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L'expatrié, cet étrange animal un peu chiant

  • Chloé
  • 4 juin 2017
  • 5 min de lecture

Je crois que je m’attaque à gros dans ce post. Expliquer l’inexplicable n’est pas chose aisée mais j’aimerais être en mesure de mettre des mots sur les sentiments, les émotions, les états d’âme, les réactions qui s’exercent dans nos êtres lorsque l’on voyage sur le long terme ou que l’on pose ses valises dans un autre pays ou que l’on est ce que l’on appelle un « marginal de la société », par nos idées, nos envies ou notre mode de vie qui n’a rien à voir avec ce que la « normalité » prône.

J’aimerais que l’expatrié notamment et tous les « marginaux » ne passent plus pour ce qu’ils ne sont pas et qu’on comprenne ce qu’il se passe dans leur petite tête de « privilégiés » ( ?)

Mes dernières conversations Messenger, à quelques jours de mon retour et par pure coïncidence, pourraient servir à peindre des tableaux abstraits. Les formes et les couleurs se mélangent à l’image des émotions et du beau bordel des cerveaux qu’elles dépeignent. On ouvre les débats, on plonge dedans, on se noie dedans. On se renvoie la balle, on s’attaque à coups de gros mots tels que « vie », « liberté », « épanouissement », « normalité », « modèle de société » et le sens qu’on peut leur donner. Mon cœur est actuellement enseveli sous le poids des mots, des émotions. Je mange, dors, ris, pleure des formules telles que :

- « Je veux voir ce qu’il y a ailleurs, les schémas qu’on nous propose m’ont jamais tentée, je l’ai toujours su mais c’est dur de s’en éloigner quand tous tes proches vivent comme ça. […] Je veux faire des choix parce qu’au moment où je les prends ça me convient et ça me plait. »

-« le monde te renvoie ton voyage comme une parenthèse en ramenant tout au côté terre à terre, et c’est très violent d’une certaine façon car j’ai toujours peur d’oublier les bienfaits de mon année voyage, la philosophie que j’en ai tirée, de le considérer comme un rêve, une parenthèse… […] Par « pression sociale » je voulais reprendre un boulot « normal » avec de gros guillemets. Mais je n’y arriverai pas. […] Je ne dis pas qu’on a tout compris en voyageant car je me méfie de considérer le voyage comme la forme ultime de liberté mais c’est tout un rapport aux choses qui est là. »

La Malaisie a été un feu d’artifice d’émotions, de découvertes, de changements et de remises en question, sans que je m’en rende vraiment compte. J’ai été très seule avec un mode de vie qui ne correspond pas à ce que je pensais être. Ne pas sortir, ne pas passer de longues soirées entre amis, ne pas aller danser, ne pas travailler dans une « vraie » structure, être la femme de l’expatrié, celui qui a le « vrai » travail, la vraie reconnaissance. J’ai découvert ce que signifiait avoir le temps, prendre le temps. Et tout ce que cela implique. De quoi accueillir les formules citées ci-dessus, y réfléchir sans cesse, les tourner dans tous les sens. Prendre le temps prend des formes différentes suivant les personnes. Mais en étant à des milliers de kilomètres, en travaillant de chez moi, à mon rythme et selon mes besoins, en ayant pour principal compagnon un petit chien et ma boîte de café soluble (ou les succulents muffins de Starbucks), c’était l’occasion de se découvrir. Insolite vous me direz. Révélateur je vous répondrai.

Je lis depuis quelques temps de nombreux articles qui font l’apogée de l'ennui, du repos, de la méditation, de se retrouver avec soi-même. Ils mettent en avant la valeur incroyable de ce temps que l’on a avec nous-même dans nos sociétés qui vivent à mille à l’heure et qui ont dénigré tout cela. Et j’en suis la preuve vivante. Mais je crois qu'on n'en sort pas indemne. Je crois même qu’on en sort écorché vif, changé à jamais, endurci et affaibli, étourdi, perdu mais déterminé. Et c’est là que le syndrome de l’expatrié, du voyageur, du marginal, se fait le plus sentir. On a goûté à autre chose, on a découvert un nouveau mode de vie, on a questionné les choses, le modèle de société qu’on nous propose depuis bientôt trente ans (oh my goodness…) On l’a inversé ce modèle. On l’a analysé de loin. On l’a détesté et il nous a même parfois manqué.

