Le minimalisme: tout est question de perception
- Chloé
- 17 mai 2017
- 8 min de lecture

Ca fait quelque temps que je voulais écrire sur le minimalisme, ce courant qui s’apparente à ce qu’on appelle « la simplicité volontaire. » Ce mode de vie que j’ai adopté et que j’essaie d’adopter tous les jours depuis un an maintenant. Je sais qu’il est encore peu connu et qu’il est surtout vu comme une mode bobo qui fait rage comme le végétarisme et tous ces « trucs chiants d’écolo’ ». Et puis hier j’ai regardé le film « Minimalisme : un documentaire sur les choses importantes » et j’ai su qu’il y avait finalement pleins de choses à en dire de tout ça, d’autant que tout est une question de perception et qu’on ne s’en rend pas vraiment compte quand on a le nez dedans.
J’ai grandi dans une ville riche. La plupart des camarades que je côtoyais à l’école étaient issus de familles aisées. Je rentrais du collège en demandant les dernières baskets à la mode, à 100€ la paire. En évoluant ensuite dans un milieu de filles, j’étais forcément attirée par les fringues au-delà de l’entendement. Il fallait être belle, classe et jamais en retard sur la mode. Si je pouvais avoir une tenue différente pour tous les samedis soirs où je sortais c’était parfait. A la fac j’ai décroché un job étudiant où je gagnais entre 600 et 800€ par mois, en vivant chez mon père. Pas difficile de faire le calcul sur ce que je me mettais dans les poches une fois enlevés les frais de la voiture et du téléphone. C’est alors qu’au lieu de mettre de l’argent de côté, j’ai dépensé des payes entières chez Mango, Zara, dans les chaussures, les sacs à mains. Je me sentais plus jolie, j’aimais être habillée à la mode, en avoir plein mon armoire. Je me sentais plus importante et plus belle en soirée. J’ai continué à dépenser plus que de raison dans les vêtements et tout ce qui me paraissait joli ou sympa à avoir, il n’était jamais question d’utilité finalement. J’ai eu mon premier appartement pour lequel j’ai dépensé une fortune. J’étais poussée par les photos sur Instagram de tous ces jolis appartements tout bien décorés.
Quand j’ai eu mon diplôme, j’ai emménagé chez mon compagnon qui avait déjà un appartement meublé. J’avais un faible salaire et on avait pour projet de partir à l’étranger l’année suivante alors j’ai commencé à ralentir la cadence. Des vêtements, de la déco, de tout. Pas suffisamment. J’étais fière de montrer notre appartement à nos amis et à nos familles quand ils venaient nous voir. J’étais flattée que mes élèves féminines disent derrière mon dos « elle est tout le temps bien habillée la prof’ », quasiment autant que « elle est vraiment géniale la prof’ »… Je me forçais à changer de vêtements tous les jours pour ne pas que les trois quarts de ma penderie ne servent à rien…
Vers la fin de l’année scolaire, j’ai lu quelque chose sur Instagram qui m’a interpellée. La femme d’Aaron Paul (Jessee Pinkman dans Breaking Bad pour les connaisseurs) avait partagé une photo avec un ami écrivain qui parlait du minimalisme et de cette méthode qui consiste à faire des inventaires personnels. Vous commencez avec des choses basiques telles que votre chambre ou votre dressing et pour chaque objet vous vous posez la question « est-ce que ce truc me rend vraiment heureux ? » Et on peut ensuite étendre le concept aux relations (amicales, amoureuses), au travail. J'ai déménagé dans la foulée, en galérant à trouver un camion et en ayant fait une semaine de cartons alors qu’on vivait là depuis deux ans (et un an pour moi) et que l’appartement était meublé (donc en principe avec le minimum basique et utile pour vivre.) J’ai pesté en entassant tous ces cartons, tout cet argent, tout ce temps dépensé, je me suis trouvée nulle. Cet été-là je ne suis pas allée faire les soldes et ça ne m’a pas manqué.

