En Terre de Feu, au bout du monde...
- Chloé
- 6 févr. 2021
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 févr. 2021

J’aimerais vous parler du soleil qui caresse les visages et réchauffe les cœurs en cette période grisâtre à tous les niveaux mais je vais plutôt vous emmener dans le froid cette fois. Exit les terres arides et chaudes d’Amérique latine, bienvenue au bout du monde, le vrai, le seul, l’unique.
La troisième étape de notre road trip nous emmène sur les terres mystiques et reculées d’Ushuaia. La ville la plus au sud de la Terre, la Terre de Feu.

Le mercredi 9 Janvier 2019, nous effectuons un atterrissage spectaculaire à Ushuaia. Celui-là a pourtant été l’un des nombreux atterrissages de notre périple et de notre vie même mais à l’instar de celui sous l’orage à Cordoba, je m’en souviens encore. Nous sommes surexcités à l’idée d’atterrir à Ushuaia. Il y a une certaine magie à se dire que l’on va poser le pied sur le sol de la ville la plus au sud de la Terre. C’est un sentiment grisant, presque mystique. Nous attendons avec impatience les paysages qui vont s’offrir à nous. Seront-ils désolés, spectaculaires, isolés ?
L’avion débute sa descente. Le nez collé au hublot, nous retenons notre souffle. L’engin effectue un virage à 90 degrés et nous offre enfin le graal. Des plaines d’un vert brillant, les Andes au loin, et le canal Beagle. Niché au creux des collines, entre les derniers sommets des Andes, une petite ville aux maisons collées les unes aux autres, petites et colorées : Ushuaia. Nous voilà au bout du monde. Après cinq mois en Amérique latine, le côté européen de ces plaines couleur émeraude a un côté rassurant, comme celui de rentrer à la maison après un long voyage. Je ne peux m’empêcher de penser à l’Irlande. Je souris.
L’aéroport est une construction tout en bois de taille moyenne, à quelques kilomètres de la ville, au milieu des champs. Nous commandons un taxi avec le uber argentin. Ushuaia est une ville de pêcheurs et de touristes. C’est une cité du bout du monde, il n’y a pas grand-chose à part des petites maisons colorées, un port, des bateaux et des hôtels. Cette fois nous ne sommes pas les protagonistes des frères Cohen mais plutôt propulsés dans un film hitchockien… Nous nous délectons presque du froid (10 degrés) après avoir fêté Noël dans la chaleur des Andes arides. Nous nous réchauffons près du poêle dans notre Airbnb et buvons des chocolats chauds.

Le jeudi 10 Janvier, nous passons la journée encore plus au sud, grâce à la générosité de ma petite sœur qui sait me gâter même au bout du monde. Nous prenons le bateau au port d’Ushuaia en direction du phare des Eclaireurs (son vrai nom, en français), et du plus vieux ranch de la région. Nous passons également devant Puerto Williams, le village chilien le plus au sud de la Terre (d’ailleurs le Chili et l’Argentine se disputent le titre de celui qui est le plus au sud, et jouent sur les mots ville et village pour gagner, ou perdre, c’est selon.)
Ushuaia s’estompe petit à petit derrière nous, ne devenant plus qu’une tâche sombre à l’horizon. Nous voguons sur le Canal de Beagle, là où se rejoignent les océans Pacifique et Atlantique au bout du monde, aux portes de l’Antarctique. Nous empruntons cette route célèbre prise par tant d’explorateurs et navigateurs avant nous: Charles Darwin, Fitz Roy, Magellan… certains en y laissant leur vie au fameux Cap Horn. Ce point le plus austral de l’Amérique du Sud est longtemps un point de passage crucial des routes commerciales entre l’Europe, l’Amérique et l’Asie. Il se situe dans la partie chilienne de l’archipel de la Terre de Feu. Les eaux océaniques autour du cap sont extrêmement dangereuses. Le franchir, d’autant plus en voilier à l’époque, est très périlleux. Ce sont ces conditions qui lui ont d’ailleurs donné son côté légendaire et sa réputation de cimetière marin. La Vendée Globe passe notamment par le Cap Horn.
Le Phare des Eclaireurs trône fièrement sur son petit ilot. Aujourd’hui alimenté par un panneau solaire. Nous passons devant l’île Martillo, autrement appelée « l’île aux pingouins » (qui sont en réalité des manchots car ils ne volent pas et vivent sur l’hémisphère sud.) Nous sommes tout aussi attendris et impressionnés devant ces petites bêtes qui sont si habiles dans l’eau et si « manchots » sur la terre ferme. Comme à la Péninsule de Valdès, ils sont des centaines voire des milliers sur l’île Martillo. On aperçoit notamment un manchot Papou avec son bec et ses pattes orange (coucou les fans de Pingu qui prennent de ce fait un bon coup de vieux, moi y compris!)
Nous arrivons enfin au plus vieux ranch de la région, l'Estancia Harberton, bâti par une famille anglaise avec des matériaux uniquement venus d’Angleterre et ramenés par bateau en 1886. Le ranch est situé tout au sud de la Terre de Feu, qui doit d’ailleurs son nom aux indiens Yamana qui faisaient de grands feux que les colons apercevaient au loin en se dirigeant vers Ushuaia. Le ranch abrite également un musée des sciences axé sur les animaux présents dans la région du bout du monde. De nombreux squelettes de mammifères marins et poissons peuplent le musée, et des scientifiques passionnés y viennent en stage. Nous rentrons en bus par une route sinueuse qui nous rappelle l’Ecosse.
Nous passons la soirée dans la principale rue piétonne d’Ushuaia où nous goûtons au plat local : le King Crab. Vous l’aurez compris, du crabe pêché le jour même ou presque, et cuisiné avec une recette secrète succulente !

