Lever le voile et mettre la santé mentale au coeur de sa vie.
- Chloé
- 31 juil. 2024
- 18 min de lecture

Je vis dans un endroit magnifique, je suis en pleine santé, tout comme ma fille et mon mari. Chaque matin et chaque soir, mon chien me fait une fête qui réchaufferait les coeurs des plus bourrus. Je ne vois pas assez mes meilleurs amis mais nos retrouvailles sont de qualité, chaque fois. Je vis entourée de gens que j’aime profondément et qui me le rendent bien. Chaque matin et chaque soir, j’ai la chance de pouvoir ouvrir et fermer les yeux sur du vert : mon jardin, mes fleurs, les arbres, la nature, le canal de Bourgogne et le ciel. C’est un moment d’un grand réconfort. Ma fille, qui a bientôt trois ans, n’a jamais été malade, hospitalisée, et fait ses nuits depuis ses premiers mois. Je n’ai pas de soucis financiers et je ne crains pas pour ma survie. Mes parents sont en bonne santé et vieillissent bien, ma grand-mère pète la forme et ma belle-famille est géniale. Je ne dirais pas que je m’épanouis dans mon travail, contrairement à quelques années auparavant mais j'apprécie toujours ce que je fais. Je suis privilégiée et j’ai absolument tout pour être heureuse. Pourtant, depuis trois mois, je vis avec un trouble de l’anxiété généralisé (TAG.) Si je souhaite en parler aujourd’hui, c’est avant tout pour lever le voile sur ces périodes de vie qui sont difficiles, épuisantes, souvent incomprises – par les autres mais surtout par soi-même- tues ou cachées, par honte, par méconnaissance soi-même de ce que l’on traverse, par pudeur, et parce qu’il n’est pas aisé du tout de l’expliquer au détour d’une conversation de comptoir, entre collègues ou en soirée. Egalement parce que je travaille avec des adolescents qui sont nombreux à être anxieux, à faire des crises d'angoisse, et que les adultes autour d’eux déjà épuisés, surmenés et fatigués d’autres comportements pénibles à répétition font donc facilement l’amalgame entre un besoin accru d’attention (qui de toute façon vient souvent d’une vraie problématique) et de l’anxiété. J’ai moi-même manqué de patience et d’empathie dans ces situations lorsqu’elles semblaient exagérées ou à répétition, avant de le vivre. Et ces adolescents ont souvent bien moins de ressources pour s’en sortir que nous, adultes. Si je souhaite en parler, c’est aussi parce que c’est à des années lumière de l’image que je renvoie et que j’ai de moi-même, quelqu’un de résilient et fort. D’ailleurs, je suis résiliente et forte même avec le TAG, et j’ai souvent besoin de me le rappeler. Je souhaite ouvrir cette fenêtre sur ma plus grande vulnérabilité à ce jour, pour libérer la parole, ouvrir des perspectives, pour changer mon propre regard sur cette facette de ma vie aussi. Facette qui ne me définit pas et est passagère, j’en suis persuadée. Bref, pour laisser la place à ceux qui n’en ont jamais parlé d’exister, d’être vus, un peu mieux compris, idéalement de guérir et peut-être moins culpabiliser aussi.
Je comprends avec le TAG, présent depuis quelques mois maintenant, que j’avais déjà un terrain anxieux avant. Il m’en a toujours fallu très peu pour imaginer le pire, supposer des scénarios catastrophes et avoir besoin que mon mari m’envoie un message quand il est en déplacement pour que je ne l’imagine pas sur un bord de route, un pompier au bout du téléphone si je l’appelle. Des scénarios et des images qui n’ont jamais été que très passagers, jamais purement angoissants car toujours rationalisés presque instantanément. Je n’ai jamais souffert d’hypocondrie, je peux compter sur les doigts des mains le nombre de fois que j’ai consulté un médecin généraliste depuis que j’ai quitté le domicile familial il y a 10 ans. D’ailleurs, j’ai passé des années sans médecin en vivant à l’étranger, parfois à l’autre bout du monde. Je ne me suis jamais vraiment soucié de ma santé, ni de quoi que ce soit d’autre de grave d'ailleurs. J’ai côtoyé le cancer, notamment chez une personne jeune mais je n’en ai pas retiré de peurs irrationnelles, seulement une grande colère. J’ai vécu une grossesse idéale, sans aucun symptôme physique gênant et en pleine forme. Je n’ai jamais pris de traitement médical et je n’avais jamais eu d’opération chirurgicale.