Vient ensuite la perception liée à tout ça. C’est ce que m’a appris le voyage et partir vivre à l’étranger. En partant, en retournant vivre dans un logement temporaire, une colocation, en étant avec d’autres jeunes, la plupart étudiants, en voyageant avec eux tous les weekend, en discutant de tout sauf de déco’ ou des dernières baskets à la mode, en ne connaissant personne dans Belfast, en étant entourée par un peuple qui ne prête aucune importance au paraître, j’ai commencé à apprécier qu’on ne me regarde plus, qu’on ne me juge plus sur mes fringues et à ne pas avoir à me creuser les méninges pour acheter toujours de plus jolis vêtements. Bien sûr j’aimais toujours bien m’habiller, me faire jolie mais j’avais largement de quoi faire avec ce que j’avais déjà. J’ai été tentée et j’ai craqué sur de nouvelles fringues, notamment en découvrant chaque jour une tenue différente et carrément canon sur les deux femmes pour lesquelles je travaillais là-bas. C’est là que l’entourage et la perception rentrent en compte. En étant entourée d’étudiants voyageurs, je n’avais pas envie de tout ça. En étant entourée par deux travailleuses qui avaient une tenue différente tous les jours, Zara était encore mon meilleur ami/ennemi. En vivant en France entourée de personnes qui étaient déjà « posées », j’avais envie d’une jolie déco’ comme elles voire même d’un enfant à un certain moment. Dès lors que j’ai quitté cette vie-là (qui n’est pas plus mauvaise qu’une autre, ce n’est pas mon propos ici), je n’ai plus eu envie de ça.
En rentrant à Noël, après quatre mois incognito, je me suis demandée trois jours avant « qu’est-ce que je vais mettre pour la soirée de vendredi ? Si je croise untel et unetelle il faut que je sois bien habillée, que je fasse bonne impression. » Pitoyable. J’ai été perturbée dans le tramway par toutes ces filles qui me regardaient de la tête aux pieds. Je n’avais plus l’habitude, j’avais oublié comment c’était. Cette année-là on a encore dépensé de l’argent qu’on n’avait pas à Noël. On ne voulait pas avoir un moins beau cadeau que celui qu’on nous offrait, on pensait au moins devoir ça à nos familles qu’on avait laissées pendant quatre mois. Finalement, être ensemble après ce temps passé à des centaines de kilomètres était tout ce qui comptait.
Cette fois j’ai vraiment commencé le minimalisme. On repartait en Malaisie, on changeait de nouveau de logement, on était persuadé qu’on repartirait encore ailleurs ensuite. Alors j’ai passé une journée entière à trier, donner et jeter. Tous mes vieux cahiers d’école que mes parents avaient gardés (pour quoi faire ?), toutes mes babioles, toutes mes fringues que je ne mettais plus ou pas, tout ce qui ne m'était pas utile. J’ai passé une super journée à relire de vieilles lettres du collège, j’ai emballé celles qui comptaient vraiment dans une boîte à chaussures, je suis allée mettre les sacs poubelle dans la benne du secours populaire et basta. J’ai vendu ma voiture. J’ai fait ma valise en mettant le strict minimum. J’avais droit à 30 kilos, ma valise en faisait 17 à l’aéroport. Je n’avais qu’un sac à dos en plus.
En Malaisie, où je vis actuellement, le minimalisme s’impose. Les gens n’ont rien. Les trois quarts des femmes sont musulmanes et portent donc des robes amples et simples et des voiles. La mode n’est pas une priorité et la plupart des magasins proposent des vêtements et des chaussures qui sont passés de mode en Europe. Je n’ai donc aucun problème à ne pas m’en préoccuper. Notre petite armoire est suffisante pour deux. J’ai cinq paires de chaussures dont mes baskets chaudes que j’avais au départ de France et mes baskets de sport. Je ne mets que deux paires la plupart du temps. Je fais un roulement dans mes vêtements puisque j’en ai peu. Je n’ai acheté en cinq mois que deux robes car j’en avais besoin. Toute la nuance est là. Nous vivons dans une maison de fonction basique, encore bétonnée, vétuste, avec une déco’ vieille et sale. Je m’y suis habituée en une semaine.

