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Chloé

Le retour en France, ça donne quoi chez nous?

Dernière mise à jour : 22 déc. 2020


Partir a toujours été une partie de l’équation pour moi. Il y a trois ans, j’avais l’impression d’être bloquée dans une vie dont je ne voulais pas vraiment, de ne pas être totalement libre, poussée à rentrer dans une case, à me demander si j’avais fait le bon choix d’études et de carrière. Un nouveau départ devenait de plus en plus évident et nécessaire pour avoir du changement. Et j’imagine que c’est un cercle vicieux : plus on est mécontent de son sort, plus tout nous parait nul et ennuyeux. Mes weekends se ressemblaient tous, je ne rencontrais pas beaucoup de nouvelles personnes et je passais mon temps au même endroit. Tout était devenu routinier et familier et je n’avais ni l’envie ni l’idée de tester du neuf dans un endroit que je connaissais depuis 26 ans. Je le sais maintenant, nous sommes en fait ceux qui construisons les barreaux de nos propres prisons. Et partir a été pour moi un réveil bien plus puissant que je n'aurais jamais pu imaginer.  L’étranger, c’était pleins de choses à la fois mais surtout grisant. Six mois en Irlande du Nord, six mois en Malaisie, un an en Angleterre et un an au Brésil. On a grandi à la vitesse grand V en tant qu’individu et en tant que couple. Notre vie depuis trois ans fut remplie de surprises et de rebondissements. Si tout n’a pas été simple, loin de là, et si cette drogue a été aussi douce que dure, c’est un enrichissement tellement puissant, indescriptible, à peine saisissable, qu’il est difficile de « s’arrêter.» Tout ce que nous voulions nous l’obtenions, ou presque, nous n’avions peur de rien. Non, la peur n’a jamais vraiment fait partie de l’équation quand j’y pense. Par contre les pleurs, la fatigue, l’angoisse et les questionnements, oui ! Chaque fois qu’ils s’invitent sans frapper, et qu’ils s’installent confortablement sur le canapé, il faut le gérer. Deux options s’offrent alors à moi: les nourrir, auquel cas ils prennent davantage de place, deviennent légitimes et me poussent à m’asseoir inconfortablement au bord du canapé, ou les ignorer et les virer à coups de rires, de vagues d’énergie, de positivité et de certitudes.

Et puis c’est facile de repartir. On possède une liberté toute particulière à l’étranger, notamment celle d’être qui l’on veut en dehors des cases, de notre passé, de tout ce qui nous définit tant « chez nous. » Certes on vit avec le manque de nos proches constamment et le poids de la culpabilité d’être parti. Quand ils nous rendent visite, ce n’est pas pour deux jours seulement et c’est parfois difficile, et on culpabilise encore plus, mais on est tellement libres le reste du temps! Nos obligations familiales sont moindres, on se protège à 100% des conversations qui font grincer des dents, on s’émancipe comme on veut et autant qu’on veut, et finalement on se protège de nous-même aussi. Oui parce qu’on vit dans une bulle, loin des gens qui ont grandi avec nous, connaissent notre passé et nos travers. Bien sûr, c’est un peu un leurre. C’est donc angoissant de rentrer vers ce qu’on connait tant quand on a tellement changé. On a peur qu’il y ait un fossé entre nous et ceux qui sont restés, ceux qu’on aime. Je ne l’ai jamais vraiment ressenti quand nous avons passé un ou deux mois en France avant de repartir mais je sais aussi que ce n’était pas la « vraie vie », comme me l’a souvent fait remarquer Thomas. D’ailleurs, le retour a toujours été beaucoup plus envisagé de son côté que du mien. On a tous les deux appris et grandi de façon similaire mais on a également chacun appréhendé ces expériences de manière très personnelle. Thomas adore les pays tropicaux, je préfère cent fois l’Europe. Le Royaume-Uni me manque davantage qu’à lui. J’ai toujours été beaucoup plus réticente à rentrer. J’ai longtemps eu une mauvaise image de mon pays et de sa mentalité, j’étais plus « tranchante », critique voire intolérante. Ce sont d’ailleurs les étrangers qui m’ont réappris à aimer mon pays, à le voir avec un nouveau regard. Ca fait partie de ces changements majeurs qui redéfinissent notre futur, c’est une nouvelle façon d’appréhender la vie en général. Avant de rentrer, il faut donc se pencher sur un point essentiel et très intimidant : qu’est-ce qu’on veut? C’est une question qui a rarement une réponse fixe et évidente. La liberté que nous donne le fait de tout quitter et tout tenter permet de ne pas se mettre trop de barrières, ce qui n’est pas forcement évident quand il s’agit de décider de la suite et/ou de prendre des décisions importantes. On a donc pas mal appris à lire nos sentiments et interpréter nos envies. Par exemple, je sais que si l’Angleterre me manque beaucoup, c’est parce qu’on y avait une maison à nous, chacun un travail et beaucoup plus de stabilité qu’ici au Brésil. Ca ne veut pas dire que j’ai vraiment envie d’y retourner (bien que l’idée de retourner vivre au Royaume-Uni un jour me séduit beaucoup.) Il y a un mois Thomas a décroché un job en Italie après moultes entretiens et dossiers. Finalement le directeur de l’entreprise s’est rétracté pour diverses raisons. On sait que si Thomas a été abattu, ce n’était pas parce qu’on allait plus vivre en Italie mais parce qu’il passait à côté d’une opportunité pro, qu’on avait déjà fait des plans qui m’incluaient moi aussi, et surtout parce qu’il allait enfin retourner travailler. Quant à moi, ma tristesse était surtout due au fait que l’angoisse de l’inconnu s’était évaporée avec ce nouveau job. Enfin, je peux ne pas rentrer en France car j’ai peur de ce que ma vie peut y être, peur d’avoir l’impression de revenir en arrière ou encore peur d’échouer dans mon pays quand j’ai plutôt bien réussi dans d’autres. Je ne crois pas que ce soit des raisons suffisantes pour ne pas rentrer. 