Je pourrais expliquer une partie du phénomène en disant qu'on souhaite une vie différente, qui cherche du sens ailleurs que dans les choses, dans un seul job, une seule carrière. Qu'on souhaite une vie qui s’ouvre à tous les possibles. Une vie qui base son épanouissement et sa réussite sur des choses bien plus personnelles, sur sa propre personnalité et celle des autres, ses découvertes, ses relations, son approche de l’autre, la gestion de son temps, sa capacité à toujours apprendre et s’émerveiller. J’aimerais dire que cette vie n’est que positive, qu’elle ne fait jamais peur et qu’elle ne pose pas de questions.

Voilà ce qu’il se passe dans la tête de ce petit expatrié privilégié devenu tellement ennuyeux de retour dans sa patrie, tellement différent. Ce petit expatrié qui se place en victime (le con !) après des mois à avoir découvert le monde, à avoir profité de choses époustouflantes, à s’être prélassé sur les plus belles plages, à avoir envahi Instagram de ses photos énervantes (vous n’êtes pas encore parti ?!)

J’aimerais dire que les changements sont profonds et que bien qu’on ne sache pas toujours comment les apprivoiser, les gérer et les replacer au centre d’une vie qu’on a toujours connu, ils font partie de nous et de notre retour. Ils sont ce pourquoi nous paraissons si différents, changés, si perdus, présents mais pas vraiment. Pourquoi ils nous font tant redouter le retour à la réalité, qui n’a rien à voir avec un manque d’amour pour nos proches. Pourquoi ils nous font peur de nous perdre de nouveau. Oui car on pense enfin s’être trouvé, du moins une bonne partie de nous-même. Et cette quête n’a pas été facile alors il ne faudrait surtout pas la laisser s’éloigner. Ils expliquent pourquoi nous ne parlerons pas de ce que fait la voisine à notre retour, ni de la taille de son pantalon qui a augmenté ou diminué. Pourquoi nous refuserons de juger une personne sur ses résultats scolaires, pourquoi nous n’encouragerons pas notre petite nièce à entreprendre à tous prix des études, pourquoi nous nous intéresserons enfin à nos amis qui font des boulots manuels. Nous espérons enfin donner sa juste valeur à ce que pense et ressent notre interlocuteur, nous sommes en perpétuelle demande d’échanger et d’apprendre des autres. Nous aimerions avant tout parler d’eux, de leurs envies, de leurs hobbies, de leur travail s’ils l’aiment, de leurs questions sur la vie, de leur enfant qui fait ses premiers pas, de leur balade dans les vignes le weekend dernier, de comment l’on peut aider à changer la donne en politique si nous n’en sommes pas satisfaits, les aider à cuisiner, les accompagner en balade, en courses, chez des amis, les accompagner dans leurs silences.

Nous aimerions discuter de choses futiles et de choses importantes. Nous n’avons pas tant changé, nous avons surtout créé une échelle d’importance dans nos vies. Pas des gens mais des choses. On aimerait que l’on nous donne du crédit avant de nous marcher dessus sans scrupules, piétiner nos rêves et ce que nous sommes parce que c’est différent. On aimerait être respecté autant que l’on a appris à respecter les autres, là-bas.

Vouloir autre chose, changer, choisir de vivre et penser différemment ne devrait jamais devenir sujet à controverse, dépression, marginalisation, dénigrement. Ce devrait être source de compréhension, d’échange et d’amour… toujours.

Voilà ce qu’il se passe dans nos petites têtes d’expatriés. Elles reviennent grossies, prêtes à exploser, pas d’une intelligence supérieure non mais d’un cœur rempli à ras bord, parfois trop. Et ce cœur ne demande alors qu’à donner et échanger, sans limites.


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