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Et après, que restera-t-il de tout ça?

  • Chloé
  • 29 mars 2020
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 18 oct. 2020


Dimanche 29 Mars 2020 - Confinement jour 13

Hier nous avons changé d’heure. Passage à l’heure d’été. Une heure de plus qui ne passe pour une fois pas inaperçue dans ce monde confiné. Et pourtant…


Pourtant en quinze jours de confinement nous nous interrogeons toujours sur le sens du temps. Comment le prendre, l’apprécier, comment ne pas le laisser filer. A quinze jours de confinement, les emplois du temps ne sont pas nécessairement allégés et les obligations familiales multipliées. On se demande comment prendre le temps pour ceux qui n’en ont pas, ceux qui n’en ont plus, et qui sont au cœur des conversations, au cœur du monde en ce moment-même. Il faut prendre le temps pour ces soignants qui en manquent cruellement, pour ceux qui dans un monde ultra-mondialisé sont sacrifiés sur l’autel du profit et continuent de travailler, ou tout simplement ceux qui sont indispensables à notre société. Mais il ne faut pas trop prendre son temps car il ne faudrait pas paraître en vacances quand d’autres se tuent à la tâche. Mais je m’interroge, avant de savoir prendre le temps, ne faudrait-il pas déjà apprendre à le prendre pour soi et pour personne d’autre ? Si on ne le fait pas, quel sera alors l’impact de tout ça, sinon uniquement négatif ? Sinon éphémère, une désillusion ?


Depuis quinze jours, et de manière totalement incroyable, le monde presque entier vit la même chose. La planète Terre est en pause, simultanément. Comme on l’entend à longueur de journée, les humains combattent un même ennemi, tous ensemble, pour la première fois. Instagram et ses légendes épurées s’en donnent à cœur joie. Nous sommes unis face au mal, main dans la main, dans un formidable et inattendu élan de solidarité. Vraiment ?  


Il y a ceux sur le front, les soignants, et tous les autres. Il y a ceux qui s’inquiètent pour leurs finances et leur avenir, ceux dont on ne parle pas aux informations, les grands oubliés, ceux qui ne sont pas suffisamment des héros, ceux qui prennent cette période pour des vacances, ceux qui sont dans le déni, ceux qui, dans un sursaut d’individualisme, de peur irraisonnée ou de bêtise, accumulent des courses en privant les autres. Il y a ceux qui culpabilisent de ne pas savoir utiliser cette chance qui nous est donnée : avoir du temps. Ceux qui culpabilisent de trouver le temps long, qui s’en veulent de crier sur les enfants, les conjoints, de ne pas faire d’activités manuelles trop cool comme celles que fait la voisine, dont les images épurées sur son feed Instagram donnent envie de pleurer. Et puis il y a ceux emprisonnés dans une réalité cauchemardesque, battu(e)s, agglutinés dans 30m2, seuls, malades, dépressifs... Parce que la réalité ne s’est pas confinée elle, elle n’est pas sur pause. Et nos réalités divergent. Dans cet élan de solidarité tant prôné, le monde semble pourtant ne jamais avoir été autant divisé.


Confinés au 21ème Siècle, c’est la dangerosité des médias, des réseaux sociaux, des technologies qui nous relient et qui prennent alors tout leur sens, ou leur non-sens. L’effet pervers des réseaux sociaux, que j’appelle « l’effet mouton », et dans lequel il est difficile de ne pas tomber, a déjà inventé 300 hashtags, 10 000 memes, et 500 légendes Instagram super cool. On exhorte les gens à penser aux autres, relativiser, profiter de ce temps qui semble tomber du ciel. On crie haut et fort que c’est si important de ralentir et regarder les fleurs pousser. On prend part, sans recul et sans réflexion, au grand refrain mondial, et tous ensemble en chœur on chante qu’il faut admirer la nature et s’arrêter de courir, juste un instant. On chante encore et encore, toujours plus fort, depuis nos canapés à 500€, connectés sur Amazon, en scrollant dans nos vieilles photos, celles qu’on prenait quand on avait encore la chance d’être « libre », de sortir, pour montrer au monde entier nos vies remplies, nos mille activités, nos voyages à l’autre bout du monde. On chante sans peur de s’égosiller alors qu’il y a quelques mois on zappait avec colère et ennui ces articles redondants et « relou » sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, les alternatives, ces reportages catastrophe sur la planète qu’on bousille, sur ces humains chiffrés du bout du monde, ceux qu’on ne voulait pas voir par facilité. Parce que merde, qu’est-ce qu’ils nous saoulent ces hippies fainéants à vouloir vivre sur le dos du contribuable avec leur salaire universel, à ralentir quoi, comment, pour quoi et pour qui ? Le travail c’est la santé, on nous l’a toujours dit. Si les bobos sortis des grandes écoles ou les marginaux pètent les plombs en refusant le système qui nous écrase, fait de nous des données chiffrées, du rendement, et broie nos sociétés en nous volant notre futur et celui de nos enfants, qu’ils le fassent en silence, faudrait quand même pas qu’ils poussent aux remises en question… Mais aujourd’hui y’a confinement, et c’est cool les remises en question, alors on reprend le refrain, juste pour un moment, juste pour un instant, mais pas trop longtemps. Tout à l’heure il faudra sortir applaudir le personnel soignant, celui qu’on n’a pas voulu écouter ni entendre car ils n’étaient pas notre priorité. Et prendre une jolie photo de papillon avec le nouvel iPhone triple S qui nous a coûté un SMIC.