Envisager le retour

En Janvier, lors de notre voyage de noces en Patagonie, nous avons eu cinq semaines loin de tout (jobs, contraintes, routine, tâches quotidiennes, obligations) pour rêver notre futur, dans des pays neutres où nous ne vivions pas. Presque tout nous ramenait en France, à chaque fois. C’est presque devenu une évidence. Au-delà de la facilité (langue, administration, connaissance du terrain, proximité de nos proches etc.…) c’était surtout comme si les pièces du puzzle s’imbriquaient. Comme si tout ce que nous avions vécu jusqu’ici nous amenait là, à cet instant T, à cet endroit, à ce moment où il était temps de rentrer. Il y a déjà deux ans, une amie australienne me disait : « tu sais Chloé, rentrer ne veut pas dire revenir en arrière, bien au contraire. Tu n’es pas la seule à avoir évolué pendant ce temps et surtout, ton évolution est ce qui va tout changer, en bien. Pense à tout ce que tu peux rapporter en France. C’est autant de projets que tu peux mettre en place, de choses que tu peux partager, expliquer, montrer, autant d’ouverture que tu peux apporter. » Il m’a fallu trois ans pour le comprendre, le voir et l’accepter. En Décembre dernier, quand je voyais le bazar dans mon pays, les manifestations, les lois etc.… et que j’entendais mes collègues brésiliens parler de la Révolution française, de la France avant-gardiste, des Lumières, ça devenait de plus en plus évident que je devais m’y investir. Mes combats, mes valeurs, mes convictions, ce que je veux faire de ma vie depuis trois ans sans savoir par où commencer, c’est surement parce que je n’étais pas encore au « bon endroit. » L’écologie et l’éducation sont mes deux fers de lance, et tellement de choses sont à changer ! Quoi de mieux et de plus simple que le faire dans ma Mère Patrie? Quand une amie mentionnait qu’elle voulait des enfants malgré les discours négatifs autour d’elle, car elle sait qu’elle elle ne s’arrêtera pas de vivre pour ses enfants, ma réaction fut de créer un parallèle avec notre éventuel retour en France. Combien de fois avons-nous entendu le fameux discours (qui est vrai je le conçois) du retour difficile de l’expatrié, harassant même, la dépression n'étant jamais loin. Mais qui a dit qu’il fallait subir ça? Qui a décidé qu’il fallait reprendre notre vie où on l’a laissée ? C’est impossible, personne n’est resté sur pause. Qui a dit qu’il fallait laisser derrière nous tout ce qu’on a appris et expérimenté sous prétexte que personne n’en veut en France? Il y a des tonnes d’associations pour rencontrer des étrangers, des tonnes pour rencontrer de nouvelles personnes qui ont les mêmes intérêts et valeurs que nous, le même type de vie. Toutes ces choses qui étaient « mieux » ailleurs et qu’on ne veut pas perdre, pourquoi ne pas les amener sur la table en France et essayer? Cette vie politisée, écologique, simple et entourée que je veux, quoi de plus simple que de la construire là où je connais même les chemins de traverse? Le sourire qui manque aux français et l’humanité que nous ont inculqués les pays pauvres, pourquoi pas travailler à les instiller en France? L’humilité dont on s’est enrichis ailleurs, en étant un petit étranger insignifiant perdu à des milliers de km, pourquoi ne pas la partager et l’étendre à ces français - qui ne sont d’ailleurs pas forcement prétentieux mais qui en ont peut-être marre qu’on leur dicte quelle vie mener et qu’on leur rabâche que l’ailleurs est la clé - en créant une société compétitive et envieuse (entre autres raisons.) Pourquoi ne pas travailler à changer la mentalité élitiste d’envisager les études et le travail quand on sait comment c’est chez les voisins justement? Et ainsi de suite. 

