A chaque grande victoire ses obstacles...
- Chloé
- 15 août 2021
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 sept. 2021

Il y a quelques mois, au début de ma grossesse, j’écrivais une lettre à l’enfant que je porte. Une lettre qui faisait état du cheminement qui fut le mien avant de décider de devenir mère, et celui qui m’a habité depuis que je le suis, durant ce fameux premier trimestre souvent vu comme difficile, et dans le noir aussi. Le noir du silence, de la fatigue et des désagréments plus ou moins grands que l’on gère seule ou à deux mais rarement en communauté puisqu’il est commun de le taire. J’avais lu que l’on « avance dans le noir » ces trois premiers mois, en vivant parfois (souvent) avec la sourde angoisse que ce bébé ne reste pas. Dans cette lettre, je disais à mon enfant qu’il était devenu mon essentiel, et qu’il m’avait au contraire fait mettre deux pieds dans la lumière. Je parlais de la difficulté d’être mise en avant à l’annonce de la grossesse et du féminisme qu’il m’avait fait développer encore davantage au vu de la façon dont notre corps passe dans le « domaine public » lorsqu’on attend un enfant. Je disais m’être parfois perdue dans cette grossesse, qui j’étais, qui je devenais, baladée entre cette envie de tout garder pour moi et partager car le partage fait partie de moi. Baladée entre cette envie et ce besoin de rester « moi » avec mes passions, mes combats, mes réflexions qui ne tournent pas autour de la maternité et le fait que celle-ci prenne inéluctablement une place centrale dans ma vie et mes réflexions justement. Je disais que cette grossesse ne m’avait finalement rien pris mais tout donné. Mon enfant, et la lumière qu’il irradie déjà très (trop) fortement dans ma vie, m’a rendue à moi-même. Il m’a lancée sur le même combat que celui que je mène depuis des années maintenant : mieux me connaître et m’accepter afin de mieux m’ouvrir au monde et aux autres, me battre au sens figuré et non littéral pour un féminisme nécessaire mais jamais brutal ni trop peu éclairé, me passionner encore et toujours et ne pas hésiter à élargir ma besace de sujets, d’informations, de connaissances, de débats, de discussions… Tout en ayant conscience de mes limites, et celles de ma connaissance. C’est d’ailleurs le papa de cet enfant, un homme très sage (quand il veut) qui m’a fait remarquer dernièrement que le monde devenait de plus en plus « pseudo expert » en tout. Il suffit à tout un chacun de lire un article pour penser détenir toutes les informations voire pire : la vérité ! Tout ce que l’on a notamment toujours trouvé dangereux dans les sociétés extrémistes, quand la politique s’en mêle (et la politique s’en mêle toujours, rarement pour le bien commun…) Il a dit quelque chose qui résonne encore en moi : « ce n’est pas parce que j’ai lu un article, vu passer une vidéo ou entendu une discussion que je sais. Si ce n’est pas un sujet qui fait un minimum partie de ma vie et sur lequel je m’informe régulièrement voire je travaille, ou si je n’ai pas d’avis, souvent car je n’ai pas assez de données, je m’abstiens de prendre part au débat et prétendre que je sais. » Plus de huit ans après, son silence lors de discussions ou débats, que j’attribuais trop facilement à un manque d’intérêt pour le sujet ou un manque d’affirmation de soi, était en fait de la sagesse, celle qui se raréfie. Mon enfant, sache que je n’aurais pu rêver meilleur père pour te donner la vie. L’article qui suit, si je peux l’écrire aujourd’hui, c’est aussi grâce à lui.
***
Il y a 5 mois j’apprenais ma grossesse et j’écrivais ladite lettre, éditée un peu plus tard, au moment de l’annonce « officielle » sur le blog. Aujourd’hui cela fait un peu plus de 6 mois que je suis enceinte. J’ai fait plus de la moitié et je rentre dans le dernier trimestre dans moins d’un mois.
