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  • Photo du rédacteurChloé

Ecrivons le quotidien, avec magie

Dernière mise à jour : 24 déc. 2022





"Parce que la magie réside dans ce que nous décidons d'écrire"



Instagram me sert un peu de journal de bord. Pas intime mais très personnel. Quand je relis mes vieux posts, je replonge dans des souvenirs trop souvent oubliés dans un coin de ma tête, et surtout de mon coeur. Récemment j’ai supprimé l’application dès qu’elle me prenait trop de temps. Régulièrement donc. Je ne relisais rien. Et puis sans pouvoir l’expliquer, je n’avais pas envie de relire mes posts avant les 3 mois de ma fille. Ceux du quatrième trimestre de grossesse. Trop de mauvais souvenirs sûrement. Pas envie de m’y replonger. Et ça me paraît déjà tellement loin. Et puis une forme de culpabilité aussi. Celle de les avoir vécus ainsi ces premiers mois. Difficilement. Je vois de jeunes mères autour de moi avoir l’air de gérer ce grand bouleversement, et je me dis que moi je n’ai pas été assez forte. Je me le dis mais je ne le pense pas vraiment. Devenir mère m’a permis - après quelque temps - de prendre une hauteur jamais atteinte jusqu’ici. Je culpabilise sur la forme. Je reconnais cette culpabilité, je la vois mais je ne me laisse plus manger par elle. Ou des regrets. Ou des questions de légitimité sur mon rôle de mère. Jamais. Cette hauteur m’a donné énormément confiance en moi. Je suis indulgente. Je vais à l’essentiel. Est-ce parce qu’aujourd’hui justement, je gère ? Ma fille, le quotidien, les bouleversements, mes émotions négatives ? Alors qu’au début non. Du coup, est-ce que je ne peux pendre confiance en moi et être indulgente envers moi-même que lorsque j’ai la situation sous contrôle ? Cette question mérite d'être creusée...


Toujours est-il qu’hier on m’a dit que mes posts sur la maternité, avant et après ma fille, étaient toujours constructifs et poignants. Je me suis dit « ah oui ? Je ne sais même plus ce que je disais. » La distorsion du temps avec un enfant est un sujet sans fin. Alors j’ai pris le temps ce matin d’en relire une partie. J’ai choisi ceux avant sa naissance. Et j’ai redécouvert un monde qui était encore le mien il y a six mois. Un autre monde. Un monde perdu… J’avais tout oublié. Tout. Ou alors je n’y pensais jamais. En fait j’avais occulté cette période de ma vie. C'était il y a six mois.


Mes voyages et surtout mes expatriations font partie des choses qui sont happées par mon quotidien, constamment le pied dans l’après sans avoir assimilé le présent. Je l’ai souvent répété sur le blog. Cette façon de vivre fait pour moi partie des grands challenges de la vie. S’ancrer dans le présent, être conscient de ce qui nous entoure, l’apprécier pleinement (quand ça s’y prête), et ne pas constamment vivre dans l’expectative ou l’attente d’un événement qui surviendra plus tard me paraît à la fois indispensable et trop souvent inatteignable. Mais je repense souvent à ces expériences du bout du monde avec un sourire satisfait de les avoir vécues. Les souvenirs ne sont pas totalement intacts mais relativement vivants, et ils m'accompagnent souvent. Il n’en est pas de même du tout pour ma grossesse. Comme si ces neuf mois de ma vie n’avaient été qu’une parenthèse qui n’aurait pas vraiment existée