La transition n’est pas facile, mais finalement elle ne l’a jamais été! Chaque fois que nous repartons dans un nouveau pays, c’est la même rengaine. Le retour en France après trois ans, c’est pareil, c’est comme partir de nouveau, tout recommencer, c’est une aventure. Tout a évolué aussi, on repart ailleurs, dans une région qu’on ne connait pas, on repart à zéro avec deux nouveaux jobs, une nouvelle maison et on espère de nouveaux amis sur place. Tout en ayant le luxe d’avoir les nôtres à portée de train. Il faut donc gérer cette période détestable et déprimante de recherche d’emploi (et constater tristement que oui la France précède sa réputation, les emails n’ont jamais de réponse et il y a des dizaines de candidatures sur un seul poste.) Même si on se souvient que ce n’était pas plus simple en partant en Malaisie, en Angleterre et pas très simple au Brésil non plus, on a du mal à sortir la tête de la spirale négative qui nous enveloppe quand on est là-dedans. On est impatients, d’autant plus quand on a vécu des transitions trois ans de suite et qu’on a envie que celle-ci soit la dernière avant un long moment. Il faut gérer mon job actuel (et chaque personne familière avec l’éducation sait que la fin d’année est folle dans une école), tous les désagréments de mon école niveau administratif et éthique, profiter de Rio avant de la quitter, chercher un emploi dès qu’on a deux minutes, ne jamais sortir la tête du guidon. C’est une période difficile dont il est souvent délicat de tirer du positif, même si on connait. Mais comme à chaque fois, il y a cette petite voix qui nous dit que le jeu en vaut la chandelle ! Et puis comme Orelsan l’a dit « après avoir fait le tour du monde, tout ce qu’on veut c’est être à la maison. » Et on n’est pas seuls. Une amie m’annonçait il y a quelques jours qu’eux aussi comptaient rentrer en 2020, avaient envie d’une maison et d’un jardin et surtout d’être plus proches de leurs familles et amis. Nos envies évoluent, elles évolueront demain aussi, ça ne veut pas dire qu’on est voué à vieillir dans une routine dictée. Encore une fois, tout est question de comment l’on perçoit et appréhende les choses. On construit nous-même les barreaux de notre prison. On sait d’ailleurs déjà au fond de nous que cette nouvelle aventure sur « nos » terres ne durera pas éternellement puisqu’on a déjà une liste de pays où s’installer ensuite. J’ai toujours en tête d’élever mes enfants à l’étranger à un certain moment de leur/ma vie, et puis on est friands de ça, c’est en nous. Mais pour le moment laissons la place à nos envies profondes, et quoi de mieux que d’avoir papa (et dans quelques années papi), pas trop loin, pour montrer les étoiles à ses petits-enfants dans notre jardin, quoi de mieux que d’être assis à siroter un bon vin sur la terrasse de maman en seulement quelques heures, quoi de mieux que d’appeler ma meilleure amie sans décalage horaire et pas par Messenger, partir en weekend avec ma sœur, en vacances avec mes amis, déguster un bon repas avec ma belle-famille, construire notre tiny house? C’est précieux, alors chérissons le tant que c’est à portée de mains, ou d’envie!


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