Le premier constat qui me vient est on ne peut plus banal mais trop vite oublié : à chaque grande victoire son lot d’obstacles. La grossesse, cet état qui transforme le corps d’une femme et la cueille dans sa vie de femme pour lui ajouter le rôle de mère, cette étape qui fait qu’elle va d’autant plus s’oublier pour un autre être humain, devoir apprendre à jongler avec cette part de sa personnalité supplémentaire qui parfois l’éloigne de son côté féminin, pourrait être vue comme l’opposé du féminisme. Pour moi, la grossesse m’a propulsée dans le féminisme, celui que je n’avais encore jamais connu, celui qui est nécessaire voire vital car il me touche à tous les niveaux.
La grossesse a été jusqu’ici un apprentissage exceptionnel et totalement inattendu. Comme je le mentionnais dans ma « lettre », moi qui ai besoin de tout contrôler, qui intellectualise tout et surtout la maternité, qui ne lâche jamais prise, j’ai effectué sans forcer un virage décisif. J’ai stoppé mes lectures, j’ai eu envie de ne plus rien entendre sur la maternité, la parentalité, les injonctions fondées ou non, et je me suis fait entièrement confiance, ainsi qu’à mon enfant. Aujourd’hui, si je reprends doucement mes lectures en vue de la fin qui approche, ce sentiment de plénitude apporté par cette douce sérénité, dans ma bulle, ne m’a pas quitté, bien au contraire. Il a même pris de nouvelles formes.
Je crois que l’élément le plus inattendu fut cette acceptation de mon corps qui est venue ajouter une couche supplémentaire à ma bulle de bien-être et de sérénité, des mois après un combat difficile. C’est comme si, sans le décider ni le forcer, j’avais rendu les armes. Cette victoire est ma plus belle, ma plus douce, ma plus forte. A chaque grande victoire son lot d’obstacles...
Après des années à ne pas aimer mon corps, je vivais encore dans les méandres des diktats, les autres et les miens, et je ne restais jamais loin de la balance, pourtant bien consciente de l’inutilité de cette démarche dans la plupart des cas, et du fait que j’avais un corps sain dans un esprit sain. Contrairement aux idées reçues et aux discours habituels, je ne suis pas plus « grosse » à 30 ans qu’à 20, et j’ai même un corps bien plus sain. Les années à l’étranger, et les prises de conscience qui viennent avec l’âge, ont fait que j’ai appris à moins et mieux manger, à m’intéresser à la nutrition, à avoir besoin d’être active non pas pour mon apparence physique mais mon bien-être et ma santé, et à tout équilibrer (la mal bouffe décomplexée par une alimentation saine la majorité du temps et une activité régulière.) Les recommandations d’usage quoi. Très tôt dans la grossesse, cette petite victoire que je pensais avoir gagné s’est effondrée. J’ai pris conscience que les fondements étaient plus que bringuebalants et que je n’étais pas du tout en paix avec mon corps. J’ai souvent regardé des photos de moi des années précédentes, en remontant à avant, quand je ne faisais ni attention à mon activité physique ni à mon alimentation. J’ai constaté qu’en fait je n’étais pas si mal même à cette époque et je me suis tristement souvenue que même avec pas mal de kilos en moins en Asie (chaleur et alimentation) je me trouvais encore trop grosse sur certaines photos et certains jours dans la glace… Ces deux années passées, je suis parfois descendue quatre kilos en-dessous de mon poids de forme avec le stress du travail, les difficultés personnelles liées au retour, et même là, si je semblais avoir fait la paix avec mon corps c’était donc sans un esprit sain. J’ai pris du poids d’un coup et (trop) tôt dans ma grossesse car j’ai eu très faim et ne me suis pas du tout « rationnée. » Moi qui régule très bien ce corps d’habitude, même après des excès, je n’avais pas conscience du fait que pendant une grossesse, c’est différent, même au début. Le poids pris, je ne l’ai jamais plus perdu, même en rééquilibrant mon alimentation, notamment parce que malgré mon mal-être, je n’ai jamais voulu moins manger, totalement contre-indiqué.
