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To be or not to be... a teacher?

  • Chloé Barberet
  • 31 mai 2016
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 juin 2021


Après avoir entendu toutes sortes d'atrocités (pas si atroces mais carrément vraies), je décide de changer de voie une fois ma licence d'anglais en poche. Ce sera le tourisme. Les stages qui m'attendent ne sont pas glorieux. Souvent jobs dévalorisants déguisés en offres alléchantes, il faut s'accrocher. Je me vois bosser 50h par semaine en cumulant job étudiant et stage horrible ou encore devoir supporter ces touristes qui se croient tout permis sous prétexte qu'ils font marcher l'économie d'une ville, d'un lieu. Les gens sont ingrats, impolis et te considèrent comme une merde parce que tu leur rends service. A toi le boulot les samedis et jours fériés et les semaines de plus de 40h en saison. Vous allez vous dire que je digresse pas mal là. C'est quoi le rapport avec le métier de prof? Bah figurez vous que tout ça mettra le reste en perspective. Parce que je vais vous le polir le métier de prof, je l'aime tellement, mais je vais aussi devoir faire la parenthèse "galères". Et là vous saurez que je n'ai pas vécu "que ça".

Donc je disais, après avoir entendu et côtoyé des gens passionnés par leur boulot de prof mais ne pouvant pas allier vie privée et vie professionnelle, risquant leur vie dans des quartiers difficiles où règne la loi du plus fort (et souvent la loi des parents), ne pas avoir la chance de se rapprocher de leur famille en étant marié, avec enfant et maison sur les bras, vous pensez bien que je me suis sauvée. Adios les vacances tous les deux mois et l'emploi du temps de dingue! J'ai vu des profs/instituteurs déprimer parce qu'ils se voyaient obligés de quitter ce métier qu'ils aiment tant pour pouvoir se rapprocher de leur famille. Entre l'amour qu'ils portent à leur enfant et celui qu'ils portent à vingt autres, il faut choisir (et bizarrement, le choix n'est pas toujours si évident.) Vous allez me dire, ailleurs c'est pas forcément mieux. On n'a pas toujours le job de ses rêves à 5km de chez soi et il faut parfois (souvent) faire des concessions, mais quand même...

Parce que je tiens à rappeler qu'un ingénieur avec un bac +5 gagne un salaire moyen de 4000€ (brut) par mois quand un prof, avec un bac +5 et un concours également, gagne en moyenne 3000€ brut par mois. Alors vous allez me dire (et je vous entends), un prof ne reste pas au boulot jusqu'à 20h pour finir un dossier et ne part pas en vacances uniquement cinq petites semaines dans l'année. Vrai. Par contre, un prof peut bosser tout le week-end sur des copies à corriger et des cours à préparer. L'ingénieur et le prof ont tout deux besoin de beaucoup de connaissances pour bien travailler et s'ils se débrouillent bien, ils peuvent tout deux s'éclater dans leur job. Sauf que chez le prof, vous enlevez une bonne part de "attractivité salaire" et vous ajoutez une bonne dose de "galères aléatoires et gamins hors de contrôle." Et comme on nous dit souvent (à raison vu la galère de l'éducation nationale à recruter), "les gamins, il faut les supporter!"

Finalement, vous vous doutez que je suis tombée dedans quand même. Quand je n'ai pas trouvé de boulot dans le tourisme après mon master et que j'ai refusé de me refaire un an à servir des touristes qui me faisaient me sentir comme une moins que rien, prof a été le super plan B. Et après une laborieuse recherche de boulot avec un bac +5 qui te fait perdre foi en beaucoup trop de choses, j'ai foncé tête baissée dans l'éducation nationale qui était la seule à reconnaître mes études, mes compétences et à m'ouvrir ses portes.

Etre contractuel c'est précaire. On n'a pas un salaire mirobolant, on comble les trous, on bosse loin de chez nous, on n'a pas le concours donc on vivote de remplacement en remplacement. Moi, j'ai eu la chance d'avoir des postes à l'année. Six heures par ci, six heures par là mais presque un temps plein quand même, pour ne pas gagner un SMIC et faire 3h de trajet A/R tous les jours.

Parfois, je rentre épuisée, lessivée et je n'ai plus la force de rien... après trois petites heures de cours (alors que je tenais des journées de 8h à supporter des vieux chiants dans un office de tourisme.) Parfois, je pleurs. Parce que quand même, c'est dur. Parce que j'ai l'impression d'être une mauvaise prof, de ne pas les intéresser et de ne rien leur apporter. Parce qu'ils m'ont épuisée moralement et physiquement, parce qu'ils n'écoutent rien, ne font pas d'efforts, ne sont pas reconnaissants et parlent mal. Aux autres et à moi. Parce qu'ils ont des vies en dehors de l'école, des personnalités et des caractères à forger, parce qu'en face de nous gravitent vingt caractères différents, vingt vies différentes, vingt déboires et bonheurs différents, vingt histoires différentes. Parce que tout ce mélange, il faut le prendre en compte, le gérer, l'apprivoiser, le différencier. Parce que ce ne sont pas des robots et nous non plus. Imaginez vingt cœurs remplis de tout un tas de sentiments dans une même pièce, c'est détonant, c'est intense, c'est enrichissant...et c'est épuisant.

