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Billet de rentrée

  • Photo du rédacteur: Chloé
    Chloé
  • 29 août 2024
  • 5 min de lecture


C’est d’une légèreté grisante que ce billet de rentrée est inspiré. Je sais que cela paraîtra peut-être pompeux ou privilégié ou fou même, de dire que la rentrée m’apporte de la légèreté mais je prends le risque de faire part de mon « very unpopular opinion. » Il est évident que ces lignes sont très personnelles, et que ma légèreté n’est pas anodine après un été mitigé passé sur un siège bancal et chaotique de Grand Huit, ni très surprenante après huit semaines de vacances (et quelques semaines bien peu remplies avant cela.) C’est pourquoi elle mérite tant d’être célébrée. Je ne me souviens pas d’avoir eu le privilège d’une rentrée légère depuis bien des années. Entre les fins août le nez dans les papiers administratifs et les ouvertures de comptes en tout genre dans des pays où les institutions sont encore plus lentes et opaques qu’en France, à s’arracher les cheveux avec des valises de 20 kilos pour y faire entrer un an de vie pour l’autre bout du monde, ou se ronger les ongles de ne pas savoir dans quel établissement et avec quels niveaux j’allais travailler, ou déménager seule avec mon enfant de neuf mois dans ma région natale quittée il y avait alors six ans, ou en vivant le bouleversement du statut quo pour la première fois en ayant une rentrée sans aucune nouveauté aucune, telles furent les rentrées précédentes, angoissantes, excitantes, stressantes, lourdes et parfois très difficiles. Cette légèreté de la rentrée 2024 est comme une bouffée d’oxygène après une longue traversée en apnée, aussi bien durant toutes ces rentrées que ces derniers mois.


Comme tout moment de flottement, de temps lent, de temps long, de contemplation, de non planification, comme toute période en dehors du quotidien et de la routine effrénée, d’un l’emploi du temps surchargé, d’une vie sociale et professionnelle qui débordent, de rendez-vous à ne pas manquer, vient une introspection. Souvent subie. Avec le temps lent vient le silence. Avec le temps long vient parfois le vide. Vertigineux. Désespérément nécessaire pour nous tous mais non moins vertigineux. D’ailleurs cet adjectif n’est pas forcément négatif. Il est. Une grande partie du commun des mortels peine encore à ralentir, contempler, rester seul.e, garder vides les cases du calendrier. Beaucoup ne trouvent pas de salut ni d’intérêt à la patience, la lenteur, la langueur. Certains le redoutent même, d’autres le fuient. J’ai moi-même eu le vertige, je dois l’avouer. J’ai moi-même cherché à tout prix à remplir les cases, les semaines, les jours et même les soirées. Souvent pour fuir des émotions dérangeantes, troublantes, inconfortables. Presque toujours avec l’effet inverse, tel un boomerang. Plus je remplissais les cases, moins les émotions se dissipaient. Mais ce que j’ai surtout remarqué cette année, c’est que, comme beaucoup, j’ai subi l’injonction inconsciente du privilège ultime des longues vacances, celles dont ne disposent (presque) que deux catégories uniques de personnes sur cette Terre : les élèves et les profs. Quel toupet de ne pas bronzer, ranger, trier, jardiner, faire du sport, des dizaines d’activités, partir, revenir et repartir, trinquer chaque soirée qui s’étire, contempler les étoiles, lire, préparer des séquences encore meilleures que l’année passée, réinventer sa manière d’enseigner, se former, écrire un livre peut-être, et puis repartir, encore. Et bien sûr profiter de ce temps si précieux auprès de nos enfants, luxe ultime quand tant de familles doivent jongler avec la même routine effrénée que l’année et ne disposent pas de ces instants ô combien indispensables, ô combien inoubliables ! Optimiser, remplir, caler, profiter, profiter, profiter… Autant d’injonctions à en perdre la tête. Autant de privilèges à en perdre la raison, et le goût du privilège...


J’en ai profité – plus que je ne peux le décrire - mais j’ai parfois aussi détesté ce temps long, ce temps lent, et ce temps avec mon enfant. Very unpopular opinion mais opinion très partagée. Je le sais parce qu’on me le dit souvent. A demi-mots, ce n’est jamais très facile de l’avouer, même quand j’ouvre la conversation où je ne cache pas détester les faux semblants et les obligations qui ne sont que le reflet des besoins des autres, pas les nôtres. Les privilèges, l’abondance de vacances et la chance ultime de pouvoir partir plusieurs fois en famille durant ces deux mois d’été furent bien réels (tout comme ma gratitude infinie) mais ils ne sont pas exclusifs. Cinq semaines chez moi cet été dont quatre d’affilée passées à la maison, ce fut trop, et je ne garde pas sur mes lèvres le goût sucré de l’été.


