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"C'est nous qui décidons quel endroit est magique ou non." Le voyage et le retour à la maison

  • Chloé
  • 24 juin 2018
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 23 août 2020


Plusieurs fois depuis que je suis expatriée, j’ai croisé de vieilles connaissances quand je rentrais dans ma ville natale avec qui j’ai discuté brièvement ou autour d’un verre. Principalement parce que ce sont des gens qui ne me connaissent plus très bien et qui ne sont plus proches de moi, ils ne savent pas réellement comment je pense et ce que je pense. Certains paraissaient gênés quand on discutait de mes voyages, du fait que je repartais vivre dans tel pays. Gênés de leur propre vie. Ils agissaient de manière assez étrange, évitant le sujet, pas très à l’aise avec le fait de dire qu’ils venaient d’acheter une maison, qu’ils avaient décroché un CDI ou pensaient à faire des enfants. Ils semblaient gênés de dire « moi je suis resté ici, j’ai continué ma vie comme la majorité le fait et je ne vis pas d’incroyables aventures à travers le monde." Ils ressentaient le besoin de se justifier. Je pense que certains étaient gênés parce qu’ils n’étaient pas entièrement satisfaits de cette vie-là, qu’ils se posaient beaucoup de questions et avaient éventuellement enfoui quelques rêves bien loin, pour rentrer dans le moule. Pour d’autres, leurs réactions étaient d’autant plus étranges que je sentais bien qu’ils l’aimaient leur vie et qu'ils n'étaient pas faits pour bouger partout. Comme je l’ai déjà cité dans un autre article, dans cette société on crée beaucoup de cases, et non seulement il faut rentrer dans l’une d’elles mais en plus de cela beaucoup excluent les autres. On n’est pas très doués avec le fait d’ouvrir grand les bras et d’accepter toutes les cases et plus encore sans devoir en exclure quelques-unes. On n’est pas très doué avec le fait de légitimer une chose sans en exclure une autre. On questionne ce qui est différent car ça nous fait peur, ça nous perturbe. On a du mal à rester droit dans nos bottes quand le voisin pense ou fait quelque chose de différent et on se sent systématiquement menacé, mis à l’épreuve, angoissé de devoir trop réfléchir, trop se questionner. On a peur que la différence nous vole ce que nous sommes, nos valeurs, notre identité ; justement parce que l’on est incapable de tout légitimer et d’admettre qu’il y a de la place pour tout et tout le monde.

Et puis parallèlement et paradoxalement, ces gens-là, et d’autres, en attendent beaucoup de nous. Il y a quelques semaines, j’ai lu l’article d’une expatriée française qui vit sur l’île de Gozo, à Malte, depuis trois ans. Elle a une petite fille d’un an et a écrit un article bilan sur ses trois années sur l’île. Alors que la plupart de ses articles sont positifs et décrivent les beautés de l’endroit où elle a élu domicile, celui-ci l’était beaucoup moins. Elle y dépeignait les points négatifs, les limitations de vivre sur une île, surtout pour sa fille, et concluait sur le fait que sa petite famille allait donc quitter Malte. Et elle s’excusait d’avoir écrit cet article, espérait qu’il ne paraissait pas trop négatif, aurait souhaité que ce ne soit pas le cas etc… Alors je lui ai envoyé un message car j’adore sa façon d’écrire et je voulais lui dire et que ce post résonnait avec mon article sur l’expatriation écrit à mon arrivée en Angleterre. Et en discutant, on a conclu ensemble (et de nombreux autres expatriés et voyageurs le pensent), que lorsqu'on exprime le souhait de rentrer, les autres voient notre retour au pays comme un échec. Quand pourtant ces mêmes personnes ont, elles, choisi de rester ou de rentrer. Et quand pourtant selon nous, nous avons tout gagné. Encore une fois, c’est la société moderne qui idéalise le voyage et l’aventure et n’en dépeint qu’une partie. Mike Foster, auteur, dit quelque chose de très vrai lors d’une de ses interviews pour son podcast Fun Therapy, et qui pourrait expliquer ce « phénomène » : « les personnes qui sont libres et vivent leur vie intensément, ces personnes et leurs histoires, allègent les fardeaux que l’on porte tous. Leur vie, leur travail, leurs pensées, libèrent ceux qui ressentent encore le poids de la captivité. »