Ce plan B, c'est ce genre d'opportunités qui arrivent dans ta vie quand tu n'as pas eu ce que tu voulais pendant longtemps, qu'on t'a refusé des choses, que tu les as ratées et que tu te dis "ah ouais, c'était donc pour ça. Tout ça pour me mener ici." Je ne sais pas si je peux parler de vocation à vie. Certainement pas non. Mais je sais dorénavant qui je suis, ce que je veux, ce qui m'intéresse vraiment. Après une année scolaire, totalement différente de bien des autres, en mieux ou en moins bien, je peux dire que je suis plus épanouie dans ma vie. En effet, je suis une meilleure personne d'avoir enseigné et surtout partagé avec cette petite centaine de personnalités pendant un an. Ils vous font sacrément relativiser ces gamins il faut dire, et les miens ont entre 3 et 20 ans, de quoi explorer en long, en large et en travers l'humain à un moment de sa vie où il se développe le plus.

C'est une drogue dure. Avec certaines classes, c'est aller à l'abattoir. Le niveau est alarmant, désespérant, les comportements dépassent l'entendement. Avec d'autres c'est l'épuisement garanti. En une heure ils vous pompent toute votre énergie, littéralement. Mais on y retourne, chaque jour, rarement le cœur lourd, rarement à reculons. Le partage qui s'établit entre le professeur et sa classe est une chose magique qui n'est pas descriptible. On me demande souvent comment je suis, on me dit qu'on adorerait me voir travailler, que ça doit être tellement "étrange" mais ça se décrit difficilement. Le lien qui unit un professeur à ses élèves (surtout avec certains d'entre eux et avec certaines classes) est unique et fort. Ils comptent sur nous et nous vouent une confiance aveugle (pour la plupart.) C'est à nous qu'ils poseront toutes leurs questions, même les plus folles, parce qu'ils pensent que toutes nos réponses sont justes, parce qu'ils aiment nous entendre les rassurer. Le partage qui se fait durant une, deux heures de temps dans une salle de classe n'appartient qu'à nous et reste hors du temps. Ces rires, ces blagues qui volent au ras des pâquerettes mais nous font tous rire, ces pleurs, ces histoires de cours de récré qui ont pour eux tellement d'importance. Voir au-delà d'eux-mêmes, comprendre leurs réactions, difficultés et comportements, savoir avant eux ce dans quoi ils excelleront et ce pour quoi ils sont faits, permettre à travers des œuvres de leur montrer des choses qu'ils ne verront peut-être malheureusement jamais, leur montrer que tout est possible en espérant très fort que certains y croiront et s'en donneront les moyens, autant qu'ils peuvent.

Partager avec une centaine de gamins des morceaux de leur vie et de la nôtre. Une année ça passe vite mais une année scolaire, pour un enfant, c'est très long. Il peut se passer des millions de choses dans une année scolaire et nous sommes, à ce moment là, un de leurs nombreux repères. Ils se souviendront de nous longtemps encore et vice versa. Etre prof, c'est certainement (avec les métiers du social), un des seuls jobs qui permettent de si belles choses, c'est à dire de partager autant de morceaux de vies. On s'imprègne de ça, on n'est jamais vide. Chaque heure de cours ils peuvent nous vider mais aussi nous remplir de tout un tas de choses. Si un matin on va mal, on met tout ça au placard. Dans la plupart des cas, ils le sentiront et nous laisseront tranquille, en étant même aux petits soins. Le métier de prof est bourré de galères. Les gamins ne sont pas des anges et je n'ai jamais mis les pieds en zone difficile (je suis d'ailleurs une sacrée débutante pour porter un quelconque jugement légitime) mais c'est aussi tellement plus que ça.

Chaque jour dans la vie d'un prof est unique. Les tâches sont répétitives mais les 3/4 du temps restant sont laissés au hasard. L'humeur du prof et des élèves jouera beaucoup. Certains cours seront un calvaire, pour eux et surtout pour nous. D'autres nous emplissent le cœur d'amour et d'espoir. On les découvre chaque jour, ils nous surprennent, nous font rire, nous touchent. Nous sommes fiers d'eux après avoir été déçus, nous les détestons puis nous les aimons.

Etre prof, c'est un peu comme une relation passionnelle. On crie fort, on pleure, on rit, on vit tout intensément et chaque jour est différent, sans savoir de quoi demain sera fait.

Merci à eux!


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