Il y a presque trois ans, j’ai donné naissance à ma fille. D’un accouchement à domicile rêvé où elle serait arrivée dans mes bras, dans une piscine au coin de la cheminée, je suis passée à une salle d’opération à la lumière crue, entourée d’une dizaine de soignants inconnus, seule sans mon mari, après 48h de travail plus ou moins intense et douloureux. Lorsqu’elle a poussé son premier cri, que je lui ai donné un bref baiser (covid) et qu’elle est repartie en quelques secondes auprès de son papa, un point m’a étreint la poitrine. Fort. J’ai voulu me masser mais mes bras étaient attachés. J’étais trop shootée pour prévenir l’équipe médicale. J’ai paniqué. Puis mes dents et mes bras se sont mis à trembler de manière incontrôlable. On m’envoyait du gaz pour me calmer en même temps que j’ai pensé mourir. Mourir quelques minutes après avoir donné naissance à ma fille. Mourir sans qu’elle me connaisse. Mourir en laissant mon mari seul avec elle. Mourir en couches à 31 ans, en 2021.
***

Neuf mois plus tard, alors que nous allions déménager après trois années en Gironde, que j’allais reprendre le travail pour la première fois depuis l’arrivée de ma fille, dans un nouvel établissement scolaire, que nous retournions vivre en Bourgogne après six ans d’absence, que j’allais devoir vivre ces changements seule avec ma fille pendant un mois, je me suis réveillée en pleine nuit en sueur, avec des palpitations, un sentiment de malaise, des vertiges et une peur panique de mourir d’une crise cardiaque. Je suis sortie de ma chambre, j’ai tenté de me calmer dans le salon auprès de mon mari que j’ai prévenu qu’il allait falloir appeler une ambulance. Parce que j’ai pour habitude d’attendre, de ne pas déranger, de ne pas aller à l’hôpital, j’ai attendu. Et je me suis calmée. Très vite, nous avons mis les mots sur cet épisode : une crise d’angoisse. La première de ma vie à 32 ans. Une chance diront ceux qui en ont vécu des dizaines bien plus tôt. L'année scolaire suivante s'est passée sans aucun épisode, aucune anxiété particulière, aucun symptôme de ce qui allait se jouer plus tard.
L'été suivant, juste avant la rentrée dans le même établissement, avec certains élèves déjà connus, une équipe qui m’était devenue familière, en habitant dans la même maison et au même endroit (chose non vécue depuis plus de six ans entre nos diverses expatriations, nos déménagements et mes changements d’établissement scolaire chaque année), j’ai refait une crise d’angoisse où j’ai encore pensé mourir d’une crise cardiaque. J’ai tout de suite su. Alors je n’ai pas parlé d’ambulance et j’ai difficilement attendu qu’elle passe. La semaine qui a suivi a été plus compliquée cette fois. Mes émotions, très fortes (tristesse, frustration, sentiment de ne pas être au bon endroit dans ma vie), sont venues s’associer à une peur sous-jacente d’avoir réellement un problème cardiaque. J’y ai pensé en allant courir et j’ai manqué de refaire une crise d’angoisse quelques jours plus tard, alors qu’un personnage de série arrivait aux urgences en se tenant le bras gauche, en pleine crise. J’ai stoppé la série que j’aimais beaucoup et le lendemain j’ai cherché un psychothérapeute. Je l’ai choisie spécialisée dans l’anxiété. J’avais déjà une petite idée du problème. Elle m’a immédiatement diagnostiqué un trouble du stress post traumatique dû à ma césarienne. Elle m’a énormément aidé à cheminer, à (presque) accepter cette nouvelle équation dans ma vie, que je n’aurais jamais anticipée, à utiliser des méthodes de réception basées sur les sens et non les pensées, pour les contrer et surtout mieux vivre au quotidien, moins stressée et plus apaisée. Bien sûr, son accompagnement a vite pris une tournure plus générale et va bien au-delà du SPT. J’ai toujours été très attirée par la santé mentale et la psychologie, c’est donc naturellement que j’ai adoré nos séances et que je me suis plongée dedans. Il y a eu des périodes bien meilleures, et le diagnostic a aidé pendant longtemps à tenir l’angoisse éloignée.
