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Qui sommes-nous dans un monde où mille facteurs extérieurs dictent nos choix?

  • Chloé
  • 18 mars 2018
  • 12 min de lecture

Qui suis-je ? Cette question est certainement l’une des plus compliquées que je me sois un jour posée. Je ne cherche pas vraiment à y répondre à vrai dire. Je n’en ressens pas le besoin. Toutefois, prise parfois dans le tourbillon de mon éternelle dualité, complexité, j’aimerais surtout mieux me connaitre.

J’ai passé les premières années de ma vie d’adulte avec une certaine image de moi-même. Authentique et honnête mais également biaisée. Celle que l’on me renvoyait de moi-même et celle de mon regard tout sauf bienveillant. Les autres nous voient à travers le prisme de leur propre vie. Ils nous analysent, jugent, voient, regardent, nous aiment suivant leurs propres conditions. Celles-ci découlant d’un million de facteurs. Certaines personnes ont ce don de s’oublier et de regarder vraiment les autres, en ne réagissant jamais suivant leur propre ressenti. C’est toutefois plutôt rare. Et dans la société actuelle, on ajoute à cela le facteur réseaux sociaux, qui est extrêmement déterminant dans notre façon de voir les autres. On croit les connaitre à travers leurs photos, statuts Facebook, ce qu’ils aiment, la musique qu’ils écoutent, le prénom qu’ils donnent à leur enfant, la cuisine qu’ils apprécient, leur façon de décorer leur intérieur, leur travail… On va regarder, se faire un avis rapide, sans chercher plus loin. Juger parfois, ne pas aimer, ne pas comprendre et parfois condamner. On se pose rarement la question de savoir pourquoi l’on perçoit telle photo, tel commentaire, telle phrase ou telle action de telle ou telle manière. On pense, sans creuser, qu’il s’agit simplement de nos goûts, nos valeurs ou nos réactions les plus authentiques. On ne se rend pas toujours compte que notre façon de réagir à un post est souvent le résultat d’un cheminement bien plus personnel.

Est-ce que je cesse de suivre cette mannequin parce qu’elle montre trop ses fesses et que ça dérange ma vision de la femme qui n’est pas un objet sexuel ou simplement parce qu’elle assume son corps, sa sensualité et féminité d’une telle manière que j’en suis moi-même incapable ? Est-ce je secoue mon ami qui perd son temps et ses capacités dans un CDD qui n’est pas « à la hauteur d’un bac +5 » car je sais qu’il n’est pas vraiment heureux ou parce que je rêve moi-même de me désaliéner de ce que la société attend de moi ? Est-ce que je souhaite que mon ami prenne le même chemin que moi parce que c’est ce qu’il y a de mieux pour lui ou simplement parce que ça me rassure moi ? Ai-je fait des études par envie et ambition ou pour faire plaisir à mes parents ou pour suivre le modèle de réussite actuel de notre société ? Me suis-je senti diminué à l’école parce que je manquais réellement de capacités ou parce qu’on me l’a fait croire? Est-ce que je pense réellement que mon ami est un fainéant de ne travailler qu’à mi-temps ou est-ce que je l’envie car il possède quelque chose que moi je n’ai plus : du temps ? Est-ce que je qualifie mon ami de doux rêveur utopique parce que je sais pertinemment que ce qu’il veut est impossible ou parce que je serais amèrement envieux s’il réussissait à le mettre en place ? Lorsque je critique mes amis ou ma famille derrière leur dos, est-ce réellement « pour leur bien » ou simplement parce que je ne veux pas prendre quelques minutes pour comprendre leur fonctionnement ou admettre que le monde ne tourne pas autour de moi ni de ma façon de penser ? Et puis à quoi bon me poser toutes ces questions ? Elle me donnent la migraine.

J’ai fait des études parce que je voulais être prof à l’époque et que lorsque l’on réussit bien à l’école, c’est la suite logique. Je ne me suis pas vraiment posée de questions. J’ai travaillé dur, à côté de mes études, pour payer une colocation à Lyon, aider mes parents à payer mes inscriptions en fac, être indépendante. Je courais au boulot après le cours en amphi’, je prenais la route le samedi à 20h après le travail pour sortir et profiter du « weekend ». J’étais heureuse, je vivais à mille à l’heure et personne ne me connaissait différemment. J’aimais ça. Et je ne le regrette pas. Je croyais savoir ce que je souhaitais faire car je croyais savoir qui j’étais. J’étais loin de me douter que 10 ans plus tard, je ne serais toujours pas propriétaire avec le métier de mes rêves car je n’aurais plus de « métier de mes rêves », avec un CDI, une grande carrière et déjà 5 ans d’expérience derrière moi. Et surtout que je serais bien différente et que je n’en voudrais plus de tout ça.

