J’avais étonnement envie de garder cette nouvelle pour moi, celle de sa venue dans notre monde, et j’étais absolument aux antipodes d’une annonce en grande pompe ici, sur les réseaux ou même dans mon cercle proche. Dans cette envie de ne le partager qu’avec mon entourage privé, de n’en parler que « derrière les rideaux », j’ai trouvé beaucoup de réconfort quant à mon utilisation des réseaux et surtout mes relations humaines. Le fait de partager cette grande nouvelle - bien plus aventureuse que celle de s’expatrier au bout du monde – uniquement avec quelques personnes et que cela me suffise, m’a montré que j’avais autour de moi l’essentiel, même si je le savais déjà. Il y avait une sorte de bulle magique qui flottait autour de nous et que l’on ne pouvait toucher du doigt, et une envie de se lover dedans, au calme, loin du tumulte et de l’excitation qu’allaient suscitée cette annonce. Comme si ce petit être avait déjà la capacité de nous ramener dans la réalité, la vraie, celle qui se vit dans l’instant présent et non pas derrière un écran. Cette constatation, comme je le disais plus haut, est pour moi extrêmement rassurante et réconfortante, et s’inscrit dans mon envie profonde de vouloir un enfant, pour toute l’authenticité et l’essentiel qu’il va (r)amener dans ma vie.
Et puis je crois surtout qu’une partie de moi a toujours souhaité rester femme en plus d’être mère (l’un n’exclut de toute façon pas l’autre mais la navigation peut être difficile), et garder mes opinions politisées, mes combats, mes passions et mes convictions tournés vers les sujets qui me passionnent et me transcendent, et pas uniquement vers la parentalité. Mais pour avoir vécu il y a maintenant presque deux ans (et avant cela durant trois ans) un réel combat identitaire entre l’avant, le pendant et l’après expatriation, la plus belle leçon que je porte fièrement pour tout ce qu’elle m’a coûté, c’est bien celle de savoir que notre identité est faite de toutes les personnes qui nous ont habitées à un instant T, de tous les rôles que nous avons, de toutes les expériences dont nous sommes riches. Et rien n’exclut quoi que ce soit d’autre. Chaque infime partie de nous, en mouvement constant, a toute sa place. Se soumettre à ça a été ma plus belle victoire, mon plus bel apprentissage, ma porte d’entrée vers la sérénité (presque) absolue.
Et puis je me suis aussi dit que mon plus grand rêve est certainement qu’un jour mon (mes) enfant(s) lisent mes écrits, pour connaitre la femme qui est en moi, et pas que la maman. C’est vrai, on a tous une vision si étroite de nos parents et qui ils sont, réduits souvent à leur rôle parental uniquement. Enfin, je me suis souvent dit que je ne voulais pas que mon enfant découvre son nom, son visage, ses frasques, ses histoires personnelles étalées partout sur les réseaux quand il sera en âge de comprendre, comme ces enfants stars qui n’ont jamais décidé de l’être et ont subi cette visibilité non choisie qu’on leur avait imposée. Mais j’en ai oublié de me poser cette question fatidique : et s’il ne comprend pas pourquoi il n’apparait nulle part ? Pas même dans mes articles personnels qui ne font pas état de lui en tant que personne mais de moi en tant que (future) maman, en tant que femme qui le porte, l’a souhaité, imaginé, désiré et choisi. Il ne faudrait pas que mon silence lui apparaisse pour ce qu’il n’est pas.
Mon enfant, mon amour, voilà ce que j’ai à te dire aujourd’hui. Voici ma lettre d’amour, ma mise à nu pour qu’un jour peut-être tu saches quel cheminement m’a habité avant ta venue au monde, et ce qui m’habite aujourd’hui, alors que je te porte.
J’ai commencé à te désirer il y a déjà quelques mois. Je crois que j’étais encore au Brésil quand mon envie a germé. Mais pour moi elle n’était qu’une envie, souvent associée aux hormones quand on approche la trentaine, et aux injonctions sociétales. Trop de choses à vivre encore, à voir, à accomplir pour que tu arrives dans mes bras quand je serais prête, accomplie, avec des choses mises en place parce que j’aurais eu le temps. Mais l’envie s’est intensifiée de retour en France, en même temps que je connaissais un épisode de véritable tumulte personnel, après mon retour d’expatriation. L’idée - bien enfouie car inavouable- que si tu étais déjà dans mes bras tout serait plus simple, plus évident, plus léger, me revenait par intermittences, malgré mon désir très personnel et absolument non négociable de faire un enfant dans les meilleures conditions qui soient. Si rien ne peut jamais être parfaitement aligné, ta santé mentale et la sérénité de ton environnement personnel sont les deux choses qui me tiennent le plus à cœur. Si ma raison prend rarement le dessus, là il ne pouvait donc en être autrement, et jamais je n’aurais voulu que tu arrives dans un tel tumulte personnel, aussi humain soit-il.