Malgré un suivi relativement régulier et des angoisses plus ou moins éloignées tout au long de l’année, je me suis battue avec une humeur maussade qui venait me cueillir régulièrement, en ayant cette fâcheuse impression de ne pas aller dans la bonne direction et de ne pas vivre alignée avec mes valeurs, mes envies et surtout mes besoins. Cette année passée, j’ai beaucoup dit oui, presque jamais non. J’ai assisté à des tas d’événements « sociaux » sans en avoir envie et presque toujours en allant bien au-delà de mes capacités (avec le travail que j’ai et un besoin de silence et de calme assez présent, j’ai vite besoin d’une pause ou de fuir lors de rassemblements, de fêtes de famille, de repas sans fin, d’événements etc.) J’ai également commencé à m’ennuyer dans mon travail. Peut-être n’était-ce qu’une réaction aux angoisses, au quotidien anesthésié, à la direction que prenait ma vie et qui m’apparaissait mauvaise. Toujours est-il que ce fut la première fois que ça ne m’apportait pas un grand sentiment d'accomplissement. Dans ma vie quotidienne je croulais sous le stress pour tout faire rentrer dans une journée, avec les élèves, avec ma fille en rentrant à la maison, un agenda trop rempli, une routine "métro-boulot-dodo" de laquelle on pense ne jamais sortir indemne. Je ne réussissais pas à reprendre mon souffle malgré mes mercredis avec ma fille (rarement la journée la plus calme de la semaine) et des vacances régulières. A deux ans, ce fut (ce sont) des découvertes, des premières fois incroyables mais aussi des négociations constantes, des bagarres, un taux de patience illimitée qu’il m’était devenu impossible à atteindre, surtout en le vidant la journée avec les élèves (c’est d’ailleurs souvent dans l’autre sens, je peine davantage avec les élèves parce que ma fille m’a déjà vidée de mon énergie.) J’ai passé un an à me demander comment faisaient les autres, à souhaiter ardemment mieux gérer le stress, le quotidien, les fois où l’énervement venait trop rapidement, la pression que je me mets, le regard des autres dont je devrais me foutre. Les weekends, nous avions de moins en moins de temps d’aller nous balader dans la nature comme j’aime et ce dont j’ai énormément besoin, nous avions vendu notre camping-car pour notre dernier déménagement et la vie commençait à beaucoup trop ressembler à celle que j’avais tant redoutée avant de rentrer en Bourgogne. Je me sentais de plus en plus déconnectée de mon mari, comme si nous vivions à côté sans réellement nous voir, chacun avec ses soucis mais surtout chacun vivant cette vie-là bien différemment. Je me sentais prisonnière d'une cage dorée, prisonnière d'une vie que j'aurais souhaitée différente, et ailleurs. Je peinais à maintenir une routine sportive pourtant si nécessaire au bien-être, je prenais très peu de temps pour moi, je stressais de toutes ces réunions et conseils les soirs qui revenaient tous les deux mois et m’empêchaient de maintenir une activité sportive régulière, auxquels s’ajoutaient les divers déplacements de mon mari et mes semaines de maman solo où l'organisation était toujours un casse-tête. Je ne pensais qu’à une chose : m’expatrier de nouveau. Fuir. Pourtant, j’ai refusé de le faire à l’Ile de la Réunion, et je n’en ressentais pas plus d’envie dans le sud de l’Europe comme nous l’avions maintes fois évoqué. Peut-être (certainement) que j’aurais dit oui au Royaume-Uni ou au Canada mais je n’en étais même plus certaine. J'étais perdue, anesthésiée et à l’arrêt. Hors de moi-même, incapable de me (re)connaitre.