Le bruit constant, les réseaux sociaux, la télé’, la tonne d’informations que l’on voit défiler par jour, l’avis que tout un chacun porte sur toute chose, le travail, les études, la poursuite d’un salaire correct, les amis, la famille, prendre le temps de vivre au milieu de nos semaines de travail, les bouchons, les transports en commun, les tâches ménagères, la vie à mille à l’heure. Au milieu de tout ça, quand sommes-nous seul avec nous-même ? Quand sommes-nous réellement à l’arrêt ? Quand sommes-nous entouré par le silence ? Au milieu de tout ça, est-il réellement possible de réellement se connaître ? Soi tout entier.

Il y a un an, je vivais en Asie, sur un continent pauvre qui ne possède pas grand-chose sur le plan matériel mais beaucoup sur le plan spirituel. Je me suis retrouvée dans une maison de fonction payée, avec la nécessité de ne gagner que le strict minimum pour bien vivre. J’ai passé la plupart de mes matins au Starbucks du centre commercial d’à côté à rédiger des articles et descriptifs publicitaires. Je n’avais pas besoin de mettre un réveil, courir sous la douche, déjeuner debout, finir ma tartine en courant à la voiture ou dans le train. Je n’avais pas à être au bureau à telle heure. J’avais le choix. Si j’étais en retard sur mon travail ou que j’avais besoin de plus d’argent, je partais plus tôt et finissais plus tard à Starbucks. Si j’avais suffisamment, je m’arrêtais déjeuner au restaurant de rue du coin et je traînais dans le centre commercial. Je suis même parfois allée au cinéma à midi, seule dans la salle. Une fois, nous sommes allés passer le weekend sur une île. Snorkelling, rencontres, chicha lovés l’un contre l’autre dans un canapé sur la plage, fruits de mer devant un coucher de soleil à l’horizon. Je n’ai pas repris le bateau le dimanche soir. Je suis restée seule quelques jours supplémentaires. Seule avec moi-même et avec le silence. J’ai rédigé mes articles publicitaires depuis le balcon de ma chambre surplombant la mer. Je me suis baignée, j’ai lu, j’ai écrit dans mon journal, je suis allée déguster des fruits de mer grillés au barbecue au restaurant. J’ai regardé les gens, la mer, les insectes, les palmiers, les bateaux, les amoureux, les familles. Je me suis faite réveillée par une souris ou un écureuil qui grattait sous mon lit un matin. J’ai paniqué. J’ai rassemblé mes affaires et suis sortie de la chambre en laissant la porte grande ouverte. J’ai eu peur, j’ai prié pour que Thomas soit avec moi, me rendant compte à quel point j’étais devenue dépendante de lui dans ce genre de situation. J’ai voulu l’appeler mais il était encore trop tôt et il était bien trop loin pour me dire autre chose que « ça va aller, sors vite de la chambre et calme toi. » Alors j’ai géré la situation, seule. J’ai repris le bateau avec que des hommes ce jour-là. Des jeunes. Ils me souriaient. Je sentais qu’ils ne m’auraient jamais fait de mal. J’ai cherché la station de bus dans une ville inconnue. J’ai mangé des mee goreng seule. J’ai dormi 8h dans un bus. J’ai pris un uber pour rentrer chez moi. Seule. Et rien ne m’est arrivé. Et je ne me suis pas ennuyée. Et je n’ai pas eu peur. Et je n’ai pas été embarrassée de manger ou me promener seule. J’ai osé marcher 2h au milieu de la végétation luxuriante, des éventuels serpents et singes, moi la peureuse. Moi qui aurais grogné et eu davantage peur si je n’avais pas été seule justement. Ca m’a conféré une aisance et un courage tout nouveaux.