Fin Juillet, nous sommes partis en vacances à deux, en van. Nous étions donc plutôt actifs, j’ai repris une alimentation qui me correspond, je me suis sentie absolument mieux et je ne suis pas montée sur une balance. Le résultat a été inattendu et fou. En rentrant, mon poids n’avait pas bougé alors que mon enfant pousse bien pendant ce temps. Alimentation et activité, comme avant. Ma jauge bien-être était de retour, et avec un semblant de contrôle retrouvé. J’ai alors été envahie du même bien-être et de la même sérénité que celle qui m’habite psychologiquement depuis le début. Mieux encore, j’ai redécouvert mon corps. Je l’ai longuement regardé dans le miroir plutôt que le fuir, j’ai demandé qu’on me prenne en photo, et j’ai trouvé mon corps et mon ventre beaux pour la première fois de ma grossesse. Je me suis même trouvée, parfois, sexy et sensuelle, deux choses que je n’avais jamais pu associer à la grossesse jusqu’ici (à part sur la mannequin Emily Ratajkowski!) Je me suis ôtée cette pression malsaine, j’ai accepté que mon corps change en même temps que ma vie en fait. J’ouvre doucement un nouveau chapitre, c’est normal que tout suive.
Avec cela, j’ai dû ralentir car les vacances avaient été fatiguantes finalement, surtout en van, et j’avais un peu peur pour mon bébé. Sa position basse, les petits coups moins réguliers. J’allais recevoir du monde chez moi et je n’ai pas couru partout pour faire des bons plats en avance, que la maison soit parfaitement propre, et la chambre ultra accueillante. Je me suis posée, longuement, sur mon canapé, plusieurs fois dans la journée. Je n’ai jamais forcé et j’ai accepté sans broncher mon état plutôt régulier depuis le début de la grossesse de « je n’ai pas envie de faire. » La culpabilité qui m’a toujours habitée quand je ralentis, la frustration qui est la mienne depuis le début de la grossesse de sentir mon corps peiner plus vite, plus souvent, et ce besoin de souffler ou s’assoir qui devient régulier ont disparu. Ces moments de calme que je m’octroyais par besoin car c’est ma nature, constamment entachés par la culpabilité et les pensées angoissées qui ne sont jamais ancrées dans le moment présent, ont pris une autre tournure, jamais expérimentée jusque là. Celle d’accepter ralentir, aimer ralentir, et surtout assumer ralentir ! Le poids enlevé des épaules dépasse largement celui pris depuis six mois !!
Je prends soin de moi et donc de mon enfant, et toutes mes interactions avec les autres s’en ressentent. C’est primordial !
Je suis aujourd'hui habitée par une gratitude que j’ai toujours voulu cultiver, l’une de mes plus belles leçons de l’étranger, mais que je n’arrivais plus à retrouver depuis mon retour. Elle est aujourd’hui décuplée. Gratitude pour ce qui m’entoure, les miens, mon compagnon, ce nouveau chapitre, et mon corps aussi. Les changements sur mon corps semblent en effet bien dérisoires face au fait qu'il me porte depuis six mois sans lâcher. Je n’ai pas été malade, j’ai tenu devant des classes de 30 élèves surexcités, je les ai même accompagnés en sortie scolaire sous 35 degrés, j’ai fait des rando’, dormi 10 jours sur un matelas de fortune dans un van, n’ai fait aucune réaction au vaccin contre le covid… Je pense et j’espère faire profiter mon enfant d’un bon système immunitaire du coup. Et le mieux dans tout ça ? Si j’ai de la gratitude pour mon corps, je ne veux plus qu’on me place en « superwoman. » Parce que faire l’apologie des femmes qui font tout jusqu’à l’accouchement sans ralentir, qui ne se plaignent jamais ou ne sont jamais malades est anti-féministe. C’est dangereux, c’est contraire aux valeurs de la sororité et à celles de tolérance et solidarité qu’on devrait inculquer à nos enfants.
En somme, j’ai repris le pouvoir sur mon corps et mon esprit. Mon pouvoir de femme notamment. La préparation à l’accouchement à domicile est également une partie essentielle et incroyable de cette reprise de pouvoir. Je n'en parlerai pas ici car c'est un choix personnel et surtout mes connaissances sont encore limitées, surtout à la théorie. Mais ce choix, ce qu'il m'apprend et ce à quoi il me prépare - que l'issue soit ou non un accouchement à domicile - est encore une fois totalement lié au féminisme. C'est redonner à la femme son plein-pouvoir. Lui dire que peu importe comment elle accouche, c'est elle l'actrice principale. On ne l'accouche pas, elle enfante elle-même. Les données "historiques" sur l'accouchement médicalisé vs. physiologique sont d'ailleurs extrêmement intéressantes lorsqu'on creuse un peu, peu importe le type d'accouchement que l'on choisit (ou subit d'ailleurs.) A la fin, la femme est celle qui détient le pouvoir. Point.