Avril est arrivé, très rempli. J'étais très excitée à l'idée de vivre touts ces aventures ici et ailleurs, ces retrouvailles, ces moments bien entourée alors que le reste de l'année m'avait semblé relativement ennuyeux. J'ai finalement terminé le mois épuisée avec un épisode personnel très difficile à vivre et encaisser. Durant le pont de Mai, nous sommes partis quelques jours chez mes meilleurs amis. Et l’enfer a débuté. Tout a lâché. Après deux heures sur place et le déjeuner, j’ai eu envie de vomir, mal partout, des sensations d’étourdissement, de malaise. Et j’ai cru que j’allais mourir d’un problème cardiaque. Je suis allée plein de fois aux toilettes, honteuse et désemparée. J’emportais mon téléphone pour appeler le SAMU au cas où. J’étais physiquement mal, mentalement au fond du gouffre. Jamais je n’aurais pensé que je puisse vivre un tel épisode de détresse émotionnelle et de peur, jamais je n’aurais pensé que mon cerveau puisse m’envoyer des signaux aussi puissants, aussi violents, et que tout lâcherait en moi. Je mettais des heures à m’endormir et j’avais perdu l’appétit. Le lundi, en retournant au travail, j’ai cru que ça me changerait les idées mais ce fut bien pire. Faire bonne figure devant les collègues, participer aux conversations alors que j’étais au plus mal, m’enfermer deux minutes aux toilettes avant de remonter en classe pour tenter les méthodes vues et revues avec ma psy toute l’année, respirer, me poser, supporter les crises d’angoisse qui pointaient le bout de leur nez en classe toutes les 30 minutes alors que je devais répondre aux élèves, constamment sollicitée et sur-stimulée, jamais seule ni au calme. C’était tellement difficile que j’ai décidé de rentrer manger chez moi le mardi midi pour faire une pause. J’ai manqué de m’endormir au volant d’épuisement. L’après-midi, après plus d’un mois de non concordance de nos emplois du temps, je revoyais enfin ma psy. Et tout allait un peu mieux. Le lendemain je voyais mon médecin traitant pour autre chose et je lui parlais de l’épisode et de mon état physique éreinté, mes sensations diverses et mes peurs. Il me parlait alors des TCC (thérapies comportementales et cognitives), me rassurait sur le fait que j’avais très bien pris les choses en main avec mon suivi psy et me disait, nonchalamment: « vous savez qu’il est quasiment impossible que vous fassiez une crise cardiaque à votre âge et dans votre état de santé ? » Ca me rassurait (pour un temps) et mettait "un terme" à cet épisode qui a duré plusieurs semaines.
Le mois de Juin, très rempli, a été plus apaisé. Des points au thorax très réguliers me rappelaient à mes angoisses mais sans jamais les faire prendre le dessus. Toutefois ce n'est plus jamais parti, j'avais juste appris à vivre avec. Dans la foulée, je réservais des logements pour notre première destination de vacances, le Portugal, où je n’avais pas très envie de partir. Comme souvent et parce que le quotidien n’est plus fait de découvertes ni d’immersion culturelle contrairement à nos années d’expatriation, je ne savais pas où partir tant j’avais des envies diverses et variées. A vrai dire, la seule chose qui me tenait à flot pendant ces mois brumeux, c’était la perspective des prochains séjours « ailleurs. » Longtemps, nous avions envisagé un road trip de trois semaines en camping-car jusqu’en Slovénie. Nous avons dû y renoncer. Depuis le départ, si je m’écoutais, je serais repartie au Royaume-Uni (Cornouailles ou Ecosse, Irlande si ce n’était pas si cher.) Mais je ne suis pas seule à décider, et puis surtout une petite voix me dictait qu’il serait temps de reprendre les aventures, les road trips, les découvertes « comme avant », que je n’allais quand même pas tomber dans l’habitude et partir en vacances au Royaume-Uni tous les étés, ou en Bretagne, bref au même endroit quoi. J’avais vécu une vie d’expatriée, j’avais voyagé dans tant de pays, j’avais rêvé de faire découvrir ce mode de vie à ma fille, j’étais censée rester une aventurière non ? J’ai réservé Porto sans trop en avoir envie. Dans la voiture qui nous menait à l’aéroport, j’ai commencé à avoir des angoisses après quelques semaines de répit. Etre sur l’autoroute dans les bouchons, ne pas pouvoir sortir, qu’une ambulance ne puisse pas accéder si j’avais un problème cardiaque urgent. J’ai été coincée dans des bouchons des tas de fois dans ma vie, impatiente mais sereine... Dans l’avion, j’ai commencé à avoir un point à la poitrine et j’ai passé 2h à avoir hâte qu’on atterrisse pour que ça passe. J’ai pris des dizaines de fois l’avion ces dernières années, toujours très excitée... Arrivés à Porto, je n’étais pas à l’aise ni excitée et j’avais comme un « mal du pays » sous-jacent. Les sensations physiques désagréables, les émotions négatives et la peur ne m’ont pas quitté de la semaine. J’avais un blues constant, auquel s’ajoutait régulièrement la peur d’avoir un problème cardiaque. J’avais beau me répéter inlassablement qu’il s’agissait de somatisation, cela ne me rassurait qu’à moitié.