Il est certain que cette vie qui consiste à voyager, découvrir le monde, aller vivre dans d’autres pays, connaître d’autres cultures sur le long terme, d’autres habitudes, parler une autre langue, acheter d’autres produits, en apprendre davantage sur l’histoire du monde à travers une réalité autre que celle des livres d’histoire, connaitre d’autres coutumes, s’ouvrir l’esprit et agrandir sa vision, est une bénédiction. C’est une vie qui apporte son lot de bonheur et surtout de changements. C’est une vie qui transforme et nous change profondément. On ne peut pas dire que l’on est les mêmes personnes qu’avant le départ, ce serait mentir. Cette vie-là donne du courage, de l’adaptabilité, étend notre vision des choses, nous permet de mieux connaitre donc mieux comprendre, nous montre qu’en fait nous ne savons rien, donc nous rend humble. Elle nous gratifie d'une tolérance accrue, elle nous permet de toujours chercher à comprendre avant de juger, de sortir de notre zone de confort et de nos jugements tout faits. Ce que nous sommes, ce en quoi nous croyons, n’est pas la seule réalité ni la vérité. Nous ne sommes pas le centre du monde et lorsqu'on juge quelqu'un, c'est avant tout par rapport à nous et rarement par rapport à lui. Chaque croyance, histoire et culture est différente et nous venons chacun d’un endroit différent.

Surtout, cette vie donne une résilience à toute épreuve, un état d’esprit gagnant. Aujourd’hui, alors que cela fait deux mois que nous préparons une expatriation au Brésil où j’ai décroché un poste d’enseignant dans une école internationale, on vient d’apprendre que mon visa a de forts risques d’être rejeté à cause d’une nouvelle loi sur l’immigration dont l’école n’a pas tenu compte. Nos préavis sont donnés, pour nos deux jobs et notre appartement. Dans un mois, on quitte l’Angleterre. Et finalement peut-être sans plan A déjà tout prêt pour la suite. Après deux mois à imaginer ce futur-là, ce fut un gros coup à encaisser. Ce n’est pas définitif et on partira peut-être, mais le fait est que l’on doit penser à un plan B. Peut-être parce que le Brésil n’était pas prévu à la base et est arrivé par surprise, cela rend les choses plus faciles. Mais c’est surtout que nous n’avons plus peur de la suite, aussi floue soit elle. Car on s’est vus réussir plus d’une fois, on s’est vus rebondir et toujours s’en sortir. Fermer une porte veut dire en ouvrir un millier d’autres. Finalement le monde est à nos pieds maintenant. Rien ne nous empêche de partir quand même et trouver quelque chose sur place en Amérique latine ou de rentrer si ça nous rassure et nous convient. On peut faire ce qu’on veut et on a une chance énorme que ce soit le cas. Tout arrive pour une raison et cette philosophie ou croyance, peu importe le nom qu’on lui donne, n’est pas un cliché pour nous rassurer, c’est quelque chose qui jusqu’ici s’est toujours avéré vrai. Le plus gros échec de ma vie, le plus cuisant, est lorsque je suis rentrée des Etats-Unis au bout de trois mois alors que j'étais partie y faire au pair pour un an. Je laissais derrière moi un vieux rêve, un homme que j'aimais, ma fierté, et tout ce en quoi je croyais. J'étais plus bas que terre, perdue, honteuse, déprimée. Je n'arrivais pas à remonter la pente, je croyais de manière naïve et ingrate que c'était la pire chose qui pouvait m'arriver. Il était trop tard pour reprendre des études, je ne savais pas comment rebondir. En quelques mois, j'étais inscrite dans un Master pour l'année suivante et j'avais un job pour patienter jusque là. J'ai perdu l'homme que j'aimais mais j'ai retrouvé Thomas quelques mois plus tard, que j'avais rencontré avant de partir. Qui sait ce que ma vie serait aujourd'hui si je n'étais pas rentrée? Personnellement ça ne m'a jamais intéressée de le savoir parce que mon petit doigt me dit qu'elle n'aurait peut-être pas été aussi inattendue et pleine d'aventures! Et surtout, Thomas ne serait pas à mes côtés. Tout arrive pour une raison. Et c’est toute la beauté de la vie, se retourner et ne jamais avoir pensé être ici un jour. Cette résilience et cet état d’esprit sont parfois ancrés chez les gens ; chez nous ça a été décuplé par nos voyages et expatriations, et on ne pouvait pas s’enrichir d’une plus belle leçon.

