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  • Photo du rédacteurChloé

Il y a un an...



Il y a un an, j’imaginais mille et une choses. Toutes sortes de choses. J’avais aussi des tas de questions. Tant de questions. D’innombrables convictions. J’étais bourrée de certitudes, auxquelles s’ajoutaient le double d’incertitudes. Je tâtonnais déjà cette grande ambivalence qui vient avec la maternité, sans jamais savoir à quel point elle allait s’insinuer en moi une fois ta venue au monde. Il y a un an j’avais peur. De tout sauf de ce dont j’aurais réellement peur une fois que tu serais là. Les dernières semaines avant ta venue ont été si longues, si lentes, si spéciales, et ma préoccupation principale était de savoir si j’allais pouvoir te mettre au monde à la maison. Cette question était au centre de ma vie, parfois détrônée par ce à quoi tu allais ressembler. Je t’ai imaginée mille fois, de mille façons différentes. J’ai regardé les photos de mes échographies de longues minutes pour tenter de constituer ton visage dans mon imaginaire. A quoi ressemblerais-tu ? A qui ? Comment serais-tu ? Toi que je construisais jour après jour au creux de mon ventre. Tu étais déjà tellement aimée mais pourtant si abstraite. J’étais loin de me douter. De tout. De tout ce qu’on croit savoir et qu’on découvre, de toutes ces questions qui disparaissent dès lors que vous êtes parmi nous, de toutes ces convictions qui deviendraient obsolètes pour moi, de toutes celles que je garderais tel un marin qui ne lâche jamais son cap. Jamais oh grand jamais je n’aurais pu me douter du raz de marée qui allait arriver avec toi et tout emporter sur son passage…


Il y a un an, un mardi matin à 8h15, le chirurgien t’a retirée de mon ventre et tu as poussé ton premier cri. Je ne savais pas quand tu allais apparaître et ta voix a été l’un des sons les plus poignants de ma vie. Je ne peux décrire l’effet qu’il eut sur moi, je ne peux décrire sans l’abîmer cet instant où je t’ai vue, tes grands yeux bleus déjà si perplexes et si curieux. Ton regard qui s’est posé sur moi, le premier contact de ta peau. Tu étais là, enfin. Tu n’avais jamais existé avant et tout à coup c’est comme si tu avais toujours été là.


Tu m’as emmenée au bout de moi-même. J’ai enfilé une nouvelle identité qui était un peu trop grande, un peu trop bancale, un peu trop lourde, trop neuve. J’ai l’ai pourtant portée très fièrement. Je suis tombée dans un tunnel sans fin après ta naissance, prisonnière de cette faille spatio-temporelle qui vient avec un nouveau-né où rien ne semble avoir existé avant et rien exister après. J’ai voulu accélérer le temps, me transporter loin de ces moments difficiles, retrouver tous mes repères, disparus après ta venue. Je me noyais et je cherchais les solutions dans mon passé alors que seul le futur était à écrire et l’instant présent à vivre. J’ai eu tellement peur de ne jamais savoir, ne jamais être à la hauteur. J’ai tellement angoissé de ne jamais t’apaiser ni être assez bien pour toi. J’étais bourrée de convictions, d’envies, d’idées, d’attentes, de lectures et d’informations. J’ai cru que tout ça m’apporterait les clés mais pour une fois ma connaissance n’était pas un pouvoir suffisant. J’étais perdue, apprenante, balbutiante, déstabilisée. Tu as été ma plus belle leçon d’humilité.



***


Evidemment, très vite j’ai compris que le temps me filait entre les doigts. Et j’ai souhaité le ralentir, en vain. On nous répète que c’est l’épreuve du parent. Celle de ne rien regretter et vivre l’instant présent parce que tout ce que tu étais à l’instant T, tu ne l’étais plus ou tu l’étais plus encore le lendemain. Ton évolution fulgurante m’a donné un vertige qui ne m’a jamais quitté depuis, une idée de ma mortalité qui me prend aux tripes chaque fois que je pense à la possibilité que je puisse te laisser orpheline. J’ai toujours refusé d’imaginer le contraire d’ailleurs, l‘atrocité, l’impensable, où ce serait moi l’orpheline… Avec toi je suis née. Je n’ai pas perdu celle que j’étais mais ma naissance de mère en même temps que la tienne a ajouté une dimension à mon identité qui m’a redéfinie. Quand je cherchais mon futur avec toi dans mon passé, je n’avais pas compris que toi et moi on allait tout écrire. Je ne serais plus jamais « juste » Chloé, je serais à jamais « ta maman. » Mon rôle le plus précieux, celui que je disais ne me définirait jamais mais m’habite. Et c’est dans mon quotidien, dans ce que je suis, dans mes décisions et les mots que je te porte que je me retrouve et que je te transmets celle que j’étais avant toi, nourrie et grandie de toutes ces expériences qui ne te seront jamais étrangères puisqu’elles font partie de moi. Et c’est avec toi, chaque jour, que je me découvre, cette femme qui est aussi ta maman. Faire cohabiter les deux depuis un an a été mon plus grand numéro d’équilibriste, et je crois que le fil sur lequel je marche est encore beaucoup trop fin.


