Deux ans d'expatriation: les leçons apprises. Part I
- Chloe
- 12 déc. 2018
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 sept. 2021
Il y a 2 semaines j’ai tenu mon « devotional » devant mes collègues un mercredi matin. On y passe tous, ça doit durer environ 15 minutes et c’est normalement un sujet lié à notre relation avec Dieu, la religion en général et des leçons de vie. Quelques exemples depuis Septembre : êtes-vous heureux ? ; la beauté est subjective et elle est partout, surtout dans les petites choses ; savoir se remettre en question; notre noble mission en tant que professeur...
Je me suis donc dit que j’allais clôturer l’année 2018 avec un article qui résume ma « devotion » et donc mes deux dernières années d’expatriée. Car ce devotional a retracé ma vie depuis 2 ans, à l’époque où mon mari et moi avons quitté la France, et surtout les leçons que j’ai appris depuis.
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Le 1er Septembre 2016, nous nous envolions pour l’Irlande du Nord. Thomas y finissait ses études d’ingénieur à Belfast et moi je laissais mon job de prof d’anglais contractuelle pour le suivre. Nous avons vécu en colocation avec un jeune turc et avons fréquenté de nombreux internationaux via l’université de Thomas. J’ai travaillé en tant que nanny pour deux enfants en bas âge et j’ai aidé une irlandaise dans le lancement de sa start up (vente de mobilier antique français en ligne et en magasin) avec le marketing. Notre appartement était à 5mn à pieds de la mer du Nord et 10mn en voiture de la campagne irlandaise. Dès que nous avions l’occasion, nous louions une voiture le weekend pour partir à la découverte de la nature mystique et mythique d’Irlande. Ces cinq-six mois en Irlande du Nord ont été le début de notre incroyable aventure, d’une toute nouvelle vie, celle d’expatriés, de notre vie de couple à des centaines de kilomètres de nos repères, de nos familles et amis. Une première fois pour nous deux, bien que je sois partie trois mois aux États-Unis 4 ans plus tôt. Et voici ce que j’y ai appris :
Minimalisme
Nous vivions encore comme deux étudiants, avec peu. Nous avions quitté la France temporairement, nous n’avions donc pas emmené beaucoup et nous savions que nous ne devions pas acheter trop pour ne pas avoir à ramener une valise supplémentaire. Les weekends et soirées étaient dédiés aux moments conviviaux entre internationaux où les discussions s’ouvraient sur le monde, où tout le monde partageait sa faim de voyage, de questions, de réponses, d’expériences. Peu de temps et de moyens mais surtout peu d’envie pour le superflu, le shopping, les achats qui compensent un manque ou répondent à une norme dont on n’a même plus conscience... L’argent que nous avions partait principalement dans nos weekends découverte (location de voiture, bières et Guinness pie au pub) ou dans les pubs irlandais (je sais, ce n’est pas forcement indispensable mais croyez-moi, c’est une expérience bien plus qu’un simple achat !)
J’ai alors appris ce que l’expression « nous possédions peu mais nous avions tout » veut dire. Ou « vivre mieux avec moins. » L’argent ne coulait pas à flot, je ne m’achetais pas grand-chose, mon compte en banque ne ressemblait pas à celui d’une jeune diplômée, et pourtant je n’avais jamais été aussi heureuse !
Et alors que j’apprenais à vivre avec moins et mieux, je découvrais également à quel point la nature est belle. A quel point elle nous gâte, chaque jour, chaque minute. Je n’avais jamais assez de nos road trip à travers la campagne irlandaise, au bord des falaises surplombant la mer. J’ai développé ce que mon père avait essayé de m’apprendre pendant des années : une conscience environnementale et un amour inconditionnel de la nature. Une prise de conscience de mon impact et mon rôle à jouer si je ne veux pas que mes enfants soient privés de ce que je vois dans quelques années parce que ce sera détruit.
En résumé, vivre mieux avec moins, être heureux parce qu’on achète moins et qu’on se recentre sur l’essentiel et prendre soin de mon environnement, de ma planète. Et l’un ne va pas sans l’autre.