Finalement tout ça n’est qu’une question de perception. Celle qu’on a nous mais surtout celle que nous donne notre mode de vie, notre entourage. Personne n’est coupable, c’est un engrenage commun, un engrenage dont on n’a plus conscience finalement. Le documentaire met en avant cette constatation et ne s’arrête pas qu'aux choses. Il s’agit aussi de donner du sens à une vie entière, à son travail, à ses relations. Et il est évident que ce n’est pas en achetant toujours plus, en étant constamment insatisfait par ce que nous avons qu’on le trouvera ce sens. C’est dire non à ce modèle de vie qu’on nous impose, à ces grandes maisons dont on n'utilise pas le quart de l'espace, à ces belles voitures très chères qui nous apportent nouveauté et prestige pendant une semaine et nous lassent au bout de six mois, à ces salaires à six chiffres qui font rêver mais n’apportent pas forcément les réponses nécessaires à notre vie. C’est admirer ces témoignages d’anciens courtiers ou directeurs de magasins qui ont tout plaqué (leur grande maison, leur dressing immense, leur grosse voiture.) Car comme les deux minimalistes du documentaire le disent si bien « on nous impose ce modèle-là mais ce n’est pas LE modèle. » Et comme l’a dit Jim Carrey « j’aimerais que tout le monde soit riche et célèbre un jour pour se rendre compte que ce n’est pas la réponse. »
Je suis encore aujourd’hui constamment tiraillée par ces codes, par ce modèle qu’on nous a imprégné depuis notre plus tendre enfance. Je me dis souvent qu’avec mon bac +5 je suis supposée gagner tant, faire un travail prestigieux avant de toujours finir par me dire qu’enseigner donnait plus de sens à ma vie que tout ce que j’ai pu faire avant. Ainsi que le voyage et prendre le temps. Et que la notion de prestige est bien subjective!
Bien sûr c'est un mode de vie beaucoup plus facile à appliquer à des milliers de kilomètres, quand on ne connait pas beaucoup de monde et qu'on ne travaille pas dans une grosse boîte commerciale. Mais c'est avant tout un choix, une sérénité, une quête, des réponses et beaucoup de bonheur. Je ne me suis jamais sentie aussi heureuse et satisfaite que depuis que je n'achète plus frénétiquement, paradoxalement. C'est la reconnaissance d'un problème, la prise de conscience et de contrôle sur sa vie et ses choix. C'est admettre et s'imprégner du fait que nous ne sommes ni définis par notre travail ni par notre salaire ni par notre penderie. C’est un combat constant mais il en vaut la peine !

Je finirai sur un exemple qui résume bien les choses je trouve. Mon compagnon m’a offert un weekend aux lacs du Connemara, en Irlande, pour mon anniversaire l'hiver dernier. On avait peu d’argent donc il a loué le logement et j’ai loué la voiture. On est parti rouler, se balader, visiter, on a acheté du pain et du fromage pour le samedi soir, qu’on a mangés dans notre chambre au Bed & Breakfast. On a discuté, fait des jeux, beaucoup ri. On a repris la route le dimanche. On a parlé, parlé, on s’est tu aussi, beaucoup, pour admirer la beauté des paysages. Rien d’extravagant. Un pique-nique dans une chambre, un sandwich et une bière dans un pub. Ce weekend-là est gravé dans ma mémoire. Il est catalogué pour le moment « meilleur weekend de ma vie. »
Et il y a quelques temps, on est parti fêter nos quatre ans de relation dans un resort sur une île en Malaisie. On avait envie de « marquer le coup », de profiter d’être à l'autre bout du monde pour faire un weekend romantique comme on ne pourra certainement plus en faire en Europe. Une île, une vue superbe sur la mer depuis notre chambre, les pieds sous la table, de la plongée, des requins, un trek dans la jungle, du luxe… On a passé un weekend superbe, on a payé cher (trop cher) et on est rentré en se disant: « c’était bien ». Point.
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