Aujourd’hui tu as un an. J’imagine que chaque anniversaire est une rétrospective douce-amer, une porte d’entrée sur un futur plein de promesses. Mais un an... La toute première année de ta vie. Si spéciale, si bouleversante et pourtant vouée à être infime pour toi. Inoubliable pour nous, tes parents.


Nous t’avons emmenée au bord de l’océan à six semaines. Nous t’avons embarquée dans nos vadrouilles, fait prendre le métro parisien à 4 mois, nous t’avons menée jusqu’en Espagne dans notre camping-car où tu as dormi telle un pacha dans la capucine qui t’était dédiée. Tu t’es réveillée au son des espagnols qui crient et tu t’es rendormie dans nos bras. Tu as trempé tes pieds dans la mer et le sable, tu as dormi comme un sonneur à un concert de jazz, tu as ouvert tes grands yeux pour admirer les paysages et posé ton regard curieux sur ces gens qui t’ont accueillie à bras ouverts en te baignant dans une autre langue. Tu as débuté tes propres vadrouilles et découvertes, goûté ta première mousse au chocolat, dormi dans ton premier « grand lit », changé trois fois de nounou, déménagé du Sud-Ouest de la France en Bourgogne. Tu as développé tes premières vraies relations avec tes grands-parents et tes tantes, avec nos amis, une réelle famille pour nous. Tu t’es émerveillée et tu as été profondément heureuse lorsqu’on t’a emmenée partout avec nous et que tu baignais dans nos conversations d’adultes, hautes en couleurs, passionnées, riantes. Tu as lu sur nos visages et senti dans nos coeurs que l’on était nourris des ces instants et tu t’en es abreuvée toi aussi. Tu as foulé le parquet de ton premier pub, grimpé sur le comptoir où tu as fièrement posé devant la Guinness, digne héritière de nos aventures irlandaises que nous ne manquerons pas de te conter. Parmi toutes ces découvertes, tu as tes favoris, tes repères, tes grandes amours : les animaux et la nature. Tu as instantanément aimé Rex, notre chien, et de cet amour en a découlé un sans pareil pour tout être vivant du royaume animal auquel tu n’as jamais hésité à accorder tes faveurs, chose qu’on ne peut pas dire de l’Homme, que tu accueilles encore aujourd’hui avec circonspection et perplexité avant qu’il ne gagne ta confiance. Tu as passé des heures allongée dans l’herbe du jardin à contempler les feuilles des arbres bouger au vent, à toucher chaque plante, feuille et fleur. Pendant toute la durée du printemps, ce fut notre rituel de fin de journée, cette déambulation dans la nature à la rencontre du vivant qui nous entoure, celui que je souhaite préserver pour toi, celui que je souhaite honorer pour toi.


Toutefois, parmi toutes ces premières fois, ces découvertes et cette vie qui file, c’est bien l’instant présent auprès de toi qui a pris un autre sens et une autre saveur. Le quotidien à tes côtés est bouleversé par ta présence. Celle-ci illumine chaque minute de nos vies et les rend signifiantes. C’est bien ta tête posée sur notre épaule quand tu t’abandonnes au sommeil le soir, ton rire quand on embrasse ton ventre, ta main dans la mienne, l’odeur de ta peau, les « je t’aime » chuchotés dans ton cou, ton sourire espiègle, tes sérénades quand tu manges, la façon dont tu nous agrippes quand tu es heureuse, les cris que tu pousses quand tu es excitée, cette curiosité dans ton regard, ces rires dès que tu vois Rex et tout le reste qui sont les plus doux. Toi au quotidien, c’est ça le plus doux.


***


Il y a un an je croisais ton regard bleu intense pour la première fois. Je te portais pour la toute première fois, minuscule, au creux de mes bras. Tu te lovais contre moi et je dormais tout contre toi durant des semaines entières, courbaturée de ne jamais bouger pour faire attention à ton tout petit corps près du mien. Il y a un an notre quotidien était fait de journées collées-serrées et de nuits hachées dont on pensait ne jamais se débarrasser. Je m’endormais à 19h pendant que ton papa te baladait en porte-bébé puis dans le silence de la nuit tu me rejoignais, tu te posais sur moi, buvais, et je te gardais des heures durant, lovée contre ma poitrine, couverte de mes bras, harassée de fatigue, avant d’oser te poser dans ton petit lit de bébé collé au mien. Il y a un an je n’avais aucune visibilité sur demain, si ce n’est à quelle heure commenceraient les pleurs du soir. Il y a un an seulement, et j’ai déjà presque tout oublié…


***


Ce matin, seulement un an plus tard, j’ai entendu tes petites mains glisser sur le parquet, décidées, après avoir quitté ton lit. Dans l’embrasure de la porte de la salle de bain, alors que je me maquillais et que tu venais me retrouver après la nuit, j’ai aperçu ton sourire espiègle et tes yeux rieurs quand je t’ai vue. Mon plus grand bonheur chaque jour : te retrouver le matin. Il y a un an tu me plongeais dans le plus grand rôle de ma vie mon amour. Un an plus tard c’est celui que je préfère. A tes un an mon amour. A nos naissances combinées. A toi.

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