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Rallumer les étoiles

  • Photo du rédacteur: Chloé
    Chloé
  • il y a 7 jours
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 6 jours


Le phénix renait toujours de ses cendres. Je crois que nous sommes tous.tes des phénix, et je crois que les femmes sont de ceux qui renaissent le plus fort. Peut-être parce que c’est elles qu’on éteint le plus violemment…


Un soir, mon monde tel que je le connaissais depuis des années s’est écroulé. Tel un coup de couteau qu’on m’aurait donné dans le dos, dans le ventre ou dans les côtes, mon souffle s’est coupé, et mon corps a violemment accusé le coup. Celui du poids des mots qui venaient d’être prononcés et qui allaient sceller une éternité que je n’avais jamais réellement imaginée. Avec du recul, je sais qu’il fallait un sacré courage à celui qui les a prononcés. Parce que cette éternité-là, lui non plus ne l’avait jamais imaginée, alors que moi j’y avais parfois songé. Juste refusé de l’envisager. Trop d’années, des vœux de mariage, un engagement, et surtout, surtout, une famille. Une petite fille bien trop jeune pour devenir le dommage collatéral d’un manque de communication et de connexion, d’un manque de travail et de priorités. Ou simplement d’un amour à bout de souffle qu’il semblait impossible de raviver.


L’enfer sur terre a débuté. La période la plus difficile de ma vie. Des actes et des mots qui écrasent, détruisent, anéantissent, maintiennent à bout de souffle. Celui que j’ai failli perdre. Mais dans cette période d’enfer sur terre, j’ai continué à respirer, tant bien que mal. A faire à manger pour ma fille et organiser notre vie, à tenir ma maison, à répondre aux mille sollicitations, à aller donner le change devant mes collègues et mes élèves. Le corps présent mais la tête ailleurs. Une enveloppe vidée. Je me suis levée chaque matin après des nuits d’insomnie sans avoir dormi, les yeux tirés d’avoir trop pleuré, la tête assommée d’avoir trop pensé. Mais je me suis levée, me suis habillée, ai déposé ma fille à l’école et suis allée enseigner à des ados’ que je ne voyais même plus, que je n’arrivais plus à écouter, enveloppée dans un brouillard de plus en plus épais dans lequel j’aurais souhaité me perdre à tout jamais… Je faisais mes courses tel un robot débranché, je posais les affaires sur le tapis mais oubliais de les récupérer. J’oubliais de réfléchir mais jamais de penser. J’oubliais de manger mais jamais de pleurer. J’oubliais de courir, de lire, de m’arrêter, de dormir, de vivre, de danser, de parler d’autre chose, de respirer. Je ne sais pas comment j’ai fait. Mais cette force, cette résilience, cette façon d’avancer malgré tout, de tenter d’épargner ma fille, je les ai puisées au plus profond de mon être. Elles ne m’ont jamais quittée, comme mes meilleures alliées. Elles m’ont poussée, et m’ont transformée.


Durant cet enfer, je me suis retrouvée. Tout doucement. Au début, le changement fut déroutant. Tous mes repères avaient explosé en vol. Tout mon quotidien ne ressemblait à plus rien de ce que j’avais connu. Toute ma vie était renversée. Toute ma personnalité était cristallisée. J’ai rempli, rempli, rempli, rempli ma vie de sorties, d’amis, de collègues, de travail, d’amies. Encore et encore. On repeat. Je ne reprenais pas mon souffle mais je tournais tournais tournais. Telle une toupie qui cherche à retrouver son centre de gravité. Et puis j’ai ralenti. J’ai cessé de tourner. J’ai atterri et j’ai accepté. Et puis j’ai regardé où j’en étais. Où était mon centre de gravité. Qui était cette nouvelle Chloé. J’ai respiré. J’ai doucement arrêté de pleurer, de remplir, d’oublier de manger et de danser. J’ai rechaussé mes baskets et pioché dans ma bibliothèque.


Depuis des années, je m’étais perdue. Qui j’étais. Qui je pensais être. L’étranger, le retour en France, la maternité. Autant de couches à mon identité que je ne savais plus ni reconnaître ni choyer. Puis je me suis éteinte. Presque complètement. Je me suis laissée envelopper dans un brouillard épais duquel je n’arrivais plus à apercevoir le soleil. L’ombre de moi-même. J’avançais parce qu’il le fallait. Je croyais ne plus valoir la peine. De recevoir de l’amitié par des amis pour lesquels j’avais l’impression de ne jamais être assez présente car je me sentais moi-même vidée. Ne plus valoir la peine d’aimer mon travail, de connecter avec ces ados’ demandeurs quand je ne me connectais plus à moi-même. Ne plus pouvoir être pleinement heureuse car enfermée dans un quotidien de mère anesthésié. Je croyais détester la maternité quand je n’arrivais tout simplement plus à respirer, débordée. Par la pression que je me mettais, et les contraintes quotidiennes qui ne me correspondaient pas et que je n’aurais jamais choisies de moi-même, pour moi-même. Durant des années, je pensais ne plus savoir faire. Savoir faire seule, être seule, pouvoir regagner cette indépendance et cette liberté que mon corps tout entier désiraient. Durant des années, j’ai pensé être seule et démunie si mon couple tombait. Je ne savais plus qui j'étais, juste moi. Avec moi.


