Ma vie d'expatriée, ma plus belle leçon d'inclusion
- Chloé
- 5 juin 2019
- 11 min de lecture

Trois ans à l’étranger c’est autant de rencontres, d’histoires, d’éveil, et surtout l’apprentissage de l’inclusion, la vraie.
"L’inclusion est l’action d’inclure quelque chose dans un tout ainsi que le résultat de cette action." C’est un terme un peu vaste que l’on utilise beaucoup dans l’éducation. C’est une politique par exemple qui s’oppose à l’exclusion, autrement dit qui n’exclut pas l’élève quand il fait une erreur mais tend à l’inclure pour davantage de résultats positifs.
Dernièrement, alors que je suis sur le point de clore un chapitre de ma vie et d’en commencer un nouveau, je pense beaucoup à ce que ces trois années m’ont appris et apporté de plus conséquent. Certes j’ai le frisson de l’inconnu mais je retourne aussi « chez moi », ou disons vers ce que je connais le mieux (même si je n’en suis pas si sûre, je me demande chaque jour comment vivre « chez moi », comment ne pas parler une autre langue, ne pas passer des heures au supermarché pour chercher des produits, aller voir des films en VF et pas en VO etc...), c’est donc une période de réflexion intense.
L’autre soir, j’écoutais la brillante Lauren Paul parler de religion dans un podcast. Les mots qu’elle a choisis et la façon qu’elle a eu d’expliquer son approche de la foi ont résonné en moi, particulièrement après cette année passée dans un environnement extrêmement religieux qui m’a énormément mise à l’épreuve, et ont résonné bien au-delà de la religion d’ailleurs. Lauren dit qu’elle ne partage pas la vision chrétienne qui veut que l’homme soit pêcheur par nature. Selon les chrétiens évangélistes (je parle de ce que j’ai appris ici, je crois que les catholiques ont la même vision), Jésus est mort sur la croix pour nous sauver, nous mortels, car nous sommes remplis de pêchés, nous sommes mauvais par nature, nous devenons meilleur à travers la religion et grâce au sacrifice de Jésus. Les croyants ici sont persuadés que les Hommes sont mauvais mais que la religion est leur ligne de conduite pour sortir du pêché, moi je suis persuadée du contraire. Que l’Homme est bon mais que c’est l’environnement, la vie, qui le rendent mauvais.
Lauren dit qu’elle a désaimé l’Eglise en voyant comment celle-ci pouvait faire du mal et juger d’autres personnes, spécifiquement parce qu’elle a cette vision étriquée de l’Homme en tant que pêcheur et cette idéologie très spécifique de ce que doit être cet Homme. Elle dit également qu’elle ne veut pas avoir à mettre de mots sur ce en quoi elle croit. Son approche est agnostique, que je partage. Elle dit spécifiquement : « je crois qu’il y a quelque chose en dehors de nous mais je suis aussi ouverte à ce qu’il n’y ait rien. Je suis ouverte à tout, je ne veux pas dire que quelque chose est vrai ou faux parce que c’est trop exclusif. Je n’aime pas ça. Je n’aime pas l’idée que selon la religion (chrétienne) il n’y a plus rien à découvrir. Quand j’imagine Dieu j’imagine l’Univers, et j’adore ça parce que dans ma tête je vois une expansion éternelle. Et je veux que ce en quoi je crois soit sans cesse en train de s’étendre et que ça inclut les choses et les gens. »
Cette dernière idée d’inclure les choses et les gens, et que sa foi et sa découverte ne cessent de s’étendre est l’image parfaite de ce que ces trois années m’ont apporté, et de ma façon de voir la vie aujourd'hui. C'est à dire cette notion d’inclusion, sans conditions, d’éternelle découverte des autres, des possibilités, de la vie, de soi.

Avec cet article je voulais donc rendre hommage à cet apprentissage et surtout à ces gens qui ont été au cœur de celui-ci. La liste est longue mais certaines histoires me reviennent automatiquement.
Nous avons vécu avec un turc musulman en Irlande du Nord, c’était notre première vraie expérience d’inclusion, de différences culturelles, religieuses, notre première plongée dans l’univers international où on apprend à porter un autre regard sur les choses et sur les gens, à ouvrir sa perspective en voyant qu’il y en a tant d’autres ! Beaucoup d’allemands et de personnes rencontrées ont également participé à notre éveil sur la nature, l’écologie, un monde davantage durable et sain.