L’Asie, ce fut cinq mois de silence. Cinq mois avec moi-même. Cinq mois à travailler mais aussi à décider d’aller au cinéma à midi en semaine, à binge watcher les 8 saisons de Gilmore Girls en une semaine sans sortir de chez moi, à voyager, à être seule ou à deux ou à plusieurs, à être confrontée à mes plus grandes peurs (rats, vertige, sport extrême, panique sous l’eau.) Cinq mois à me découvrir. Pas me re découvrir, oh non ! A me découvrir ! A faire la paix avec moi-même, à me prendre par la main en me disant « tu es une femme bien en fait. Tu es une amoureuse géniale et compréhensive.» Cinq mois à être pleinement présente, pour Thomas, pour notre couple, pour mon avenir mais surtout pour moi. Cinq mois à avoir le temps, tellement de temps ! Et pourtant pas encore assez. A commencer à vraiment écrire, à m’impliquer déjà à distance dans une association anti-harcèlement à l’école, à rêver le futur, à passer des soirées à réfléchir à deux à comment améliorer le monde, allier nos compétences, créer quelque chose qui changerait la vie des populations pauvres et améliorerait notre environnement ; à réfléchir à une vie différente de celle que l’on nous a toujours servie, depuis notre enfance, à ne pas penser que c’est utopique, de la folie, impossible ; à apprivoiser mon nouveau moi, à me rendre compte que j’étais aussi cette femme-là: moins impulsive, extrêmement compréhensive, hyper calme, très aimante, très indépendante, qui ne s’ennuie pas au premier moment de flottement, qui aime sa propre compagnie, qui est une boulimique de connaissances, qui ne craint pas la tempête, qui ne se prend pas la tête pour des futilités, qui ne s’énerve pas au premier mot de travers, qui réapprend à apprivoiser son couple, qui agrandit sa vision de ce même couple, qui rêve en cœur, qui apprend comment deux individus peuvent grandir séparément et évoluer ensemble sans que ce soit un problème. Cette femme qui réalise à quel point l’on peut changer en si peu de temps, qui se rend compte que l’on est tellement plus que ce qu’on parait ou pense être, qui réalise qu’une toute autre personne, certainement plusieurs, nous attendent dans le fond. Attendent qu’on les dévoile. D’une manière ou d’une autre.

Cinq mois pour réaliser à quel point la vie que l’on mène, la société dans laquelle on évolue et les gens qui nous entourent nous forgent, nous façonnent, nous influencent. A quel point on peut, pour certains (pour beaucoup), développer une vision biaisée et peu bienveillante de nous-même et donc des autres. A quel point on peut penser se connaitre, savoir ce que l’on veut, qui l'on est, et en fait pas du tout. A quel point on n'a finalement pas tant le choix au milieu de tous ces choix.

J’ai beaucoup craint mon retour. Le retour à la réalité. Car je savais que l’on ne m’interrogerait pas sur ce que je suis. Ce que j’avais vécu spirituellement et personnellement mais plutôt sur la suite. Mon travail. Mes projets. Ma carrière. Qu’on me replongerait dans le tourbillon sans me demander mon avis. Sans même le faire exprès ou s’en rendre compte. J’ai gardé mon calme et ma bulle quelque temps. Mais j’ai aussi eu honte de dire que j’étais au chômage alors que j’étais pourtant toujours la même personne. Avec mes connaissances, mes compétences, ma curiosité, mes valeurs, mes rêves, mes projets. Je n’ai pas su quoi répondre quand on ne savait pas encore que l’on allait en Angleterre. J’ai tenté de répondre au mieux lorsqu’on me demandait ce que je cherchais, ce que je voulais, si on allait se poser, alors que je ne le savais pas moi-même et que je tentais d’atterrir, de digérer tout ce que l’Asie m’avait apportée.

***

J’ai trouvé un travail de manager marketing et franchises en Angleterre. Je suis la seule en charge du marketing dans une boîte qui gère 3 sites et 15 franchises, dans un pays qui n’est pas le mien et qui parle une autre langue. Je n’ai jamais vraiment été formée dans ce que je fais mais je prends quelques bonnes décisions au milieu de quelques erreurs aussi. J'ai un travail qui "fait bien", n'est pas inintéressant. Je ne vais plus au cinéma le midi en semaine. Je ne pars plus seule quelques jours sur une île. Je travaille 42h par semaine, je fais de nouveau toutes les tâches ménagères, je ne mange plus au restaurant tous les jours. Je suis moins disponible pour Thomas, pas moins aimante mais moins bien aimante. Je suis irritable, je prends de nouveau ce que l’on me dit au pied de la lettre parfois et je suis redevenue globalement susceptible. Je lis moins. Je réfléchis moins à comment aider la communauté, les populations pauvres et améliorer l’environnement. Je m’oublie parfois. J’achète dans des grandes surfaces et je fais couler l’eau trop longtemps. Je me suis émerveillée pour mon van et aujourd’hui je n’ai plus le temps de l’apprécier. J’étais redevenue un peu envieuse fut un temps. Je ne suis plus disponible.