Et puis le tumulte a laissé place à la sérénité de « l’après », quand la lumière brille de nouveau très fort et qu’on est prêt à l’attraper et se laisser envahir par elle. Mes idées se sont remises en place, tout en allant de temps en temps faire un tour dans les nuages, ceux des rêves, des désirs, des choses à accomplir, à expérimenter, à vivre. Tu apprendras bien vite que c’est ce qui fait mon ADN. J’ai donc fini par constater qu’être accomplie passerait sûrement par toi au vu de cette envie croissante de te connaitre, ce besoin irrépressible de transmettre, partager, tout en prenant garde de ne jamais mettre sur tes épaules mes attentes, mes envies, mes besoins. Si notre équipe à la maison fonctionne très bien et qu’il peut être effrayant de changer ce mode de vie que l’on partage à deux depuis bien longtemps maintenant, l’envie de partager notre vie, nos valeurs et nos aventures avec un autre individu à part entière est devenue bien plus forte que tout. Toutes ces choses que je n’aurais pas le temps de faire en étant mère, je ne les avais après tout pas faites non plus en ne l’étant pas.
Pourtant, je me suis encore souvent demandé s’il ne serait pas plus judicieux d’attendre la fin de « tout ça », le virus du covid, la planète qui s’embrase, la négativité et l’angoisse ambiantes. Ou même d’enfouir mon désir d’enfant pour ne pas accabler la planète encore plus. Ou encore plus évident pour moi, adopter ceux qui sont déjà là et ne demandent que tout cet amour que je suis prête à donner. Mille et une raisons de ne pas se lancer. Celles citées ci-dessus, et d’autres. Une amie m’a dit que j’avais « intellectualisé » ta venue depuis de nombreux mois voire années. Et à bien des égards, c’est de ça qu’il s’agit en effet. Si je devais faire le bilan, tu saurais que tu as été si désiré que tu as même « outrepassé » les mille raisons qui sont à mes yeux, encore aujourd’hui, bien plus nombreuses de ne pas se lancer, que le contraire. Cet avis est purement personnel, partagé par bien plus de personnes qu’on ne le pense mais trop « moche » pour être avoué. Mais vois-tu, je veux être la plus honnête possible. L’honnêteté, la vulnérabilité des sentiments et celle de l’être humain dans sa globalité, sont nos plus belles armes pour enfoncer des portes ouvertes, partager, rendre accessible, rendre tolérant, et construire un monde de demain où l’intimité n’est pas celle d’une fille nue retouchée sur un réseau social ou celle d’une pensée unique mais bien celle de l’âme, brute et honnête, quand les conversation intimes ne sont plus dérangeantes mais absolument humaines, tout en cultivant à tout prix ce jardin purement personnel que notre société du paraitre cherche à nous voler, qui éventuellement n’est mentionné que très tard dans la nuit, un verre de vin à la main, lors d’une soirée qui s’étire, blotti dans un canapé, quand les conversations brutes et fortes sont mises sur la table, auprès d’un ou d’amis très proches. Ce partage-là n’a pas de prix tu verras, et ces soirées, aussi rares qu’elles sont précieuses, sont les fruits les plus goutus de la vie. Sois gourmand !
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Et puis enfin, un dimanche d’août 2020, alors que nous profitions d’une superbe journée ensoleillée avec des amis dans notre QG de Haute Gironde - le Bus du Carrelet - à se goinfrer de burgers maison et boire de succulentes bières artisanales, l’envie de te rencontrer a été fulgurante et l’amour que j’allais te porter a envahi tout mon être. Cet après-midi-là, j’ai pris la main de Tiago, 2 ans et demi, pour l’emmener voir le ferry qui partait du port pour rejoindre la rive d’en face en direction de l’Océan. On a regardé, montré et commenté tout ce qui nous entourait. Ces centaines de petites choses toutes plus belles les unes que les autres, banales pour nous adultes et si exceptionnelles pour lui enfant. Puis je suis retournée à table, et pour que mes amis puissent manger tranquillement, j’ai pris Leïla, 8 mois, sur mes genoux. Elle s’est blottie contre moi. Et Leïla a été le soleil qui a brillé plus fort ce jour-là, l’espoir qui a soulevé les montagnes qui m’entouraient, l’évidence qui a balayé tous les questionnements.