Le vendredi 11 Janvier, nous en prenons pleins les yeux au Parc National Tierra del Fuego. Le parc est payant et se situe dans les montagnes reculées d’Ushuaia. De nombreuses randonnées, plus ou moins longues et plus ou moins difficiles sont possibles. Nous en choisissons deux pour la journée. L’une qui longe le canal Beagle et l’autre qui grimpe au sommet. La première randonnée nous mène à travers des forêts plus ou moins denses, nous fait traverser des clairières enchantées ou apparaissent des chevaux qui semblent tout droit sortis d’un conte, paisiblement installés dans l’herbe dense, et nous fait longer le canal sur des plages de galets. La deuxième randonnée nous mène au sommet d’une montagne avec une vue époustouflante. L’eau turquoise serpente aux pieds de montagnes aux sommets enneigés, plongeant le regard vers un horizon lointain inatteignable.

Le Samedi 12 Janvier, nous partons randonner en direction de la Laguna Esmeralda. Le chemin serpente à travers des forêts, montagnes et plaines de tourbière, le long d’une rivière. Un petit air du Connemara. A certains endroits, les castors ont fait des barrages de bois immenses. Ils sont apparemment capables de couper un arbre de 400 ans en quatre jours. Cependant, le ministère de l’Environnement et de l’Agriculture demande à être prévenu si l’on aperçoit des castors car ils détruisent une bonne partie de l’écosystème en créant leurs barrages. La lagune est nichée entre les montagnes, visible après avoir arpenté un immense champ rempli de tourbière et gravi une colline. L’eau est d’un bleu clair frappant. On gravit d’autres collines pour admirer la vue d’encore plus haut.
***
Nous passons au total six jours à Ushuaia, stoppés en vol par les bus pour Torres del Paine, notre prochaine étape, absolument complets jusqu’au mardi suivant. C’est à Ushuaia que nous commençons à découvrir la Patagonie touristique, celle dont nous ont déjà parlé d’autres voyageurs. Le revers de la médaille, l’autre côté du miroir, celui que l’on ne voit pas sur les réseaux sociaux épurés et identiques, ce que les voyageurs ne montrent pas sur leurs superbes photos Instagram… Tout est hors de prix (700€ un bungalow rustique car il est à côté du Mont Fitzroy), tous les touristes sont aux mêmes endroits et font un parcours absolument identique dans un sens ou dans l’autre, les compagnies touristiques privées s’en mettent pleins les poches sous couvert d’une protection succincte de l’environnement, insoutenable avec un tel tourisme de masse. La nature devient payante, la vue depuis le sommet d’une montagne est un business, et l’authenticité s’est perdue en chemin sur l’Océan Atlantique entre les mains de millions de touristes qui capturent l’instant en un clic, derrière un écran. Nous ne nous méprenons pas, nous sommes ces touristes et nous faisons partie de ce système. Nous l’alimentons même.
Notre voyage de cinq semaines en Amérique latine aura été pour nous un élément clé dans notre décision de rentrer vivre en France, de mettre entre parenthèses les voyages au bout du monde pendant quelque temps, en voyageant autrement, plus près de chez nous, dans notre maison mobile qui ne dépasse pas les 80km/h, en prenant le temps. Bien loin d’imaginer que le covid allait mettre nos plans à exécution puissance 10… ! Mais je reparlerai de ces dernières réflexions dans le prochain article, le dernier de cette série « une semaine un article » (oui mes semaines sont un peu longues je sais) où je nous emmènerai au Mont Fitzroy et au Parc National légendaire de Torres del Paine. La Patagonie chilienne, montagneuse, sublime et époustouflante.

PS: toutes mes excuses pour la qualité catastrophique des photos. Les originales se trouvaient sur un téléphone volé au Brésil dans les mois qui ont suivi notre périple. J'utilise ainsi des photos Instagram déjà publiées, repartagées et retouchées, et le résultat est carrément moche. Mais peut-être n'est-ce pas plus mal, car il vaut mieux le voir de ces propres yeux...
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