La deuxième semaine nous l’avons passée à la montagne où j'avais refusé de passer la totalité de mes vacances. Pourtant, atterrir en France m’a immédiatement apaisée. Passer une semaine entourés des sommets, isolés au milieu de cette immensité, cette beauté brute, dans le même logement, dans le confort, et le réconfort d'un chalet, sans changements, sans kilomètres, sans transports en commun, dans un rythme lent et adapté à notre enfant de deux ans et demi, m’a considérablement calmée, et montré que mes envies et besoins n’étaient plus les mêmes mais qu’ils m’appartiennent et qu'il est temps de les écouter davantage. Seule une rando' est venue appuyer sur mes angoisses lorsque mon coeur s’est forcément affolé, mes points intensifiés et mes peurs de me faire secourir dans le fin fond de la forêt dédoublées. J’adore la rando’ et je n’attendais que ça en étant à la montagne. Au retour, les angoisses allaient et venaient, d’autant qu’un proche est décédé d’un arrêt cardiaque, déclencheur (avec l’alcool) d’une nuit ponctuée d’une énorme crise de panique, la première depuis presque un an. Un soir nous avons campé au bord de la rivière. J’adore camper. Je tanne mon mari pour camper bien davantage, aller en pleine nature, nous ressourcer et nous poser. Pourtant, être au bord de la rivière dans le fond d’un chemin impraticable avec un point à la poitrine a ravivé mes angoisses. Dans la voiture qui nous y menait, je regardais quels cardiologues prennent des nouveaux patients sans ordonnance de médecin. Puis nous sommes rentrés, et j’ai finalement commencé à avoir peur d’autres moments que j'ai toujours adorés puisque l’anxiété semble en train de me prendre tout ce que j’aime le plus: le voyage, la nature, la randonnée. En résumé, cela fait trois mois que mes angoisses sont plus ou moins présentes, que j'ai refait une crise de panique intense la nuit, que j'ai vécu un épisode très violent qui a duré plusieurs jours d'affilé de peur panique et d'hypocondrie, et que je vis avec la peur quasi constante d'avoir un problème cardiaque que mon médecin généraliste n'aurait pas décelé. Cela fait trois mois que je vis non plus avec des crises d'angoisse ponctuelles et très rares mais avec un trouble de l'anxiété généralisé.
Il y a trois jours, je suis allée courir alors que j’étais faible, peu motivée, fatiguée et que j’avais angoissé une bonne partie de la journée. Non seulement la course est mon exutoire et je refuse catégoriquement de la sacrifier, alors que c’est clairement LE moment où je pourrais le plus faire un arrêt cardiaque mais c'est surtout le seul moment où tout point, toute angoisse, devient dérisoire face au bonheur de courir. Le seul moment où je rationalise presque systématiquement mes peurs et réussis à prendre un immense plaisir. De plus, j'ai découvert il y a peu un podcast qui s’appelle « ciao anxiété. » Marika, l’auteure, a vécu de l’anxiété pendant 15 ans, jusqu’à ne plus sortir de chez elle. Depuis dix jours, je m'abreuve comme une assoiffée des épisodes. Celui écouté ce soir-là, « le TAG (trouble de l’anxiété généralisé)", a été une véritable révélation et un immense changement. C’est ainsi que j’ai compris de quoi je souffrais depuis quelques mois. Et ça m’a bouleversée. Marika parle des mécanismes du stress et de l'anxiété, des effets et déclencheurs, des effets physiologiques impliqués dans les angoisses et les crises, des différents types d'angoisse, des techniques, du système nerveux, de l'anxiété anticipatoire (la peur d'avoir peur), pire fléau de l'anxiété, des solutions, diverses et variées, du travail profond que cela demande, la connaissance de soi impliquée et surtout, surtout, la prise en charge indispensable et urgente de sa santé mentale et son bien-être.