Autour de moi s’est créée une bulle hors du temps et de l’espace. J’entendais de très loin les voix à notre table, comme des sons qu’on perçoit mais qu’on ne prend pas la peine de deviner. Les rires, les conversations, le brouhaha étaient devenus indistincts, insignifiants même. Comme si les adultes à table ne savaient pas arrêter le temps eux, et que quitter leur monde quelque temps était salvateur. Leïla, du haut de ses 8 mois, avait mis le temps sur pause elle. Et cette bulle hors du temps m’a transportée. Je ne saurais dire où d’ailleurs, et je ne cherche pas à le savoir. Seul l’instant présent comptait, ancrées elle et moi dans un moment qui ne s’attrape pas, qui pouvait sembler mille secondes pour une seule, qui n’avait de sens que par cette capacité incroyable de le vivre intensément, facilement, quand il nous semble à nous adultes si difficile de toucher ne serait-ce que du bout du doigt cette préciosité, cette rareté de l’instant présent. Dans nos pensées d’hier, dans nos angoisses du moment, dans nos planifications d’après, jamais oh grand jamais nous ne sommes sur pause, transportés tout en n’ayant pas bougé. Alors j’ai su, que tu étais mon évidence. J’ai su que je ne laisserais la vie m’emporter plus que dans les folies positives, les aventures extraordinaires du pas de la porte ou du bout du monde, celles qui nourrissent et non affament. Avec toi.
Et bien que tu sois à toi seul sans nul doute ma plus belle aventure, t’imaginer auprès de moi est quasi systématiquement accompagné d’images d’aventures ensemble, qu’elles soient dans le jardin mais aussi au bout du monde, ou dans notre cocon mobile, notre van. Dans la découverte de soi, de nous, de toi et des autres. C’est tout ce que je rêve de te transmettre, si tel est ce qui t’anime. Cette ouverture sur le monde, cette beauté partout, et cette ouverture aux autres. Pour ça, tu es déjà tellement entouré mon amour. Une armée de « taties et tontons » girondins et bien rodés t’attendent dans le sud-ouest, des gens qui brillent tellement fort que tu en seras aveuglé, des bras ouverts et impatients sont prêts à t’accueillir et partager des moments de grands et petits bonheurs avec toi partout en Bourgogne, des personnes très chères qui sont auprès de nous depuis toujours pour certaines, par choix, des « tontons et taties » du bout du monde pour partager leur culture et perspective, toute une famille choisie qui s’associe à celle de sang, celle-ci aimante et tolérante, et qui nous a permis avec ton père de vivre la vie dont on rêvait sans jamais nous entraver, en nous inculquant de superbes valeurs qu’il nous tarde de transmettre en commun.
Mais pas d’obligation ni de pression, qu’elle soit familiale ou sociétale, jamais. Juste une communauté pleine de soleil sur laquelle tu pourras compter. Ton père et moi espérons que tu prendras autant de plaisir que nous à découvrir et t’enrichir de ces superbes personnes, et toutes celles qui croiseront ta route à toi, la tienne, celle que tu construiras en dehors de ton environnement familial, celle que l’on te soutiendra toujours à emprunter, et aussi celle que nous sommes impatients de découvrir à travers toi. Nous espérons que tu apprendras comme nous à aimer l’humain avant tout, dans toute sa beauté et sa complexité, dans ses traits parfaitement imparfaits. Mais qui que tu sois, quoi que ce soit qui t’anime, nous sommes surtout impatients de découvrir la personne que tu es car on sait que cette découverte ne sera faite que de surprises. Nous avons à cœur de tenter le plus possible, et du mieux que nous pourrons, de ne pas influencer qui tu es. Nous sommes beaucoup trop impatients d'apprendre à nous connaitre, de découvrir qui se cache au creux de mon ventre, d’ajouter ta personnalité à celles qui brillent déjà autour de nous, de partager avec toi, d’apprendre avec toi, de te découvrir tout entier, au gré des phases de ta vie. Et nous mesurons notre chance que cela nous soit permis car tu es maintenant un membre de notre famille.