Article sur le minimalisme ici

Ouverture d’esprit, tolérance, humilité
Passer autant de temps avec des personnes des quatre coins du monde a été édifiant. D’autres cultures, façons de penser, d’autres réactions aux mêmes enjeux ou situations. Recueillir témoignages et opinions sur des choses que je ne voyais alors qu’à travers un seul spectre: celui des médias français ou encore de ma seule opinion. Je me suis rendue compte de la multitude de façons d’appréhender une situation et de la manière dont la culture, le passé et l’expérience personnelle jouent un rôle essentiel dans ces réactions. Je me souviens encore vivement d’une discussion sur le patriotisme et de cette allemande qui disait que dans son pays il est très rare de mettre un drapeau à sa porte à cause de la honte qui règne encore, 75 ans après, suite à la guerre. J’étais loin de me douter que ces discussions n’étaient que les prémices de mon ouverture sur le monde et de tant d’autres prises de conscience venues directement de mon contact avec des étrangers.
Un bonheur si intense qui m’a menée à repenser mon rapport aux autres
Entourée uniquement de nouvelles personnes, occupée à découvrir un nouveau pays, heureuse comme jamais, soutenue par mes amis et ma famille restés « à la maison », ce fut un temps de bonheur si intense que mon rapport aux autres en a été complètement chamboulé. Ce que je savais déjà mais n’appliquais pas forcement et dont je n’avais pas entièrement conscience, est devenu clair comme de l’eau. Ma façon de penser, juger, réagir aux situations, voir les gens, vient principalement de moi et presque jamais d’eux. J’ai compris que les jugements de valeurs sans valeur ternissent le cœur des hommes et salissent nos relations, qu’il y a souvent une explication et une excuse au comportement de quelqu’un, et surtout au nôtre. Le fait que je sois si heureuse ne me faisait voir que le bien autour de moi. Pour la première fois de ma vie, je n’ai jamais envié quelqu’un, jalousé quelqu’un. Je ne parlais plus négativement car il n’y avait rien de négatif autour de moi. J’ai souhaité que toutes les personnes autour de moi vivent le même épanouissement, même ceux que je n’apprécie pas spécialement. La bienveillance que j’ai alors développée a été naturelle et jamais forcée et est venue majoritairement de mon état d’esprit, de mon propre bonheur. Et bien que la vie ne soit pas un long fleuve tranquille et qu’on ne soit pas constamment abreuvés de fromage et de tarte au citron (ma définition du bonheur), il est extrêmement utile et édifiant de prendre conscience de tout cela pour tenter de changer son comportement en fonction, dès qu’on le peut.
L’importance de notre « communauté »
La célébration de notre départ en Août 2016 a été une célébration de l’amour, de nos relations amicales et familiales. Et encore une fois, nous étions loin de nous douter que ce n’était que les prémices du soutien infaillible de notre communauté depuis plus de deux ans. Un soutien et de l’amour en pagaille qui nous ont toujours portés et qui nous ont permis plus d’une fois de tenir dans les moments de doute, de manque, de difficultés et de tristesse. L’amour qu’ils nous ont toujours donné et que l’on a développé x10 depuis notre départ, est celui de personnes qui nous veulent du bien, qui savent parfois mieux que nous ce qu’il nous faut, qui vivent nos rêves à nos côtés et sont intrinsèquement heureux pour nous, sans conditions. Des personnes qui nous aiment tellement qu’elles acceptent notre absence, parfois en serrant les dents, pour nous permettre de nous épanouir. Et c’est beau.
Et nous avons des souvenirs mémorables de séjours avec nos familles et meilleurs amis lorsqu’ils nous ont fait le plaisir de venir nous voir. Je pense notamment à ce dimanche soir au pub/restaurant irlandais, entourés de nos meilleurs amis rencontrés sur place avec qui nous sommes toujours en contact, une partie de ma famille et de mes meilleurs amis de France. Et bien sûr, je ne peux pas finir ce point sans citer notre mariage il y a quatre mois, alors que nous étions de retour d’Angleterre depuis à peine 2 semaines et sur le point de repartir au Brésil ! La réunion et même la rencontre d’une communauté entière qui représente tout pour nous, surtout à des milliers de kilomètres, et qui fut ponctuée par le manque constant que l’on ressent mutuellement, a été incroyable !