Toutefois, cet été fut très particulier. Une transition. Totalement inédit. L’introspection forcée après une année où tout est allé trop vite, une année où l’anxiété est venue s’inviter dans ma vie sans que je ne l’y ai conviée - transformant mon rapport au monde et aux autres - fut salvatrice, transformatrice même. Quand tout déborde, il ne reste plus qu’à remplir à nouveau le vase vide. Et le remplir mieux. C’est cette leçon que je tire de cet été 2024 sous le signe de la lenteur, de la langueur. Je n’ai pas trop ouvert mes cahiers ni pris mon clavier, je n’ai pas avancé cinq nouvelles séquences ni écrit de livre, je me suis laissée guidée par le vide, et ce qu’il remplissait en moi. De la gratitude, de l’amour, des envies et des rêves, des besoins enfin assouvis, des injonctions mises de côté, une culpabilité que j’ai enfin réussi à envoyer valser, des moments de grâce, du temps pour moi, du temps seule, du temps de qualité avec ceux que j’aime mais aussi beaucoup d’anxiété, de tristesse, de frustration, de nostalgie, de peurs, de remises en question, de peurs encore, et encore, et encore. Peut-être n’avais-je jamais autant écouté mon silence, et ce qui s’y cache. Malgré la lenteur de ma vie d’avant, celle où j’étais prof mais pas maman, et dans une région à 900km de nos familles, où le temps pour moi coulait à flot. A l’époque, je réussissais soit à équilibrer ma vie donc mon système nerveux et je n’y accueillais pas de silences, soit à fuir et à remplir les cases du calendrier, des semaines, des jours et des heures, pour ne pas entendre le silence. Surtout, je n’avais pas vécu le seul traumatisme de ma vie et tout ce que celui-ci est venu (r)éveiller en moi, l’accouchement de ma fille et son arrivée dans ma vie. Cet été, j’ai appris à être en silence, et en ancrage. Je n’avais pas d’attente quant à cette rentrée, si ce n’est que je ne voulais pas qu’elle arrive. Alors j’ai vécu dans l’instant présent, qu’il eut été saisissant de bonheur ou de tristesse. Inconfortable, bouleversant ou merveilleux.


Après deux mois de temps lent, de temps long, d’une immense gratitude pour tous les moments de joie pure, intense et infinie qui furent nombreux, et tous ceux de profonde tristesse et d’anxiété envahissante, je sors de ma langueur avec délectation, et très certainement transformée, travaillée, façonnée bien que je sois « a work in progress », pleine de vulnérabilité. Cette rentrée, je suis dans « l’ivresse de l’accueil » (Marie Robert), remplie de désirs et de résolutions, impatiente de nombreux projets (pro et perso), empreinte d’un regain de dynamisme, d’amour, de volonté, d’envie surtout, et une nouvelle forme d’appétence pour mon métier et le rôle à jouer. Tout cela en ayant pleinement conscience du chemin cabossé qu’est la vie, des redondances, des désillusions, des jours maussades et des ombres au tableau. Cette année je désire ne pas « attendre mais être attentive », ne pas «espérer mais vouloir, agir. » (André Comte-Sponville.) Je nous souhaite l’ivresse de l’accueil, et l’ancrage dans un quotidien déconnecté. Je nous souhaite de ne pas vouloir atteindre la cible mais nous contenter de viser, de ne pas souhaiter conquérir la leçon mais la laisser nous traverser. Et surtout, je nous souhaite de la solidarité, des rêves entremêlés et des sourires sincères au milieu de nos soupirs.




 
 
 

2 Comments


Christophe Piganeau
Christophe Piganeau
Aug 31, 2024

Je te souhaite de ne pas réussir ta vie.

Je te souhaite de vivre autrement que les gens arrivés.

Je te souhaite de vivre la tête en bas et le cœur en l’air, les pieds dans tes rêves et les yeux pour l’entendre.

Je te souhaite de vivre sans te laisser acheter par l’argent.

Je te souhaite de vivre debout et habité.

Je te souhaite de vivre le souffle du feu, brûlé vif de tendresse.

Je te souhaite de vivre sans titre, sans étiquette, sans distinction, ne portant d’autre nom que l’humain.

Je te souhaite de vivre sans que tu aies rendu quelqu’un victime de toi-même.

Je te souhaite de vivre sans suspecter ni condamner, même du bout des lèvres.


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Chloé
Chloé
Sep 12, 2024
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Merci pour ces doux mots Chris. C'est magnifique et si vrai ! En effet, ils résonnent avec mes pensées du début d'année.

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