Et puis durant cet enfer, tout s’est éclairé.


Il est difficile de décrire quel rôle mes amis ont joué. Ce serait diminuer le fait qu’ils m’ont sauvée. J’ai d’abord réalisé (ou plutôt réouvert les yeux) sur la chance infinie d’être si bien entourée. Par mes amis, et pas juste ceux de l’autre ou du couple. Non, les miens aussi. Présents pour ce que je suis, qui je suis, depuis et pour toujours. Il est difficile de décrire l’importance de la sororité, ce serait diminuer le fait qu’elle m’a portée, transformée, galvanisée, transportée. Une sérendipité qui a fait qu’on s’est retrouvées plusieurs à devoir avancer à l’unisson tout en trouvant chacune notre vérité, et notre liberté. Ma famille, dont je n’avais jamais doutée mais qui a été cette main dont nous avons tous besoin, aussi fort que l’on soit. Celle rassurante qui effleure l’épaule et ceux qui chuchotent « je suis là, pour toujours. J’ai confiance en toi. Mes bras te tiennent. Tu peux tomber, je te retiens. »


Et puis c’est difficile de décrire ce qu’il m’est arrivé. A moi-même. Avec moi-même. Il y a quelques semaines, j’ai dit à ma thérapeute que j’étais une nouvelle Chloé. Elle m’a justement corrigée. « Non, vous n’êtes certainement pas une nouvelle Chloé. Vous êtes vous. Vous aviez toujours été là, comme ça. Vous étiez éteinte et vous n’attendiez qu’une chose : renaître, rallumer la lumière. Bien sûr vous avez quelques années de plus et cette expérience, et vous ajoutez de nouvelles parts à votre identité mais ne doutez jamais du fait que ce soit vous. Et que vous étiez juste là. Forte, solaire, heureuse, rayonnante. Résiliente. »


Je suis passée d’une femme apeurée à une femme qui embrasse cette liberté et cette indépendance comme les deux joyaux les plus précieux que la vie peut offrir. D’une femme qui avait presque peur de s’émanciper à une femme qui ose demander, négocier, et dire non. Demander de meilleures classes, des défis qui amènent un meilleur salaire pour gérer financièrement seule, après tant d’années à deux. Une femme qui choisit un futur logement et ne peut pas contenir son excitation d’y écrire un nouveau chapitre, seule avec sa fille. Je suis passée d’une femme qui avait perdu le goût des autres, des sorties, de l’inattendu et l’inorganisé à une femme qui embrasse le flou, veut de l’inattendu et s’enveloppe dans ce futur que rien ne pressentait. D’une femme brisée à une femme que la force a propulsé dans un monde jusqu’alors inexploré. D’une femme terrassée par les angoisses qui croyait ne plus jamais vivre avec innocence à une femme heureuse de se coucher et se lever seule chez elle sans jamais craindre de ne pas se réveiller. Cette force inattendue et cette résilience si puissante m’ont permis d’avancer plus vite que je ne l’aurais jamais pensé, être plus forte que je ne l’aurais jamais imaginé, plus épanouie que je n’aurais pu rêver. Cette vie de femme retrouvée, libérée du quotidien de maman dans sa globalité, est un accès extrêmement puissant à cette identité de femme que l’on pense toutes avoir abandonné après la maternité.


Il y a l’enfer. Le tunnel. Le brouillard. Le noir. Celui qui enveloppe, terrasse, semble ne plus jamais nous quitter. Il y a les moments difficiles, innombrables, les choses à accepter, celles avec lesquelles faire la paix. Il y a son enfant à accompagner sans culpabiliser, les choses sur lesquelles tirer un trait, l’autre avec qui s’aligner. Une amie m’a dit il y a quelques jours « je voudrais écrire un livre sur la rupture après un enfant. Pour dire qu’on peut aussi bien le vivre. Et être heureux. On nous fait trop culpabiliser. Les gens s’affolent, jugent et sont outrés. » Il y a tout le reste. C’est grand, c’est puissant, c’est authentique et c’est là aussi. Il y a tout ce qu’on pensait ne plus jamais revivre ou même vivre, toute cette immensité et toute cette nouveauté. Elles brillent, elles nous chuchotent d’en profiter, comme une seconde chance à embrasser.



 
 
 

2 Comments


Christophe Piganeau
Christophe Piganeau
il y a 6 jours

Toutes celles et ceux qui ont l'habitude de te lire auraient très certainement préféré que cette renaissance fut le fruit de l'imaginaire d'un roman que tu aurais pu commencer à écrire et dont tu nous livrerais les premières lignes... Tu parles de force, de résilience et de volonté de renaître, on a peine à imaginer que tu aies eu encore à traverser ça après les épisodes qui ont suivi et précédé l'arrivée de Nina. On voudrait que tout ça soit inventé parce que votre histoire qui s'était écrite à deux puis à trois méritait aux yeux de tous des chapitres plus simples à vivre et une certaine forme de "normalité". Mais c'est peut-être aussi cela la normalité, les accidents de…

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Chloé
Chloé
il y a 2 jours
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Oh Chris... merci 💛

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