Becky a partagé ses croyances, ses convictions et ses recettes vegan sans jamais faire de propagande. C’est elle qui m’a montré qu’on ne mène pas un débat par la force, que si l’on est d’emblée fermé aux idées et à la perspective des autres, le dialogue est stérile alors qu'il est justement LA clé.
En trois ans nous avons côtoyé tellement de personnes différentes, d’horizons et nationalités différents. Chaque personne a participé à élargir ma vision, à me prêter un autre regard. Les différences culturelles dans ma vie au Brésil sont énormes. Il faut savoir prendre du recul quand les brésiliens sont ultra dramatiques et vivent leur vie comme une série télé car c’est leur culture et que c'est rarement personnel. Ou quand les américains sont tant centrés sur eux-mêmes et ne valorisent que le travail car c’est leur culture. Quand mon collègue philippin ne met pas de filtre sur ses paroles ou quand mes collègues croyants se réfèrent à la Bible dans chacune de leur phrase. Avant de s'habituer à une telle communauté internationale qui pense différemment sur à peu près tout et qui exige donc une tolérance et une ouverture à toute épreuve, on est assez choqué par ces comportements, avant qu'ils ne deviennent notre norme. Et ce n’est pas facile non plus de faire attention à mes propos car je sais qu’ils peuvent être interprétés à l’opposé de ce qu’ils sont vraiment. Mais c'est cette inclusion de toute personne et de toute chose qui est ma plus belle leçon.
J’ai vu et je vois des personnes que je respecte et estime tant avoir des convictions et idées que je ne respecte et n’estime absolument pas. Des personnes éduquées et ouvertes voter Brexit, des professeurs voter Bolsonaro. Mais j’ai aussi vu des personnes pratiquer l’inclusion chaque jour sans pour autant diminuer leurs convictions ou leurs croyances, et ce fut l’une de mes plus belles leçons d’humilité. Je pense notamment à mon amie Elisa qui est agnostique et que je vois prier chaque matin, les yeux fermés, quand ce n’est pas elle qui se dévoue à prier tout fort pour tout le monde parce que personne n’a levé la main ce matin-là, alors qu’elle tente de ramasser les pots cassés dus à la religion chaque jour dans son bureau, qu’elle voit la souffrance infligée par celle-ci sur des adolescents sans défense. Elisa qui est meilleure amie avec une femme qui a voté Bolsonaro alors qu’Elisa participe aux marches féministes et anti-Bolsonaro, et qu’elle a couru à n’en plus pouvoir le jour des élections quand son uber était coincé dans les bouchons, et qu’elle voulait par-dessus tout voter contre lui. Elle soulève une question majeure toutefois : « suis-je vraiment si forte ? Est-ce vraiment si courageux et humble ou devrais-je plutôt fuir et me battre pour mes convictions ? [...] Je me dis qu’au moins au cœur du problème je fais davantage une différence qu’en fuyant. » Touché.
Le cas d’Elisa n’est pas isolé et c’est aussi l’une des leçons qui m’a le plus marquée durant ces trois années. Ne jamais supposer, ne jamais juger. C'est dur quand on est tant conditionné ainsi, mais c'est essentiel. Ne jamais supposer qu’on comprend parfaitement quelqu’un qui a une autre religion, couleur de peau, sexualité, culture etc... ou qu’on a tous les droits et toute la légitimité de juger "parce qu'on sait mieux, parce qu'on sait qu'on a raison." On en revient toujours à la différence de perspective. On ne voit pas tous avec les mêmes lentilles.
