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La vraie vie d'un prof'

  • Chloé
  • 25 févr. 2019
  • 7 min de lecture

En France la société entière les déteste : gouvernement, travailleurs, chômeurs, élèves, collègues et même amis. Qui sont ces gens qui travaillent 18h par semaine, ont 15 semaines de vacances par an et se plaignent constamment de tout ?!

Alors je ne suis pas en France, mon rythme de travail n’est pas le même et je connais des profs qui correspondent à 100% aux clichés. Mais notre travail est le même, où que l’on soit dans le monde. Et il est temps de lever le rideau. Bienvenue dans notre monde : chaotique, épuisant, décourageant, magnifique, plein d’espoir, beau, humain.

Alors que le deuxième semestre commence sur les chapeaux de roue dans mon école américaine au Brésil (politique d’austérité financière, salaires non payés dans leur intégralité, heures de cours supplémentaires et de planification en moins, collègues non remplacés, profs en charge des événements marketing de la planification à l’organisation, pas de clim, ration sur la nourriture…), notre collègue Luciano, prof d’histoire/géo expert dans son domaine, a trouvé bon de nous rappeler mercredi dernier notre rôle, notre importance et la noblesse de notre tâche. Ses mots furent les suivants : « j’aimerais que vous vous rappeliez quand vous avez décidé d’enseigner. Puis, j’aimerais que vous vous rappeliez les professeurs qui vous ont marqués, qui ont eu un impact sur vous, bon ou mauvais. Ceux que vous avez détestés et grâce auxquels vous vous êtes dit « je vais enseigner pour faire mieux » ou ceux qui vous ont guidés vers ce métier et que vous prenez encore en exemple aujourd’hui. Vous vous rappelez d’eux ? Bien. Maintenant imaginez un peu l’impact que vous avez sur vos élèves. Sur chacun de vos élèves dans chacune de vos classes. Certains, et leurs enfants, seront présents au 22ème Siècle. Imaginez. Quel monde souhaitez-vous pour demain ? C’est exactement ce que vous transmettez là maintenant. Quelle chance vous avez de faire ce métier. Quelle autre profession a un tel impact aussi loin dans l’avenir ? Quelle chance vous avez de travailler à changer le monde. Parce que c’est exactement ce que vous faites, changer le monde. » ***

Nous arrivons à l’école à 7h30 et commençons de travailler à 8h. Mes premiers cours ne commencent jamais avant 9h30, j’en profite donc toujours pour vérifier le programme de la journée pour chacune de mes classes. Comme les niveaux sont différents, chaque cours l’est. J’imprime, je range, je classe, je prépare les supports audio et vidéo. Quand j’ai fini, je reprends mon planning et planifie les cours des jours suivants voire de la semaine suivante. Je n’ai pas de programme ni de livres de cours (et puis même si j’en avais, ils sont souvent obsolètes dans l’Education Nationale, pas super amusants et même s’ils sont très faciles à suivre, très pratique pour connaître les seuils d’apprentissage et pour planifier des cours à la dernière minute, c’est bien connu que les élèves préfèrent généralement les cours faits maison), alors je fais mes recherches. D’un côté j’ouvre les standards du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues, celui utilisé en Europe pour les élèves qui apprennent une langue étrangère, de l’autre ceux de l’Etat de Virginie aux Etats-Unis, ceux utilisés à l’école.

Puis je passe des heures à lier ces standards avec des cours intéressants, pertinents, amusants et uniques pour chacune de mes classes. En faisant mes recherches, en créant, en lisant… Je dois également penser à différencier mes élèves. En effet, ils n’ont pas tous le même niveau bien qu’ils soient dans la même classe. Certains ont même des problèmes d’apprentissage suivis en dehors de l’école par des professionnels. Tout exercice ou test doit être différent de ceux des autres. A nous de créer quelque chose d’adapté, ce qui veut aussi dire créer une grille d’évaluation différente.

Oui car il y a l’évaluation aussi. On ne note pas un élève comme on choisit ses pommes au supermarché. C’est toute sa scolarité et notamment ses études supérieures qui seront impactées par nos notes. Il faut savoir si l’évaluation est formative ou sommative (formative pour appuyer l’apprentissage en classe et entrainer l’élève, sommative pour évaluer ses réelles performances, s’il a intégré ce qu’il a appris et s’il est capable de le mettre en pratique.) Il faut que l’évaluation soit en phase avec les seuils d’apprentissage, les standards qu’on utilise et qu’elle soit juste. Puis il faut tout reporter sur la plateforme pédagogique. A chaque fin de trimestre, il faut passer des heures à mettre des commentaires justes sur chaque élève, remplir les bulletins, recopier toute notre planification de cours semaine par semaine dans un document Excel. Dans mon école on doit même créer un portfolio de nos cours.