Toutes ces prises de conscience, c’est une délivrance, une leçon, une porte grande ouverte vers un féminisme assumé, éclairé, nécessaire et dosé. C’est une avancée inattendue, dont il faut prendre soin car elle est très fragile, et que des tas de femmes n’atteignent pas ou trop tard.
Avec cela, j'apprends également à prendre du recul face aux conseils non sollicités, aux personnes qui étalent leur expérience ou celles du voisin, qui récitent des bouquins (avant je pouvais faire pareil) parce que je suis sereine justement. Si cela m'agace toujours, avant j'aurais sûrement été envahie par un sentiment d'infériorité ou de culpabilité "moi je ne sais pas", "il faut que je me renseigne davantage du coup." Aujourd'hui j'ai compris que les remarques, conseils et expériences des autres, et le besoin qu'ils ont de le partager et la manière dont ils le partagent à tout à voir avec eux et rien avec moi. Je sais ce que je sais en théorie, ce que je ressens aujourd'hui et depuis six mois mais j'ai conscience grâce aux mamans qui parlent, font preuve de bienveillance et de bon sens que chaque enfant et chaque expérience est différente et que la théorie ou l'expérience de l'autre ne sera pas la mienne. Le fonctionnement d'un enfant en particulier ou un témoignage de livre ne feront pas office de réponse miracle ou de Bible pour le mien.
J'ai donc intégré qu'il y avait autant de raisons, bonnes ou mauvaises - là n'est pas la question- de partager son expérience, ses connaissances etc. que de personnes, et que ces raisons étaient indépendantes de moi-même donc ne me touchent plus. Si cela peut encore m'agacer, ça ne change pas la confiance que je me porte et la sérénité qui m'habite. Je me sens déjà être "la meilleure mère" pour mon enfant et j'entends bien cultiver ce sentiment qui je le sais, est souvent bancal sur ses fondations. Ce qui me touche beaucoup en revanche, c'est la façon de partager. Certaines femmes (et plus rarement hommes sur ces sujets) ont cette incroyable capacité de partager avec une bienveillance et un recul qui permettent aux autres de ne jamais se sentir "diminué" ou de se sentir comme si eux ne savaient pas. Cette transmission-là, celle que nous autres enseignants sommes d'ailleurs censés cultiver, est une richesse exceptionnelle. Je remercie ainsi les mamans (dont la mienne) qui partagent, racontent, répondent aux questions en ne disant jamais "il faudra que", "un enfant est comme ci, comme ça", "tu seras comme ci, comme ça" etc., n'énoncent pas de vérités générales et ne récitent pas de livres. Elles témoignent, décident de partager un morceau de leur intimité, ne font jamais sentir aux femmes non mamans ou celles en devenir qu'elles ne savent pas encore, et surtout ne croient pas détenir une quelconque vérité, même en élevant elles-mêmes des enfants, parfois déjà bien grands. Cette sororité et ce partage sont des armes imparables dans ce chapitre nouveau et plein de rebondissements.
Six mois plus tard, cette grossesse est pour le moment un état de grâce auquel je ne m’attendais pas. Je n’adore pas être enceinte. Je voudrais courir, boire et manger ce que je veux, avoir toute ma mobilité, ne pas perdre d’énergie quand j’en ai besoin, ne pas m’essouffler. Mais psychologiquement, ce que cela (et mon enfant) m’apportent, dépasse tout ce que j’aurais pu espérer.
Mon bébé, il y a cinq mois j’ai écrit que tu m’avais ramenée à moi, relancée dans le combat qui est le mien, sur la voie du féminisme. Je ne savais juste pas à quel point. (R)amener l’essentiel dans ma vie est déjà l’un de tes pouvoirs magiques. Cette acceptation de soi, cet amour que je semble réussir à me porter grâce à toi, c’est la moindre de mes contributions pour un avenir différent pour les femmes. Pour toi… ma fille.
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