Cette pandémie nous rappelle que les gens sont mortels, que les autres sont des humains. Pourquoi est-ce si dur de voir les chiffres tomber quand c’était pourtant plutôt facile de fermer les yeux sur ces migrants noyés, ces indigènes chassés, ces enfants enfermés dans des camps, ces génocides..? Ces gens-là allaient nous voler quelque chose de précieux si on se retournait : nos œillères. Et pourtant, qu’est-ce que c’est angoissant, un petit virus invisible l’a fait, lui. Parce qu’il menace non seulement notre santé, celle de ceux qu’on aime mais surtout notre liberté.


La mondialisation ne touche pas que les systèmes. Elle n’est pas uniquement palpable sur les marchés financiers, elle s’attaque depuis quelques années à nos pensées. Que démontre cette période inédite de crise ? Notre retour systématique, automatique, et surtout conditionné, à nous-même. Qu’on le veuille ou non, on est presque tous incapable de ne pas se mettre au centre de cette pandémie. En ayant peur pour nos proches avant ceux des autres, en souhaitant que le confinement soit vite levé parce que l’ennui est mortel. Nous sommes humains, un savant mélange d’égo et de fragilité, et crier haut et fort le contraire est un mensonge. Cette surenchère d’informations et de paroles bien pensantes, qui nous rassurent tous, et qui n’en sont pas moins parfois pertinentes, nous empêche dans un sens de vivre cette période de manière purement personnelle. Nous sommes exhortés à ressentir telle chose et pas une autre, à agir de telle manière, à suivre une vérité universelle, à rentrer dans l’éternel moule qu’on ne manque jamais de façonner, même en temps de crise. Le retour à soi, le vrai, où l’on ressent vraiment, personnellement et individuellement, avec toute la violence et la douceur que peuvent prendre nos émotions, semble quasiment impossible dans cette « mondialisation de la pensée. » Tout est lissé, épuré, jeté dans une pensée commune dont on s’abreuve comme des assoiffés. L’individualisme et le groupe se heurtent, se mélangent sans règles, sans frontières, ils se confondent, et perdent ainsi tout leur sens.


Il est peut-être temps, non pas seulement de regarder les fleurs pousser, mais de travailler à un vrai retour à soi. C’est-à-dire non pas celui que la société nous pousse à faire, mais le nôtre. Purement individuel, totalement unique. Et ainsi nous permettre de penser, de ressentir et de voir. Cette période confinée où nous sommes sans activités, sans travail, sans routine, sans les autres aussi, nous permet de regarder en nous sans être conditionné par l’extérieur, sans que nos pensées soient anesthésiées, parasitées, biaisées par une course folle.


Il faudra d’abord prendre du recul, aiguiser sa réflexion, accepter de voir, sans fioritures et pas à travers le prisme des médias, une certaine réalité. Il faudra aussi et surtout accepter de se tromper, de lâcher prise, de ne pas toujours y arriver, de baisser les bras, et de retenter. Nous permettre un réel retour à l'essentiel. Pas seulement souhaité, enjolivé, rêvé, mais celui qui prend la forme d'un travail, d'une remise en question et qui apporte son lot de difficultés. Prendre également du recul sur les circonstances exceptionnelles qui ne seront plus notre quotidien dans quelques semaines, afin de se préparer, de ne pas se leurrer et de ne pas oublier trop vite. Et peut-être ainsi pouvoir en tirer vraiment quelque chose, et pas seulement pour se rassurer aujourd’hui. Et pas seulement pour nous, mais aussi pour les autres.



Il faut reprendre le cap, celui qui est mis en lumière aujourd’hui. Penser aux autres avant soi, réfléchir - même lorsque c’est gênant - à notre impact, nos actions, notre place dans le système et à quel point nous sommes profondément en accord ou non avec cette place. Cette mise en lumière c’est celle de prendre le temps, surtout de s’écouter, quelque soit ce qui en ressort, et peu importe si ça rentre ou non dans le moule de la « pensée (qui semble) commune. » Etre indulgent avec les autres, et pour cela l’être avec soi avant toute chose, mais prendre ses responsabilités. Il est (encore) temps d’agir, pour que dans quelques mois, quelques années, on ne pose jamais cette question : « et que reste-t-il de tout ça ? »



 
 
 

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