A cela s’ajoute la déontologie de transmettre des choses utiles, pertinentes et importantes à nos élèves. On est beaucoup à être conscient des critiques actuelles qui planent sur l’école, des élèves de plus en plus ennuyés entre quatre murs pendant 8h, de la façon dont l’école peut étouffer dans l’œuf des vocations en généralisant tous ses apprentissages et en ayant créé des années durant des élèves clonés pour être parés au monde du travail. On est beaucoup à être conscient du manque de choix des élèves, de l’éducation élitiste, standardisée, parfois à mille lieux des réelles problématiques actuelles. On essaie d’implanter des changements, de se tourner vers des pédagogies alternatives sans grand succès dans un système qui n’accueille pas le changement ou le fait par choix politique et non académique. Alors on ajoute à tout ce qui est décrit ci-dessus les heures passées à lire, écouter, s’informer et se former sur les méthodes pédagogiques, les avancées, les neurosciences, les meilleures façons d’apprendre, les meilleures solutions pour rendre ses cours plus dynamiques et pertinents, les conseils des experts sur comment gérer sa classe, les méthodes pour mieux apprendre les langues, les intelligences multiples, la différentiation, les troubles de l’apprentissage… Un professeur peut se former à l’infini, peut planifier des cours à l’infini, il y a toujours quelque chose à faire, à améliorer, à apprendre (c’est à la fois l’un des points les plus intéressants du métier et les plus épuisants.)

Il y a donc la pression psychologique que se mettent la plupart des profs. Celle de toujours être parfait, d’être un bon prof, de ne jamais se tromper, de toujours avoir une réponse à donner, de gérer sa classe d’une main de fer tout en créant un lien avec ses élèves. Celle de culpabiliser quand on ne différencie pas assez et que les uns s’ennuient pendant que les autres rament, la pression des responsabilités qu’on porte sur nos épaules, la pression de n’être jamais préparé à 100% puisqu’il y a constamment quelque chose à apprendre. La culpabilité quand les élèves échouent, que l’on ne réussit pas à les intéresser, à les faire rester à l’école, à passer dans la classe supérieure, à leur montrer leur valeur (bien au-delà de celle académique), qu'on ne réussit pas à déceler le mal-être, le harcèlement, qu'on crie par manque de patience, qu'on voudrait les assommer, qu'on se moque d’eux entre collègues…

Il y a également les parents. Envoyer des emails ou planifier des rendez-vous quand le comportement de l’élève n’est plus tolérable, qu'il oublie constamment ses affaires, arrive en retard, ne se présente pas en cours ; aller à la pêche aux informations avant de donner un 0 pour voir si l’élève était oui ou non sous absence justifiée ; et prier pour que les parents ne soient pas de ceux qui bénissent leur enfant quoi qu’il arrive sans jamais se mettre à la place du professeur, et en rendant son travail dix fois plus compliqué. Ces mêmes parents qui participent à transformer les professeurs en éducateurs spécialisés.

Enfin, il y a le corps du métier : enseigner devant la classe. Dans mon cas j’ai même la chance d’avoir un bel aperçu de l’instituteur de primaire. Pour 30 minutes de français en maternelle je dois prévoir 5 activités différentes car les élèves ne peuvent pas se concentrer plus de 10 ou 12 minutes sur une tâche. Il faut gérer les bagarres, les pleurs, les câlins à l’un mais pas nécessairement à l’autre, les petits singes qui vous grimpent dessus et ne vous lâchent pas pendant que vous devez vous occuper du reste de la classe, les mille questions, le « zéro pause » pour aller aux toilettes. Dans le cas de l’instituteur il faut gérer 15 - on est chanceux niveau effectif dans notre école - personnalités qui découvrent la vie en communauté, les signaux sociaux etc… Et au collège/lycée, c’est next level comme on dit. Il faut gérer des ado’ qui ne comprennent pas toujours ce qu’ils font là et pour qui tout ce qu’il se passe en dehors de l’école à mille fois plus d’importance que nous. Les rébellions, les absences, les retards, le manque de discipline, de respect, l'âge où l'on ne sait bien souvent plus qui l'on est ni où on va. Une heure peut vous épuiser comme une journée de travail entière dans un bureau (je sais de quoi je parle !)

Et quand on quitte le devant de la scène (ou qu’on retourne dans la tranchée après la bataille plutôt), on recommence : planning – formation – lecture et ainsi de suite. Après notre départ de l’école à 16h30 leurs visages nous restent en tête, leurs noms sont constamment dans notre bouche, on s’arrête pour noter frénétiquement sur nos téléphones une idée de cours en pleine conversation, on pense à eux pendant qu’on découvre des films grandioses qu’il faut qu’ils voient aussi, on plaisante en disant à nos conjoints que tel élève adorerait ça ou dirait ça, et nos conjoints connaissent leurs noms tout autant que nous. Et parfois (souvent), le soir et les weekends, on ouvre l’ordinateur pour noter, reporter, planifier, lire, rechercher, créer… On ne s’arrête jamais vraiment parce qu’on travaille par amour, dans l’amour, portés par la beauté de l’humain, par ces centaines de personnalités mélangées entre quatre murs sacrés.

Et parce que comme dit Luciano : « quelle chance vous avez de travailler à changer le monde. »


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