Au-dessus des nuages
- Chloé
- 20 mai 2024
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 21 mai 2024

Après une si longue absence sur le blog, je ne sais même plus par où débuter ces élucubrations du soir. Si ma tête a toujours été un beau fouillis, nul doute que ce post - qui n’a pas de but précis et beaucoup trop de sujets sans savoir par où les commencer – ne sera pas un exemple de cohérence.
Cela fait quelques jours que je semble voir des signes partout, entre ces célébrités qui partagent leurs failles et ouvrent une fenêtre sur leur vulnérabilité sans impudeur, celles qui clament haut et fort comme un mantra sacré «être sensible c’est être vivant, et on n’est jamais trop vivant », ceux qui s’illuminent presque quand on parle de soi parce qu’ils y trouvent une autorisation de parler d’eux, et la réouverture de mon journal délaissé depuis plus de deux ans, je crois qu’il était temps de reprendre la plume, sans impudeur mais avec authenticité.
Je traverse une période qui me semble transformatrice, et à bien des égards celle-ci fait écho à ma vie d’expatriée, cette période durant laquelle tout a commencé sur ce blog. Le temps a bien changé et le syndrome de la page blanche fut bien réel, ou peut-être fut-ce celui de jeune mère sur tous les fronts qui s’est perdue dans tout ce bouleversement qu’est l’arrivée d’un enfant, et s’est gelée dans un quotidien qu’elle trouvait trop étriqué. J’ai eu l’impression de m’éloigner de moi-même, de n’être qu’une version floue, bancale, en développement, une copie en quelque sorte. Une pale copie. Je ne crois même pas qu’on puisse le lier uniquement au changement d’identité qui survient en devenant parent mais plutôt à celui déjà opéré qui est survenu en revenant en France. Je crois que – à bien des égards – beaucoup de choses datent d’avant l’arrivée de Nina. Celle-ci est venue appuyer une réalité déjà bien ancrée : je ne me suis jamais retrouvée depuis que je suis rentrée. C’était il y a pile cinq ans maintenant…
L’autre soir j’ai lu le témoignage d’un journaliste reporter de guerre. Absolument incomparable à mon expérience, pourtant, il témoigne de son retour en France et son décalage avec le monde qui l’entourait alors. Le manque de saveur des choses, l’ennui, le fait de ne pas se retrouver dans les conversations du quotidien, et ce besoin constant d’adrénaline qu’il recherchait pour palier les manques. Et je me suis reconnue dans ce témoignage. Cet ennui mortel le premier été du retour, ce silence assourdissant, cette vie aux antipodes de celle que je venais de quitter, ce gris après le soleil, cette solitude après la communauté, cette banalité après l’extraordinaire, ce manque d’adrénaline, de but, de frissons, d’excitation, d’envie, de découvertes. Moi aussi je les ai désespérément cherchés ces frissons, cette adrénaline et ces aventures. Puis le temps a passé, je me suis apaisée, et la vie a pris son nouveau cours, comme si rien d’autre n’avait existé avant. Et pourtant, tout était là, si près et si loin à la fois. Si ancré en moi.
L’autre jour, alors qu’on parlait à coeur ouvert de notre difficulté à intégrer notre nouveau rôle de parent et accepter cette liberté dont on a été amputés, on a fini par admettre l’évidence : notre vie à l’étranger a été « a blessing and a curse » (une bénédiction et un fardeau.) Et je crois que nous avions chacun largement sous-estimé le poids de ces trois années d’aventures, la façon dont elles ont impacté nos vies à tout jamais, et la façon dont elles ont façonné ce qu’on attend de la vie et comment nous la vivons. Et ça semble si vaste, si imperceptible et si complexe que l’on n’avait pas pris la mesure de ce que ces trois petites années ont transformé pour notre avenir, et à quel point elles continuent de peser cinq ans plus tard, et pas forcément toujours de manière positive.
