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Etre expatrié, entre épanouissement et compromis

  • Chloé
  • 21 sept. 2016
  • 6 min de lecture

[Mise à jour, Avril 2017]

Il y a plus de quatre ans maintenant, je partais avec mes valises et mes illusions aux États-Unis en tant que jeune fille au pair. Comme beaucoup, j'étais subjuguée par ce pays. J'avais comme bagage une licence d'anglais, des rêves pleins la tête et cette envie de longue date. On ne sait jamais trop expliquer ce qui nous pousse à sauter le pas, à s'inscrire dans une agence, faire son visa, prendre son billet d'avion et partir. La découverte, le changement, l'impression de toucher un rêve du bout des doigts, la grandeur des Etats-Unis... Une fois sur place, on se rend compte de ce que l'on vient de faire, on a le vertige et toute l'excitation nous retombe dessus. On est loin, seul et pour longtemps. On nous le répète, expatriés, habitués, employés des agences en question "il faut un certain temps d'adaptation, différent pour chacun, les débuts peuvent être très difficiles, il faut s'accrocher." Cette fois-là, je ne m'accroche pas. Le job d'au pair me rend malade, au sens littéral du terme et l'adaptation ne se fait pas, même une dizaine de semaines plus tard. Honteuse, triste et perdue, je rentre en France. Plus tard, on me dira qu'il fallait un sacré courage pour admettre la défaite et laisser tomber, pour moi et quoi que l'on en dise, c'est alors l'échec le plus cuisant de ma vie.

Cet échec n'a pourtant pas tari ma soif de voyages, ni celle de repartir. Au contraire, je voyais cela comme une revanche. J'ai toujours aimé les pays étrangers, aussi loin que je me souvienne. Je n'ai jamais été très douée en géographie, j'étais très centrée sur les pays anglo-saxons mais grâce à de belles rencontres à la fac, j'ai commencé à m'intéresser au voyage, à visiter des pays différemment. Sac à dos, sac de couchage et longues heures de bus, j'ai arpenté la Croatie en tout premier comme une baroudeuse, en Octobre 2011. Depuis, la soif de bouger ne m'a jamais quittée. J'ai eu envie de repartir la seconde où j'ai remis les pieds sur le sol français après mon échec. Je savais que vivre à l'étranger était incomparable à être de passage dans un pays. S'immerger dans la culture, rencontrer et côtoyer des locaux, parler la langue, faire ses courses, prendre les transports en commun, travailler. Toute cette routine que l'on connait par cœur chez nous mais qui nous attire ailleurs car elle est différente. Pour certains ça peut paraître absurde, aller faire ce qu'on fait chez nous à des milliers de kilomètres et trouver ça plus intéressant. Je le conçois. C'est aussi pour ça que c'est souvent difficile de dresser une ligne entre vivre dans un autre pays ou simplement le visiter en long en large et en travers en mode backpacker.

Je crois que c'est une sorte de compromis entre les deux que je vis depuis mes deux expatriations, en Irlande du Nord puis en Malaisie, cinq mois chacune. On vit comme les locaux mais on voyage aussi beaucoup plus. Etre dans un pays étranger, c'est partir tous les weekend à la conquête du pays, c'est apprendre des autres et vivre différemment, peu importe les ressemblances avec notre routine de base. Vivre dans un autre pays, c'est avoir une vision plus réelle de ce qu'il se passe chez eux, une vision plus large et plus ouverte. C'est aussi regarder notre propre pays sous un autre angle. Voir ce qui le rend fascinant aux yeux des autres, en retomber amoureux et avoir également envie d'apporter des choses des pays dans lesquels on vit. C'est apprendre par exemple qu'en Allemagne ils ne s'autorisent aucune forme de patriotisme, 72 ans après la Seconde Guerre Mondiale, par honte. C'est savoir qu'en Chine et en Turquie, il faut installer un logiciel spécial pour contourner la censure quotidienne. C'est comprendre que l'histoire du Royaume-Uni est beaucoup plus complexe que celle que l'on nous sert à l'école. Les irlandais adorent ou détestent leur reine et leur gouvernement britannique. Ici, la reine est présentée comme une tueuse. C'est réaliser à quel point des pays peuvent être si différents de nous et "en retard". Quand la corruption fait partie de la vie quotidienne et que peu de chances sont données à la majorité des habitants, il faut alors évoluer dans un monde qui nous parait parfois à peine croyable, dans lequel les habitants n'ont pas le quart de connaissances que nous avons en Occident et n'ont pas du tout les mêmes préoccupations que les nôtres. Tout ceci sont de magnifiques leçons de vie. Je crois que le pays n'a pas grande importance. Il y en a qui nous marquent, d'autres que l'on aime moins, c'est par exemple mon cas avec l'Irlande qui me manque chaque jour et la Malaisie qui ne me plait pas spécialement. Mais peu importe, l'expérience est toujours forte et le retour toujours difficile. Les choses manquent de saveur...