Il y a quelques semaines mon collègue prof de maths et moi avons eu un débat avec des terminales vegan sur le veganisme en tant que mode qui peut vite devenir dangereuse pour des raisons écologiques et durables, éthiques même, parce que quand les grandes multinationales récupèrent le phénomène il ne peut rien en sortir de bien ou de responsable, et qu'il est prouvé par des études scientifiques (j'en ai épluché plus d'une ce soir-là) que certains vegan sont moins écolo' que des omnivores. Notre propos était surtout de dire qu'il faut de l'équilibre dans tout, même dans le veganisme. Les élèves n'ont entendu que ce qu'elles souhaitaient entendre, nous ont sauté à la gorge, se sont fermées complètement. J'ai eu beau dire que je mangeais de la viande entre une fois tous les quinze jours à une fois par mois et penser très fort que j'achetais en majorité des fringues de seconde main et que je comptais vivre dans une tiny house auto-suffisante dans un futur très proche, elles n'entendaient rien et se complaisaient dans leur rôle de justicières sociales outrées. La façon dont elles se sont automatiquement braquées, fermées, et ont pensé du début à la fin avoir raison sans écouter m'a rappelé comment j'étais avant de partir. Et ça en dit long sur ces trois ans. On ne peut pas débattre seul, même lorsqu'il s'agit de convictions éthiques et de valeurs. Si je n'accepterai jamais un discours homophobe ou raciste, le plus important est que je l'entende, aussi dur soit-il, pour essayer de le comprendre, amorcer la discussion et avec chance réussir à inverser la pensée de mon interlocuteur ou au moins lui faire comprendre la mienne et ainsi créer une réflexion après coup qui peut tout changer. "On ne virera pas les nationalistes et les extrêmes au pouvoir en crachant sur leurs électeurs et en pensant qu'on est mieux qu'eux" est un discours que j'ai beaucoup entendu et lu en 2017, et il est on ne peut plus vrai. Perspective!

L’inclusion c’est inclure les choses, les personnes, les différences culturelles et politiques mais c’est aussi inclure tous les styles de vie, toutes les idéologies du bonheur, c’est revoir sa vision à la hausse de ce que peut être sa propre vie et surtout de ce que sont les codes de la société. J’ai côtoyé tellement de gens aux histoires incroyables et aux parcours atypiques que j’ai presque cessé de croire au modèle qu’on m’a servi depuis 29 ans. J’ai compris qu’il y avait mille et une façons de vivre sa vie !
Je pense à Becky qui quitte un job dès qu’elle n’est plus suffisamment heureuse et qui part faire des missions HelpX de temps en temps juste pour rencontrer des gens, continuer d’apprendre, faire sa part dans la société, être heureuse simplement, en vivant selon ses propres codes. Je pense à Matt, 45 ans, qui vit très frugalement avec ses deux enfants au Brésil, chrétien et ancien pasteur divorcé, qui accepte que la vie ne soit pas ce qu’il imaginait mais qui choisit sa vocation, son cœur et son intuition chaque jour malgré l’appel de l’argent et de la stabilité. Je pense à Barry et Kim qui ont vendu le rêve américain pour venir s’installer au Brésil avec leurs deux enfants en bas-âge. Je pense à tous ces américains qui n’ont pas eu des parcours linéaires car ce n’est pas dans leur mentalité à eux, et qui n’ont aucune honte à rentrer chez eux et être serveur, nanny ou réceptionniste pour gagner leur vie, vivre une transition, continuer à faire ce qui leur plait à côté (art, théâtre, dessin...) car chez eux la notion d’échec n’est pas taboue et qu'il n’y a pas de job de « seconde zone » qu’on a honte de mentionner.
Alan, brésilien qui a vécu aux États-Unis, a fait des petits boulots puis enseigné l'informatique à l'école à Rio, est aujourd'hui responsable RH. Henrique et April, mariés, 35 ans, et qui vivent chez les parents d'Henrique pour économiser et vivre leur rêve brésilien. April qui est l'une des femmes les plus intelligentes et douées que j'ai rencontrées dans ma vie, une institutrice hors pair qui n'a pas eu peur de faire vendeuse en rentrant aux US il y a trois ans après dix ans passés en dehors de son pays. Rebecca et Lauren qui ont toutes deux eu un bébé cette année, à des milliers de km de chez elles, en démissionnant de l'école en même temps, prêtes à affronter un futur incertain à deux ou trois. Rachael, qui va épouser son compagnon brésilien avec lequel elle va repartir vivre aux US, prête à laisser son job bien-aimé pour gagner davantage d'argent en faisant serveuse (le jackpot aux US) afin de le soutenir durant sa transition et s'il faut repasser des diplômes/examens, par amour. Moi, qui étais si fière de ramener l'argent sur la table cette année passée et qui ne me rendais pas compte que j'étais en fait bouffée par la culpabilité au fond de moi, et qui suis la plus heureuse et la plus amoureuse depuis que mon mari travaille de nouveau, et que son bonheur irradie à travers nos échanges à distance, à 10 000km, parce que je suis bien la seule ici à encore écouter ces diktats à la con de femme indépendante, de conjoint suiveur, de rôles inversés et tout ce bla bla qui n'a rien de personnel ni d'humain. Car chaque histoire est différente et personnelle.