Je vis la vraie vie. Je suis revenue à la réalité. Pourtant la vie en Asie me paraissait réelle à moi. La personne que j’étais alors aussi…

Depuis notre retour en Europe, Thomas me pousse à repartir en Asie. Il a même essayé de me soudoyer à sa manière en me disant : « avec mon seul salaire on vivra très bien. Tu pourras écrire ton livre, aller enseigner bénévolement où tu veux, participer à l’émancipation des femmes, aider les communautés. Etre toi. Vivre tes rêves. Avoir du temps et surtout en faire ce qui te plait et te donne le plus de sens. » Je n’ai pas voulu. Je n’ai pas envie.

***

J’ai compris ces derniers mois que j’étais plus complexe que je ne le pensais. Que j’étais une meilleure personne que je croyais. Que j’étais faite de tas de qualités et défauts. Que je pouvais m’ennuyer et aimer ça. Que je pouvais être calme et laisser couler. Que je pouvais ne pas être susceptible et me recentrer sur l’essentiel. Et ne pas être tout ça non plus. Râler, critiquer, envier, ne pas être assez attentionnée, me laisser envahir, me laisser blesser, pour rien.

J’ai compris que la société m’a dicté un modèle que je ne suis pas obligée de suivre et surtout qui n’est pas le seul. Que chaque style de vie sera fait de choix et ne sera ni blanc ni noir et rarement tout beau tout rose. J’ai compris que j’allais découvrir des parties de moi inconnues, que je ne choisirais pas forcément la facilité et ce qui m’a rendue le plus épanouie. Que je choisirais parfois la facilité, au contraire, en restant dans un métier qui paye mon mariage, mes prochains rêves, ne me transcende pas mais me confère une position dans la société, des réponses faciles aux questions faciles.

Et j’ai compris que je devais être fière de tout ça aussi. Que je ne devais pas détester la Chloé parasitée par le travail, le ménage, la vie à mille à l’heure. Que je ne devais pas faire de la place, légitimer et aimer uniquement la Chloé de l’Asie. Car ce n’est pas la seule et la vraie Chloé. C’est seulement une partie de moi. J’ai compris que savoir que je pouvais tant changer, tant évoluer et que je pouvais découvrir des parties de moi cachées était finalement la plus belle et la plus importante leçon à tirer. Qu’aimer et embrasser toutes ces parties est la seule et la meilleure chose à faire. Que continuer à me poser les bonnes questions et à creuser, maintenant ou un peu plus tard, est mon salut et ce que je ne dois jamais perdre de vue. J’ai compris que j’avais encore un long chemin avant de me défaire du conditionnement de la société et que je ne sais toujours pas s’il s’agit d’une faute extérieure ou simplement de la mienne, parce que je me complais aussi un peu dans ce modèle du couple qui réussit, gagne suffisamment sa vie et apparaît comme « normal » plutôt que « marginal ». J’ai compris que je n’étais pas fainéante, et que ce n’est pas parce que mes parents se sont crevés toute leur vie à la tâche que je me dois de faire de même. Que ce n’est pas parce que mes beaux-parents considèrent un seul modèle de réussite que l’on doit adopter le même. J’ai compris que travailler depuis chez moi, prendre le temps, ne faisait pas de moi une fainéante. Que vivre sur le salaire de mon conjoint n’était pas régresser et retomber au siècle dernier si c’est pour réaliser mes rêves, améliorer la vie des autres et si je suis prête à échanger les rôles demain. J’ai aussi compris que si je ne gagnais pas autant que lui, ce n’était pas la fin du féminisme et moi qui baisse les bras. Que ce combat-là n’est pas le bon, n’est pas le mien.

J’ai compris que l’on est définit par les conditions extérieures, beaucoup. Du modèle que l’on nous inculque, à la réaction des gens, en passant par ce que l’on s’ordonne nous-même de faire et d’être, à la peur du jugement, à la peur du changement et surtout à la manière dont on réagit aux choses, aux événements. J’ai appris que lorsqu’on est indulgent avec chaque partie de soi-même, on apprend à mieux se regarder et s’écouter, à mieux se connaitre, et que l’on peut commencer à dessiner un semblant de réponse à la question « qui suis-je ? » en acceptant que l’on ne soit pas entièrement ce que les autres attendent de nous et ce que l’on pensait être.

Enfin, j’ai appris qu’accepter les choix de vie des autres était la première étape pour accepter les siens.


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