Mais tout cela ne diminue pas les avantages d’une vie plus calme, plus stable. Des personnes vivent dans la résilience et la tolérance, chez elles, sans être parties. Et développent des qualités que nous nous ne possédons pas. Car une vie n’en exclut pas une autre et il en va de même pour nos qualités, pour les leçons que l’on apprend, chacun à sa façon. Tout est une question d’échange, de partage. Quand on rentre, on envie parfois des gens proches de nous qui ont leur maison, leur endroit sacré et sécurisé, leurs familles et amis près d’eux, leurs bonnes vieilles soirées, leur routine, leur chien. Ceux qui décrochent des super jobs alors que nous nous ne savons pas exactement ce que nous souhaitons faire et nous pensons que nous n’avons pas nécessairement à le savoir d’ailleurs. Et puis dans l’autre sens, notre style de vie fait se questionner des personnes autour de nous. Mon cousin, qui est aussi le meilleur ami de Thomas, voyage plus qu’il ne le faisait avant, est même venu nous voir et parle aujourd’hui d’acheter un camping-car. Il n’y a pas de vie meilleure qu’une autre, il y a uniquement l’importance du partage et celle d’assumer la vie qu’on mène et respecter celle du voisin. Car pour moi, chaque vie est la bonne tant qu’on la décide. Il n’y a rien de mal à ne pas rentrer dans les cases et ne jamais s’installer quelque part, tout comme il n’y a rien de mal à ne pas oser partir ou à aimer le fait d’être installé quelque part la plupart de sa vie. Tout comme il n’y a rien de mal à rentrer après un long voyage. Si cette vie m’a bien appris une chose, c’est que lorsqu’on commence à ne pas être d’accord avec ça, à juger méchamment et avec envie la vie des autres, c’est que l’on a un problème avec la nôtre. Et personne d’autre n’en est responsable car nous seul avons les clés pour être heureux.

Lorsqu’on voyage, on a le souffle coupé par ce qu’on découvre. Et quand on reste davantage dans un endroit, on y développe même des attaches, des souvenirs. On ne le voit plus comme un endroit de passage qui nous a époustouflé mais on commence à voir aussi ses limitations, ses travers, ses détails. On y développe des habitudes. Toutefois, on ne peut pas appréhender cet endroit comme on appréhende celui où on a grandi et que l’on connait par cœur. Ces vignes qui ne sont pas plus belles ni davantage époustouflantes que le reste mais que nous on trouve belles, parce qu’elles abritent 20 ans de nos souvenirs, parfois les meilleurs. Ces vignes sont sacrées pour nous parce qu’elles sont aussi notre passé, elles sont pleines de nostalgie, de nos traditions. Et ça, ça peut transformer l’endroit le plus banal du monde en paradis sur terre. « C’est nous qui décidons quels endroits sont magiques ou non. Ce qui est une montagne de pierres ou un temple sacré» Jedidiah Jenkins.


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