En parallèle de toutes ces tergiversations, constatations et remises en question, j’ai vécu huit mois dans une sorte de brume épaisse où le soleil brillait par intermittences, plus ou moins fort. Cette brume m’a enveloppée, parfois mise à terre, beaucoup questionnée, parfois réveillée. A l’orée de cette nouvelle année je me suis même mise en action. J’ai décidé de sortir de ma torpeur, de vivre davantage pour moi, d’ajouter de la vie à ma vie pour me sentir vivante après une période où j’avais plutôt l’impression d’être une marionnette dont on tirait les ficelles. Ca n’a pas semblé suffire. J’y ai cherché des réponses, en ne trouvant que davantage de questions. J’y suis devenue pale, une ombre. L’ombre de moi-même. J’y ai expérimenté l’ennui profond, le manque de but, d’envie, de questions métaphysiques existentielles, le manque d’élan. J’ai cru que sans ça je ne pourrais pas continuer d’avancer. J’ai cru que sans repartir très vite assouvir cet élan de l’Ailleurs, cet élan de l’Autre, j’allais faner. J’ai cru que sans l’Ailleurs et l’Autre je ne valais plus grand-chose, que je perdais mes valeurs, ma valeur, mon but dans cette vie complexe et sans cesse en évolution. J’ai cru que ça, ce but (forcément tourné vers l’Autre) était la dernière chose qui me raccrochait à moi. La moi d’avant, la moi profonde, la moi qui a de la valeur, la moi passionnée, la moi dont ma fille pourrait être fière, la moi de l’étranger en somme. J’ai râlé sans agir, questionné sans répondre, rêvé sans oser, envié sans bouger. Je suis restée immobile, fanée, vide et en colère. En colère contre le monde car c’était bien plus simple que de l’être contre moi-même.
Et puis Avril est arrivé comme un boomerang, rempli de projets, d’événements, de deadlines, de retrouvailles, de vie sociale trépidante et enivrante, de bruit, de sollicitations, d’émotions, de nuits trop courtes, de découvertes, d’heures de bus, de voiture, d’Ailleurs et d’Autres. J’étais excitée, enivrée, heureuse de tout cet élan, toute celle vie, toutes ces découvertes dans un quotidien devenu trop gris. En fait je me suis écroulée. Trop remplie et pourtant complètement vide. Pas nécessairement fanée mais paralysée par l’angoisse. L’angoisse, devenue ma meilleure ennemie – insidieuse, sous-jacente et envahissante - depuis maintenant quelques mois et un diagnostic de troubles de stress post traumatique, est cette fois venue me cueillir un midi, sans prévenir. Enfin, pas vraiment sans prévenir justement. Les démons de mon esprit que je combattais pourtant depuis huit mois se sont déchainés, ne me laissant aucun répit. Couper la pensée par les sens comme j’ai appris en thérapie m’était devenu impossible, aucun exercice n’avait le temps de faire effet que déjà mille pensées me tétanisaient. J’ai cru mourir - pas littéralement cette fois (contrairement à cette fameuse fois où toute cette nouvelle phase de ma vie a débuté il y a deux ans et demi en accouchant de ma fille - mais mentalement.) Des dizaines de fois dans mes journées, des pensées morbides me traversaient. Qu’il s’agisse des autres ou de moi, surtout de moi. Je me réveillais et m’endormais avec ces pensées. Je ne contrôlais plus rien. J’avais peur de mourir. Je partais aux toilettes avec mon téléphone et ne fermais pas à clé au cas où je doive appeler le Samu. J’ai perdu l’appétit, j’ai vomi, j’ai eu le corps meurtri d’imaginer, d’anticiper, de