et aurait surtout été effacée dès l’arrivée de ma fille. Comme si grossesse et naissance étaient complètement dissociables. Je crois que j’avais compartimenté les choses. Le présent, très fort et très intense avec ma fille qui grandit très vite et arrive dans les mois où les changements sont considérables ainsi que nos échanges, et les premiers mois, si difficiles, au goût amer. C'est comme si elle était arrivée par magie un beau jour de Décembre, sans préparation, sans attente, sans cette parenthèse enchantée durant laquelle nous l’avons imaginée, attendue, espérée, créée. Comme si la réalité de sa venue avait expulsé toute la période à l'imaginer. Trop réelle pour correspondre à ces neuf mois d’attente qui n'étaient qu'hypothèses. Le ras de marée qui vient avec l’arrivée de l’enfant qui efface toute la beauté des représentations imagées qu’on s'en est fait. Comme si le combat pour l’égalité des sexes qui fait rage dès l’arrivée d’un enfant effaçait la beauté d’imaginer qu’il ne serait pas si ardu. Comme si le bouleversement d’une vie effaçait la beauté de vouloir en créer une. Comme si la charge du quotidien prenait tellement d’ampleur qu’elle l’effaçait ce quotidien, devenu une somme de répétitions d’actes chronophages et vides de sens dans lesquels on coule jusqu’à se perdre. Virage à 180 degrés après avoir tant rêvassé…


En relisant mes posts pendant la grossesse, cette parenthèse qui pour moi fut relativement enchantée, en relisant ces réflexions qui furent les miennes – diverses et variées – je prends conscience de mon effacement. Comme si celle qui avait écrit n’existait plus. Je prends conscience de la petite mort de celle que j’étais alors. Et de mon quotidien, depuis plus de cinq mois, à la chercher inlassablement dans des débris que je ne veux pas lâcher.


Hier, j’ai lu ceci : « Pour devenir sa mère j’ai dû tuer celle que j’étais. La tuer puis l’enterrer. Et parfois je repense à elle, comme à un amant qu’on aurait quitté. La moi d’avant. Je me rappelle très précisément qui j’étais avant d’avoir un enfant. Je me rappelle mes pensées. Je me rappelle mes voyages. Je me rappelle l’insouciance que j’aimais tant. La vie nomade. L’ivresse souvent. Le temps pour moi. Le vide aussi, très présent. Le sentiment de ne pas trouver ma place et de constamment fuir en avant. J’ai dû me laisser mourir pour finalement me redécouvrir. Descendre tout au fond puis remonter tout doucement. Enlever un à un tous les artifices, et enfin me voir sciemment. C’est le chemin de la douleur, de la douceur et de l’émerveillement en même temps. Mon chemin de maman. » Ecrit par la réalisatrice Eve Simonet.


Aujourd’hui je relis avec beaucoup d’amour et de tendresse ces posts sur celle que j’étais pendant ma grossesse, déjà en transition. Pleine d’espoirs, de questionnements, de réflexions si légitimes et qui pourtant me paraissent pour certaines si futiles aujourd’hui. Celle que j’étais, tout en convictions, à l’orée d’une implosion quand je visualisais une infime partie de l’iceberg, celui du féminisme malmené amené par la maternité. Celui des inégalités et injustices. Mes représentations et moi, mon imagination, mes attentes, mes espoirs et angoisses, pour la plupart liés à celle que j’étais alors - vaste somme de trente et un ans de vie et d’expériences en tout genre, façonnée surtout par ces dernières années d’expatriée – ont été comme anéantis par son arrivée. Tout s’est envolé. Les morceaux ont volé en éclats. Et moi j’ai terni. J’ai nagé, trop souvent à contre-courant. J’ai cherché dans les débris, je n’ai pas compris ce que je cherchais et surtout pas pourquoi je ne le trouvais pas. J’ai peiné à rassembler celle que j’étais, celle que j’avais construit pendant neuf mois, celle que j’étais devenue en quelques heures début Décembre et celle que je devenais chaque jour, happée par le quotidien de la maternité, ensevelie par le poids de l’inconnu, par la violence de la responsabilité. Tout s’opposait, rien ne s’emboitait.


Ce matin j’ai relu mes posts et un ancien monde s’est ouvert à moi. Une sorte de renaissance dans le passé. En fait, j’ai compris. Rien n’est figé. Rien n’est rangé. La douceur perdue ne l’est réellement que dans la violence d’un combat perdu d’avance : celui de faire cohabiter l’ancienne version de moi-même avec celle de mère. Je n’étais pas mère. Et celui de croire que j’ai perdu celle que j’étais, comme si elle n’avait jamais existé après toutes ces années. Quel triste constat qui n’amène que rancoeur et mélancolie ! Je n’ai pas perdu mon identité en fait. Je l’ai faite évoluer.