Chez moi cela a débuté il y a des années par une difficulté à gérer le stress et une propension à très vite me sentir dépassée. Or, le stress est le pire déclencheur de l’anxiété. Le terrain était là, silencieux, gérable, très commun finalement. Puis il y a eu cet épisode qui a changé ma vie juste après avoir donné naissance à ma fille. Du stress post traumatique déclenché un an plus tard, sous forme de crise d’angoisse. Puisque l’angoisse m’a laissé tranquille ensuite, je n’y ai même pas pensé malgré une année bien remplie, faite de changements majeurs et de bachotage du concours de prof qui m’a plongée dans un tunnel sans fin de stress et de travail. Toutefois, ce fut aussi l’année de notre retour auprès de nos familles et nos amis, la (re)découverte d’une région qu’on aime par-dessus tout, un bon équilibre de vie, les premières fois de notre fille qui étaient incroyables entre ses 9 mois et 1 an et demi, une année pleine de bonheur. Puis il y a eu cette année passée, débutée bien différemment, complètement perdue d’être dans la routine, le « connu » sans aucun changement à l’horizon. Une année faite de moments subis, de brume qui m’empêchait de voir et apprécier les innombrables moments de grâce, de beauté et d’amour, de déni constant de mes besoins et mes envies, de « oui » à tout et non à moi, de quotidien effréné, d’enfant de deux ans dans la négociation et le non, de travail à mille à l’heure, de refus d’accepter cette vie-là comme une fatalité, d’un manque viscéral de sensations liées à l’expatriation. Cette année a été ponctuée de nombreuses déclarations de ce type : « je vais finir par péter un câble », « le stress va donner une m****. »
Alors je ne suis pas morte, je n’ai pas de maladie physique, et je n’ai pas « pété un câble » comme on l’entend malgré une irritabilité souvent extrême et une propension à stresser bien disproportionnée. Je n’ai pas fait de burn out et je ne me suis pas faite arrêtée ni hospitalisée. J’ai tenu bon, même quand j’étais au plus bas «parce que je n’avais pas le choix » (?) mais j’ai développé un TAG. Et je ne le souhaite pas à mon pire ennemi (même si je n’en ai pas.) C’est quelque chose dont on parle peu, dont on a honte, qui nous rend si vulnérable que c’est déstabilisant. Ca submerge, ça surprend, ça fait peur et ça fragilise énormément. Cela impacte son entourage proche même si je fais tout pour que mon mari n'en ait pas conscience au quotidien. On a peur de ne jamais en sortir, peur que cela s’empire, peur de se dire qu’on a un trouble mental pour lequel il n’y a pas de médicaments autres que soi-même (je ne suis pas anti anxiolytiques et heureusement qu’ils existent mais mon but dans la vie, et ce bien avant le TAG, c’est de ne jamais en prendre) et on culpabilise énormément, autre déclencheur de l'anxiété.

Grâce au podcast et au travail de titan de Marika, qui non seulement partage son expérience sans tabou, avec force et authenticité, mais qui fait également des tas de recherches (toujours sourcées), je prends conscience de mes propres mécanismes. Le stress post traumatique n’est qu’un déclencheur qui a appuyé sur le bouton ON à un instant T, et bien que mes angoisses d’aujourd’hui soient entièrement liées à ça (le problème cardiaque), elles viennent de là mais surtout d’ailleurs. Un présent pas assez aligné où tout est « trop » (trop vite, trop surmenée, trop sollicitée, trop dans l’action, trop rempli, trop bruyant, trop peu apaisant) et un futur qui en l’état actuel des choses ne me faisait pas envie. Il faut le dire - et la culpabilité ronge et vient nourrir l’anxiété- mais ma maternité a été l’un des plus puissants déclencheurs de mon anxiété. Et je ne parle pas de ma césarienne. Avoir un enfant m’a privé de ma liberté telle que je la connaissais. Rien ne sera plus jamais comme avant. Si demain nous nous expatrions de nouveau, ça n’aura jamais la même saveur et ça ne sera jamais sans logistique ni angoisses. Si demain je souhaite partir vivre à l’autre bout du monde ou dans un cottage en Irlande (bien plus plausible), je ne peux plus le faire. Je ne peux pas séparer ma fille de son père et si je l’ai avec moi, mon quotidien sera forcément effréné et soumis au stress tant qu’elle sera en « bas âge » (le bas âge dure un certain temps tout de même.) Ma liberté, c’est la première notion oubliée qui m’a explosée en pleine figure à quelques jours de sa naissance. Pour une raison qui m’est inconnue, c’est la chose que je chéris le plus au monde, et jamais je n’avais envisagé qu’un enfant vienne à ce point la mettre à mal.