me crisper, la fatigue m’a terrassée, j’ai perdu le goût des choses, et je me suis sentie oppressée le soir venu, angoissée de rentrer chez moi répéter les mêmes tâches du quotidien encore et encore. J’ai alors voulu sortir, fuir, voir du monde mais rien ne passait, au contraire. J’ai dit des choses comme « je n’arrive plus à me battre », en parlant de mes angoisses parce que la vie elle je la voulais tellement, encore longtemps. Puis j’ai lâché prise. J’ai tenté d’autres méthodes. Je suis rentrée dans mon cocon du quotidien, chez moi, je ne suis pas sortie, je n’ai vu personne, je suis restée seule avec moi-même, je suis partie marcher, et ça s’est calmé. Un peu. J’ai lu des témoignages de personnes victimes de stress post traumatique et j’ai été soulagée de reconnaître mes symptômes chez d’autres, de lire ceux qui en sont sorti. J’ai été désolée mais aussi rassurée de voir que le mien est très faible. J’ai fortement repensé à cet article lu il y a très longtemps, bien avant d’être mère, où le journaliste parlait des bouleversements de la parentalité et citait « la prise de conscience de sa mortalité. » A l’époque j’avais à peine saisi le sens de cette phrase, aujourd’hui il m’arrive comme durant cette période de ne vivre qu’au travers de cette phrase. Et puis la réalité m’est revenue en pleine face lorsque ma thérapeute m’a dit «Moi je ne suis pas surprise de cette vague d’angoisses, pas au vu de votre état d’épuisement mental et physique récent et ce que vous vous êtes infligée en plus depuis. Votre angoisse est toujours la même. Malgré son extrême inconfort, elle prend toujours la même forme et n’est pas surprenante. Quand elle survient - et qu’en plus elle vous terrasse - écoutez-la. Si vous n’avez pas réussi à vous écouter avant, écoutez-la, elle n’a pas débarqué par hasard, elle vient vous dire des choses. Et surtout pensez à cette phrase : « je dis oui aux autres si je ne me dis pas non à moi-même. » Et puis j’ai ensuite entendu cette phrase extrêmement libératrice : « plus on est connecté à sa vulnérabilité, plus on gagne en puissance. Pas en pouvoir, en puissance. »
Je n’en suis pas encore à remercier mon angoisse, ni à l’accepter ou l’accueillir comme je devrais le faire pour lâcher prise. Je n’accepte pas qu’un incident à définitivement changé le cours de ma vie en m’ajoutant une nouvelle fragilité que je vois toujours comme ma plus grande faille il y a maintenant deux ans et demi. Mais le chemin me semble immense depuis le retour de l’étranger, et depuis ces deux ans et demi dont huit mois à réellement avancer (pas seule, j’ai une excellente thérapeute sans laquelle je ne pourrais pas évoluer aussi vite.) Je crois que cette épreuve récente et ultime (je n’avais jamais passé une semaine complète terrassée par l’angoisse, et je suis absolument époustouflée par les gens dont c’est le quotidien, que ce soit imaginaire ou réel d’ailleurs) m’a ôté d’une peau que je portais depuis trop longtemps. J’ai le sentiment que j’ai débuté une sorte de mue transformatrice qui me propulse en avant. C’est marrant parce que récemment je pensais souvent à ce mythe de la quarantaine comme étant l’âge d’or, et je me demandais ce qu’on avait de plus à 40 ans, quelle sagesse on porte en soi que l’on n’a pas encore atteint à 30 et des poussières. Alors ici je crois que je vais me laisser surprendre par les leçons, et l’évolution.