Aujourd’hui, dans ce quotidien qui semble ne jamais avoir de répit ni de repos, dans ces tâches incessantes et répétitives à l’infini, je prends plaisir comme jamais à partager des moments suspendus avec ma fille. Je ne fuis plus en avant. Je ne ressens plus de vide, si ce n’est celui des tâches quotidiennes et ménagères que j’accomplis encore trop souvent et trop seule. Je ressens très souvent cette douceur qu’apporte ma fille à mon quotidien. Dans un geste tendre, un sourire, un éclat de rire, un soupir, une petite main qui attrape la mienne ou qui se pose sur ma bouche, mon visage, mon cou, mon sein, mille regards, le toucher d’une plante, sa petite main sur l’herbe, ses pieds qui battent l’eau le soir dans son bain, pendant ce fameux tunnel de fin de journée que moi je trouve au contraire si précieux, ces quelques heures avec elle sur une journée séparées, avant qu’elle ne s’abandonne aux bras de Morphée pour inlassablement recommencer, la planification de notre premier road trip avec elle, le projet de repartir quotidiennement sur les routes quelques weekends par ci par là, non pas à la recherche d’une liberté qui semblait jusqu’alors m’avoir été volée mais plutôt pour profiter de cette liberté ultime qu’offre la vie sur les routes, en rapportant ce que celle-ci enseigne dans un quotidien parfois trop étroit mais heureux. Oui heureux. Ces parties de moi peuvent cohabiter. Il est aussi possible d’en enterrer et ne pas avoir besoin de s’y accrocher. Rien n’est figé. Tout est possible. Tout est à construire. A composer. Pour passer de « fille rebelle incomprise à femme puissante insoumise » (Eve Simonet encore.) Pour passer du vide et de la fuite en avant à la confiance et l’estime de soi. A la puissance. L’évolution. L’acceptation. La construction. Tout est à composer… Et malgré les difficultés - réelles - tout est question de perspective. Un petit pied qui goûte l'eau, un rire qui retentit dans la salle de bain, ou un énième marathon du soir. Une petite main qui approche la cuillère de ses lèvres et goûte - dans l'immense privilège de la première fois, dans la beauté d'une chose qui n'arrivera jamais plus, telle pureté, telle découverte - la saveur d'une compote de poires, et s'en délecte à coups de petits soupirs satisfaits, ou le temps perdu à faire cette même compote. Il y a de la magie dans ces actes chronophages, distillée ça et là quand le coeur est suffisamment léger pour la voir.


Je prends doucement conscience qu’il n’y a pas que l’avenir à partager avec ma fille. Ni mes plus belles années, celles d’expatriée et de jeune étudiante qui s’émancipe et prend conscience du monde. Ce serait tricher. Il y a tout le reste. Moi tout entière. En ayant ôté les artifices aujourd’hui, inutile d’en ajouter dans la narration du passé. Il y a toutes les parties de moi, même celles enterrées. Il n’y a pas l’avant et après elle. Il y a l’évolution. La beauté de la (re)construction. Il y a en moi son histoire à elle. Liée(s). Il y a ce jour de Mai, enceinte de deux mois, alors que l’auteure Valérie Perrin était chez moi et que je rentrais d’un rendez-vous chez ma sage-femme, et qu’elle m’a demandé si on savait quel prénom donner si c’était une fille. Il y a mon sourire quand j’ai répondu « je crois qu’on l’appellera Nina tu sais. » Ces quelques mots que j’ai laissé flotter dans l’air. La main de Valérie sur sa bouche, muette d’émotion. Il y a Black, ce gros chien bourré d’amour qui nous a réunies. Trois, ce roman si spécial qu’elle venait de sortir et qui trônait sur la table du salon, bien entamé. Et puis il y a Nina, personnage principale de Trois. Celle de Valérie. Et Nina, ma fille.


Parce que toutes les histoires ne sont pas inventées, les plus belles étant les nôtres, les vraies. Et parce que la magie réside dans ce que nous décidons d’écrire…


A Nina. Ma plus belle inspiration.



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