Je pense à Fanny, cette française rencontrée virtuellement via mon blog qui a vécu trois reconversions professionnelles (ce mot tellement français que je n'entends jamais ailleurs où il est normal de tester, changer, travailler dans des domaines différents), et qui a finalement trouvé son bonheur là où elle ne l’aurait jamais cherché. Et puis quelques amis proches français qui participent à élargir ma vision, même quand eux n’ont pas passé trois ans à l’étranger. Bastien qui quitte son job d’ingénieur pour monter un magnifique projet avec sa compagne pour aider les femmes en difficulté à se réinsérer et à reprendre leur féminité via la danse et le bien-être en général. Simon et Pauline qui ont fait un tour d’Europe et n’ont pas voulu s’arrêter en si bon chemin malgré les obstacles, la possible instabilité financière et les codes. Marie et Mylène, deux femmes indépendantes qui ont toujours travaillé dur et qui ont décidé d’avoir des enfants même sans avoir de CDI, une maison et une situation stable sur 30 ans. Et la liste continue... Et enfin tous ceux qui ont eu le courage de se lancer dans une vie qu'on juge aujourd'hui partout de "tracée", avec un chien, une maison, des vacances dans le sud, un CDI et deux enfants, et qui n'ont pas eu honte de montrer haut et fort que c'était ça leur shot de bonheur.
L’inclusion, la conscience culturelle et l’acceptation des différences est quelque chose qui se travaille et se pratique jour après jour. Ce fut également le cas dans mon rôle de professeur dans une école remplie de brésiliens et quelques expat’ qui n’ont pas du tout la même culture scolaire que la mienne. J’ai dû prendre sur moi pour ne pas prendre personnellement une remarque ou un comportement un nombre incalculable de fois, me mordre les lèvres quand j’allais dire, énervée, qu’en France ça ne se passerait jamais comme ça, et j’ai dû tourner ma langue dans ma bouche un million de fois pour ne pas heurter « l’ultra-sensibilité » des brésiliens. C'est difficile. Moi qui ne suis pas la plus grande fan de mon pays et qui me considérais "citoyenne du monde", je suis tombée dans la "fierté de l'expatrié" comme tout le monde. J'ai moi aussi dit des choses qui m'ont fait passer pour une connasse de française (désolée mes compatriotes), j'ai trop souvent répété qu'aucun autre pays ne savait faire du pain, que mon pays était un exemple social, que j'étais si fière de cette réputation de libertins qu'on nous donne car nous on ne connait pas l'hypocrisie des US où le sexe et l'alcool sont tellement tabous que tout le monde fait n'importe quoi, et chez nous les femmes font ce qu'elles veulent de leur corps, merci. Moi aussi j'ai protégé mon pays quand j'étais entourée de diversité culturelle et que les américains se sentaient supérieurs, moi aussi je suis tombée dans le nationalisme plutôt que l'intelligence pour leur répondre. Comme je disais plus haut, l'inclusion et l'acceptation des différences est quelque chose qui se travaille chaque jour. Et c'est la leçon la plus précieuse que je ramène avec moi aujourd'hui. Je la chéris comme si j'avais trouvé ma religion à moi.
Finalement, l’inclusion est avant tout une introspection. Chaque chose qui déclenche notre colère, notre impatience, tous nos sentiments négatifs, est une occasion de regarder en nous et de se demander quelle peur a été déclenchée par cette conversation, cette remarque, ce comportement ou cet inconnu. L’inclusion, qui inclut toute chose et toute personne, qui agrandit la communauté sans conditions, c’est finalement la connaissance de soi en profondeur ! Parce que si on ne se connait pas soi-même on ne peut connaitre les autres !

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