Je crois qu’avant d’être mère je ne m’écoutais pas beaucoup voire pas du tout. Mais je crois aussi que je n’en avais pas du tout autant besoin. Et puis surtout, ces dernières années avant d’être mère, j’ai vécu une vie extraordinaire qui m’a remplie. J’ai donc pris la mesure des leçons apportées par cet épisode de grande détresse. Le dernier en date datait de Septembre, moins fort mais non moins important puisqu’il a marqué le début des angoisses dans ma vie et donc de ma thérapie pour le gérer et espérer un jour en sortir. Ca avait pris deux semaines durant lesquelles mon moral était en berne, je n’avais envie de rien et j’étais dans une grande remise en question après avoir fait une rentrée dans le même établissement scolaire, en habitant dans la même maison dans la même ville deux années de suite. Du jamais vécu en six ans auparavant. Et l’envie d’Ailleurs était alors venue me cueillir, bien plus intensément que ces cinq dernières années en France, bien plus insidieusement. Sans Nina, j’aurais tout quitté pour m’envoler. Depuis, je vis au quotidien avec ce besoin inassouvi qui prend de plus en plus de place. J’ai souvent l’impression qu’après trois années incroyables – les meilleures de ma vie – il ne s’est rien passé de notoire depuis 5 ans (hormis l’arrivée de ma fille) et que la vie me coule dessus en ne me touchant que trop rarement. Très triste constat qui est pourtant loin de la réalité si je regarde vraiment les choses en face.

Avec cet épisode, j’ai ainsi appris à vraiment m’écouter, m’analyser et me regarder. J’entre dans l’ère du « mieux me connaître pour vivre alignée avec moi-même. » J’ai réalisé que l’Ailleurs et l’Autre ne sont pas plus extraordinaires que le quotidien (extra)ordinaire. J’ai pris conscience que ma valeur, mes valeurs et ce que je suis ne sont pas forcément liés à ce que je fais, et qu’il n’y a pas toujours besoin de faire des choses extraordinaires pour être fier, épanoui et accompli. Que si la Chloé de l’étranger était idéalisée parfois, qu’on la lisait davantage, qu’on l’enviait davantage, ça ne change rien à ma valeur actuelle. J’ai le droit de dire non. Mieux, je dois dire non. Le jugement qui en résulte en dit davantage sur celui qui le formule que sur moi. Mes besoins et mes envies m’appartiennent et ne pas avoir les mêmes que la majorité ne fait pas de moi une marginale pénible. Mon insatisfaction permanente est étroitement liée à mon perfectionnisme mais ne doit pas être vue comme une tare car elle fait partie de mon tempérament. Si je dois accepter mes besoins et donc celui de découvrir sans cesse et d’avoir des fourmis aux pieds, je dois aussi faire la différence entre le réel besoin et le besoin de perfection. Quoi qu’il arrive, on ne peut jamais tout avoir et mon quotidien n’a de sens qu’auprès de ceux que j’aime, mon mari, ma fille et mon chien en priorité. J’ai ainsi lâché prise sur ces choses de notre routine qui m’insupportent, me vérouillent et ma rappellent à ce que je ne vis plus. Ce sont eux ma maison, où qu’elle soit. Je n’ai pas besoin de tout comprendre, tout savoir et tout régler maintenant. J’ai le temps et je peux faire les choses à mon rythme, en respectant ceux de mon corps et mon esprit. Personne n’attend après mon prochain projet, mon prochain accomplissement, mon livre, ma prochaine expatriation ou aventure incroyable. Elever ma fille dans le respect de l’autre, accompagner et transmettre à des ado’ tout au long de la journée est déjà un accomplissement en soi. Toutefois, quels que soient les enseignements, j’ai pris conscience que cette période où la vague m’a renversée, submergée et coulée, est synonyme que je ne vis pas ma vie alignée avec mes valeurs profondes, mes envies et mes besoins. La réponse n’est peut-être pas nécessairement dans l’Ailleurs mais elle est quelque part, et je dois m’écouter. Quoi qu’il arrive j’ai le temps de trouver, tout en apprenant à surfer la vague en sortant la tête de l’eau. Après tout, on ne réussit pas du premier coup et il faut sans cesser recommencer. Sans jamais plus s’oublier…
Au creux de la vague, sous l’eau ou au-dessus des nuages, il n’y a pas plus beau que l’ordinaire, pas plus important que l’Amour et les Autres, et pas plus grand que la vie. Vivons.

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