Aujourd'hui, avec le podcast, un travail de fond et une routine bien-être à laquelle je ne déroge sous aucun prétexte, je ne ressens plus d'anxiété depuis quelques jours (je ne crie pas victoire, le chemin est long et semé d'embûches.) Aujourd'hui, je vois mon anxiété comme ma meilleure alliée et jamais dans ma vie je n’avais eu une petite voix aussi puissante pour me faire prendre le bon chemin et surtout me faire prendre soin de moi. Cet épisode totalement déstabilisant et très difficile a certainement été l'un des plus révélateurs et bénéfiques dans ma vie, j'en suis certaine.
Le travail est fastidieux, profond, immense, parfois douloureux, parfois effrayant. Mais il est indispensable. Dire non, refuser les choses subies mais proposer ce qu’on aime à la place, impulser les changements et être l’organisatrice de ce qui me fait vibrer pour qu’ensuite on me suive (ou que je le vive seule.) Mieux gérer mon stress au quotidien et surtout avec ma fille, courir au moins deux fois par semaine voire trois, aller marcher sinon, m’inscrire à l’athlétisme, reprendre un camping-car, envisager une reconversion professionnelle dans le futur, profiter pleinement de tous les bons et beaux moments sans anticiper le pire et en LACHANT PRISE. Travailler mon anxiété sans relâche et continuer à prendre l’avion (un minimum pour la planète), faire du camping et de la rando’ - isolée et en ayant le souffle coupé - et puis peut-être bien retourner très bientôt au Royaume-Uni, peut-être même là où je connais bien. Faire ENFIN ce que j’ai vraiment envie de faire, depuis toujours mais aussi ce qui me fait envie aujourd’hui, au plus profond de moi et sans que ce soit altéré par le jugement (imaginé) d’untel, même si c'est en totale contradiction avec ce que j’étais avant et qui me rendait si fière. Faire le deuil de ma vie d’expatriée, accepter les changements, ma nouvelle identité et mes nouvelles envies. Me mettre réellement en action sans rester victime, bloquée et à l’arrêt, trouver de nouveaux challenges, défis et projets et plonger dedans, jamais trop, jamais en m'oubliant, et surtout, surtout, maintenir ce rythme et ma santé mentale au centre de ma vie. Je ne me flagelle pas de ce qui est arrivé, je pense que cet état est absolument nécessaire à une poussée en avant spectaculaire et certainement plus importante que toutes celles déjà effectuées dans ma vie.
N’attendez pas. Ne répétez pas tel un leitmotiv désespéré que vous allez succomber sans vouloir y croire. Dites non. Souvent et autant de fois qu’il le faut. Ecoutez-vous. Tentez - difficilement certes – de vous faire de la place dans votre quotidien effréné qui file entre les doigts. Dites ce qui vous fait plaisir plutôt que vouloir faire plaisir aux autres. Dites non, encore et encore. Consultez quelqu’un. Allez marcher, courir, randonner, faire du shopping, des soins, que sais-je ? Parlez correctement des autres et ne tombez pas dans les vieilles querelles qui "désalignent" et assombrissent tout. N’oubliez pas qui vous êtes. Embrassez vos évolutions, vos failles et vos forces, votre humanité. Prenez soin de vous, écoutez-vous tous les jours, n’ignorez pas les signaux, les envies profondes, l’instinct que quelque chose cloche, n’est pas à sa place. N’attendez pas, vraiment. Laissez les angoisses et le stress vous parler, écoutez-les tout de suite, ils vous veulent du bien. Et surtout, ne perdez jamais espoir. Parce que si l’anxiété de tout perdre ou de mourir vient me cueillir quand je me suis niée trop longtemps, c’est bien parce que je porte en moi cette furieuse envie de vivre !

Prendre le temps ... prendre "son" temps, parce qu'avec les bouleversements d'une vie (naissance, déménagement, nouveau(x) boulot(s),...) la gestion d'un quotidien trop lourd ne laisse pas de temps pour s'en octroyer à soi. Passer de deux à trois, ce n'est pas qu'une liberté qui s'amenuise, c'est aussi une gestion nouvelle de la relation de couple, une cellule qui s'élargit à trois et qui "grignote" bien des champs personnels d'où l'on tient souvent son équilibre, sans même y avoir songé. Alors oui la prise de conscience est salutaire, la parole salvatrice, l'échange avec un thérapeute équilibrant et la remise en question toujours source de progrès mais il faut aussi savoir dire "non" et le poser comme quelque chose de vital, d'irrévocable…