Nous te guiderons du mieux que nous pourrons. Nous tenterons de comprendre et respecter tes besoins, toujours. Nous ferons sûrement beaucoup d’erreurs mais j’espère que celles-ci te permettront de comprendre que l’humain n’est pas parfait, pas même tes parents, et qu’il est donc normal que tu ne le sois pas non plus. J’espère plus que tout que cela te permettra de te détacher de cette course à la perfection et l’excellence actuelle, afin que tu te sentes libre d’être qui tu veux être, sans jamais en souffrir. J’espère de tout cœur que nous saurons t’apprendre à être heureux avant tout. Que nous serons de bons exemples pour le bonheur, la sérénité, ce qui anime et enrichit, ce qui fait se sentir bien avec un rien, et puis l’amour sous toute ses formes. Tout cela sans jamais te demander ou t’imposer, simplement en existant nous. Et pour autant, j’espère que tu sauras quand te détacher de nous, ce que nous sommes, pour être pleinement toi, prendre toute la place que tu dois prendre. Car sache que si nous souhaitons plus que tout te transmettre certaines choses et que nous ne pouvons nous empêcher de t’imaginer, nous n’avons pas d'attentes. Nous préférons la surprise de qui tu es, le frisson de la découverte, le lâcher prise de l’inconnu, l’incrédulité de notre rencontre, ou devrais-je dire « nos rencontres », évoluant au gré de qui nous sommes, tous les trois, individuellement et en équipe, à des instants T de notre vie.
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Cela fait quelques semaines maintenant que je te porte au creux de mon ventre. Je ne te sens pas, je te devine à peine. C’est une sensation étrange que de savoir sans savoir. J’ai lu dans un livre que le premier trimestre « on avance dans le noir. » Moi j’ai eu la chance au contraire d’avancer dans la lumière. Je ne sais pas si c’est parce que tu es mon évidence, et que je t’ai beaucoup désiré - parfois sans me l’avouer- mais grâce à toi je brille, je vole, je plane.
J’ai cessé mes lectures, mes écoutes de podcasts, mon intellectualisation de ta venue, de comment il faudrait s’y prendre. Je garde mon trousseau de clés en mains, celles que j’ai collectionné depuis un an de recherches mais je ne veux plus l’alimenter. Je n’en ai plus envie. Tu es devenu à toi seul mon évidence, celle qui ne s’apprend pas mais se vit. J’ai confiance en moi, en nous deux, en toi. Tu m’as insufflé une sérénité inattendue, libératrice, salvatrice même, moi qui ai besoin de tout contrôler. Je me laisse entièrement aller dans cette lumière que tu apportes déjà. Et ce faisant, tu m’as fait retrouver une partie de moi, celle qui m’habite, m’anime, me rend meilleure, m’enrichit. J’ai cru me perdre - comme je le croirai sûrement de nouveau - dans cette grossesse. Et puis quand j’ai eu envie de lâcher mes recherches, fait une overdose de « parentalité », que j’ai détesté ces injonctions jetées sur moi à l’annonce de ma grossesse « alors, tu es heureuse ? », « tu verras c’est comme ci, comme ça », "attention à la prise de poids", "dans quelques semaines tu auras un gros ventre", "tu seras sûrement comme ci, comme ça", comme si d'un coup mon corps appartenait au monde entier, jeté en place publique pour en discuter comme d'une chose anodine, ou que j’ai mal lavé mes légumes, mangé une pâtisserie avec des œufs cuits je ne sais comment et depuis quand, bu une gorgée de bière, ou que j’ai eu envie de me cacher sous la table après l’annonce ou plutôt que l’attention se porte sur ton père et non sur moi, pour une fois, j’ai alors compris pourquoi ces femmes que j’ai lues disent qu’être maman rend « réellement féministe », j’ai compris que je ne m’étais pas perdue, bien au contraire. J’ai compris que tu m’avais lancée sur le bon combat, le mien, et que jamais la maternité ne me prendrait ça, mon féminisme, mon activisme, mes passions, mes idées bien à moi, qu'elles soient comprises, appréciées, validées ou non, ma personnalité de femme, dans laquelle j'emboiterai celle de maman mais jamais l'inverse. Tu m'as ramenée à moi.
Tu es mon évidence, et déjà tu m’apportes tout. Merci infiniment de me chuchoter la mélodie de l’essentiel.
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Mon amour, si je n'ai pas réussi à te montrer toutes les facettes qui font ce que je suis, si j'ai trop changé, trop évolué, trop oublié cette future mère que je suis là tout de suite, j'espère que tu liras cette lettre.
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