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Nous sommes partis en Malaisie, Asie du Sud-Est, en Février 2017 pour que Thomas y clôture son diplôme par un stage en entreprise. Après une occasion manquée d’enseigner l’anglais, je suis partie en venant tout juste de décrocher un contrat freelance de rédactrice web (pour sites, publicités...) en anglais/français. J’ai donc travaillé de chez moi ou d’un Starbucks la plupart du temps, je n’avais pas vraiment de contrainte de temps, d’emploi du temps et d’argent non plus (j’avais des économies et un salaire freelance payé en livre sterling qui me permettait de très bien vivre en Asie.) Et voici ce que j’y ai appris :

Un voyage spirituel
Je ne sais toujours pas définir ce que cette expérience en Malaisie a déclenché en moi ni ce qu’elle m’a appris. Mais ce fut très certainement un voyage spirituel. Avoir tant de temps pour moi, ne pas avoir à travailler chaque jour, être LIBRE finalement, pour la première fois de ma vie, a changé ma vie. Je ne m’en suis pas rendue compte à l’époque, et je ne m’en rends parfois plus compte parce que je mène une toute autre vie, mais ce à quoi j’ai goûté à ce moment-là, ce que j’ai appris, est gravé en moi.
Avoir tant de temps pour moi a été l’occasion de me questionner en profondeur sur ce que j’attends de la vie dans le sens de « qu’est ce qui me rend heureuse ? Qu’est-ce que je veux accomplir ? Quelles sont les choses qui me rendront fière et épanouie quand je mettrai un pied dans ma tombe ? »
Je n’ai pas trouvé une seule réponse, c’est plutôt toute une optique de vie, une vision à long terme et surtout l’acceptation de changement, de constante évolution de mes envies et besoins et le respect de ces derniers. C’est également prendre conscience que je ne dois pas nécessairement correspondre aux attentes qu’on a placées sur moi depuis ma naissance (je ne parle pas nécessairement de ma famille mais de la société en générale.)
Ce fut également un temps de résilience. Et avec du recul, je crois que c’est une leçon beaucoup plus importante que je ne le pensais car elle est à l’origine de la nouvelle manière dont je me suis perçue, vue, acceptée et aimée.
La solitude, l’isolement, les peurs, les différences culturelles majeures (pays musulman, pauvreté, saleté, barrière de la langue...), et les remises en question ne m’ont jamais quittée. Thomas avait tout. Il finissait ses études d’ingénieur avec un diplôme gratifiant, un parcours qui l’était tout autant et un stage à responsabilités à l’autre bout du monde. Et moi je « travaillais » de chez moi, je traînais parfois au centre commercial, je partais quelques fois en vacances seule ou avec une amie mais clairement je ne construisais pas d’avenir comme la société le définit et surtout j’avais « juste suivi Thomas. » Et ce fut extrêmement dur à porter, assumer, expliquer et surtout accepter. Pourtant j’apprenais beaucoup, sur des tas de sujets qui m’intéressaient (je suis allée bénévolement observer et travailler dans une école Montessori par exemple.) Niveau développement de mes connaissances et compétences j'étais au sommet. Et le calme et la sérénité qui m'ont été insufflés à cette période-là n'ont pas de prix.
Articles sur les changements opérés en moi en Malaisie ici
Article "qui sommes-nous dans un monde où mille facteurs extérieurs dictent nos choix?" ici
Tout ceci a été une magnifique leçon de vie et d’humilité. Savoir prendre du recul, ne pas me sentir en compétition avec mon propre partenaire et le seul autre membre de mon équipe et surtout comprendre que ma situation et mon travail ne définissent pas et ne définiront jamais qui je suis. Ce qui est d’ailleurs complexe quand aujourd’hui je dirais le contraire. Non pas qu’enseigner me définisse, mais ça fait clairement partie de moi. Mais ça, je crois que ça s’appelle une vocation.

TBC...
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