les nuits du début, je suis encore trop souvent rongée par la culpabilité (mais j’ai ralenti mon utilisation des réseaux pour m’en préserver), je tâtonne encore sur des tas de choses et me sens nulle sur d’autres. Je crains encore de ne pas avoir un lien suffisamment fort avec toi, en me rappelant toujours que c’est égocentrique de le souhaiter ce lien fusionnel, que je réponds à tes besoins du mieux que je peux et chaque fois que tu en émets, le plus important est donc que tu sois indépendante et que tu te sentes rassurée, aimée et épaulée quoi qu’il arrive, et que tu saches à chaque instant que je serai là pour toi chaque seconde pour tout ça, et que je suis fière de toi à chaque instant. C’est ça le plus important. Un mois plus tard je suis sortie de la maison plusieurs heures sans toi, j’ouvre de nouveau régulièrement mon bouquin, j’apprends à faire des choses avec le porte-bébé pour ne plus subir les heures collée au canapé sans autre option quand tu t’endors sur moi, et le plus fou ? Je trouve que tu grandis bien trop vite, j’ai peur de louper tes premières fois, j’ai l’estomac noué de penser à nos premières journées séparées.
***
Un mois après, je pourrais noircir encore des dizaines de pages comme ça. Un mois plus tard j’ai compris le revers des réseaux sociaux et surtout de la surinformation dans la maternité. J’ai réalisé que j’avais lu trop de bouquins et qu’aucun ne m’aiderait à moins culpabiliser, à savoir comment remplir mon réservoir pour être la meilleure maman possible pour toi, et surtout pour te montrer, sur le long terme, comment rester soi-même, comme c’est important de ne pas s’oublier, de s’écouter et prendre soin de sa santé mentale. Comment faire de la tienne ma priorité sans penser à la mienne ? Comment te montrer que tu peux être qui tu veux quand je culpabilise à la moindre décision qui diffère de la mienne ? Comment te montrer d’assumer qui tu es et d’être toi-même, sans tricher, si je me laisse ensevelir sous des injonctions qui en viennent à reléguer mes valeurs au second plan ? Comment ne pas te mettre de pression si je vis sous pression ? Comment t’épargner de la course à la perfection si moi-même je prône des discours qui culpabilisent et font se sentir mal des tas de femmes ?
Un mois après, j’ai compris que tout ce qu’on attend n’arrive pas et tout ce qu’on n’attend pas se passe. J’ai réalisé que j’étais la meilleure maman qui soit pour toi, et ce rôle me rend extrêmement fière, même quand je fais les choses de travers. Un mois plus tard, j’accepte un peu plus que tout ne se joue pas ces premiers mois. Je me raccroche à cette notion en anglais de « nature vs. Nurture » et toutes les études qui y sont liées. Un mois plus tard, j’apprécie ma liberté comme jamais, je m’enivre des leçons que tu apportes à notre vie chaque jour, je pleurs si je dois pleurer, je perds patience en sachant que je ne suis pas un robot, et j’ai enfin compris que bien que je ne puisse le mettre en pratique chaque seconde, chaque instant compte car il n’existera plus. Comme je l’avais pensé et espéré, tu m’ancres dans le présent et tu me rappelles l’essentiel. Chaque matin je me réveille à côté de toi et je regarde ton visage paisiblement endormi de longues minutes. Il n’y a rien que je n’aime plus. C’est mon moment préféré de la journée. Danser avec toi dans mes bras pour te calmer, t’emmener avec moi pour ces marches que j’apprécie tant, calée contre ma poitrine comme « avant », sentir ton odeur, caresser ta peau douce, croquer tes cuisses de bébé, rire de toi avec ton papa, m’émerveiller de tes progrès ou devrais-je dire des nouvelles choses que tu fais pour ôter cette notion compétitive, sont autant de bonheurs que tu as ajouté à mon quotidien. Des tas de choses sont venues embellir mon quotidien et des tas d’autres le compliquer. C’est ma maternité mon amour. Ce sont mes ressentis après un mois à partager ma vie avec toi. Merci pour ce voyage aux confins de moi-même, merci pour les leçons, merci pour les jours difficiles qui mettent en perspective des tas de choses et font d’autant plus apprécier les petits et grands bonheurs, merci d’être toi, et de m’offrir le frisson de la découverte, même quand c’est effrayant. Tu m’as déjà apportée bien plus que ce que j’espérais en te rencontrant, et je l’ai parfois appris à la sueur de mon front. Merci d’être une évidence quoi qu’il arrive.
Être soi-même sans vouloir devenir une autre, laisser la place à l'instinct plutôt qu'à la réflexion, profiter sans regretter, lâcher prise sans pour autant perdre pied... maternité et paternité sont des nouveaux rôles qu'on doit endosser chaque jour, sans préparation, sans expérience et sans certitude, c'est ce qui en fait le challenge permanent et sans cesse renouvelé. C'est ce qui en fait la beauté. Laisse-toi gagner par l'amour que tu lui portes, que tu leur porte, que vous vous témoignez, tu es la plus merveilleuse des mères parce que tu es la sienne! Just simple as that. Take care and be yourself!