S'expatrier c'est aussi des compromis. Trouver du travail quand on ne vit que quelques mois dans un pays n'est pas chose aisée et il faut mettre de côté tout poste trop sérieux qu'on ne pourra donc pas garder et toute espérance de réelle carrière professionnelle puisqu'on repart. Les cases dans lesquelles la société veut nous parquer sont alors à contourner et seul partir semble être le remède. La France est particulièrement douée pour cultiver ces cases. L'Irlande du Nord m'a apporté quelque chose que la France n'a jamais pu: une sérénité heureuse. Ne pas rentrer paniquée chez soi car on n'a pas un CDI et 2000€ de salaire à 25 ans après un bac +5, se laisser aller à vivre et être heureux sans pour autant avoir une maison, un avenir tout tracé et un chien. C'est accepter que les autres soient heureux ainsi mais que ce ne soit pas notre cas. C'est faire taire ces voix intérieures ou bien réelles autour de nous qui ne comprennent pas que l'on puisse "gâcher" ses capacités et ne pas cotiser pour une retraite que l'on ne vivra peut-être jamais... Car on a beau être heureux ainsi, il est très difficile de se débarrasser de trop nombreuses années de "cases" et de "lavage de cerveau".

S'expatrier c'est aussi accepter que l'on ne sera pas présent pour des moments clé entre amis ou en famille, qu'ils vont parfois nous manquer plus que de raison et que notre seule envie sera de prendre un avion dans la seconde pour nous ressourcer juste quelques jours. C'est accepter que chacun continue sa vie et ne la mette pas entre parenthèses pour se mettre à "notre" heure, à "notre" rythme. Accepter que lorsqu'on rentre, on a beau raconter 100 fois les mêmes histoires, les gens ne les ont pas vécues avec nous et ont eu les leurs, d'histoires. Mais c'est aussi se rapprocher de sa famille et de ses amis comme jamais, à des milliers de kilomètres, paradoxalement. N'avoir que les bons côtés et ne plus s'intéresser aux détails négatifs de nos relations, ne garder que le meilleur. C'est être si heureux de rentrer, c'est tout vivre intensément, ici et en France.

Partir à droite à gauche pendant que l'envie est encore assez forte. Se donner les moyens de le faire, admettre que ce n'est pas difficile, juste beaucoup de temps et de volonté. Admettre qu'on laisse de côté les cases, l'avenir tout tracé parfois rassurant, parfois effrayant. Vivre avec moins, ne vivre que pour le voyage. Adopter un mode de vie minimaliste qui recentre les choses sur l'essentiel: vivre. Ne plus se laisser tenter par du superflu (vêtements, déco, grands restau', voyages ponctuels tout confort hors de prix, nouvelles baskets à la mode...) pour garder son budget pour ce qui nous rend réellement heureux et ce qu'on gardera en nous. Ne pas avoir de maison à soi, de voiture...Partir c'est d'abord comprendre ce qu'il nous faut, ce qui nous fait vivre et nous fait vibrer, ce qu'on est prêt à accepter pour la découverte, ce qu'on est prêt ou non à laisser derrière soi. Mais c'est surtout être heureux de rien, avec peu, savoir vivre intensément le moment présent, se nourrir des autres, apprendre encore et toujours, découvrir encore et encore, s'émerveiller toujours plus fort, envoyer valser les codes, prendre du temps de qualité, ne pas s'en vouloir, ne pas culpabiliser, se dire que c'est avant tout une volonté, un choix, avant d'être une chance.

Aujourd'hui cette vie par monts et par vaux ne me procure plus la sérénité heureuse que j'ai ressenti en Irlande et dans laquelle j'avais l'impression de pouvoir me noyer des années. Mes envies ont évoluées. L'enseignement me manque. Je souhaite donc retrouver une vie et un travail plus réguliers, sans pour autant délaisser les découvertes (je crois qu'une fois qu'on y a goûté, cette envie ne nous quitte plus.) Je sais que ce ne pourra être assouvi qu'en étant de nouveau dans un autre pays, cette fois pour plus de six mois et en continuant à s'épanouir de ce mode de vie minimaliste qui consiste à n'acheter que lorsque c'est réellement nécessaire pour utiliser ce temps et cet argent dans ce qui nous tient réellement à cœur, dans ces voyages et ces découvertes. Je sais que je m'attacherai alors à garder cette connexion avec moi-même, cette curiosité intarissable du monde et du pays dans lequel je serai (les beautés ne sont jamais loin de chez nous) et que je saurai m'écouter quand l'envie de repartir ou de faire autre chose redeviendra trop forte. C'est aussi ça la sérénité heureuse.

Quoi qu'il en soit, partir fut la meilleure décision de ma vie, partir à deux la seconde...


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