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Corps à Cœur avec le Brésil. Une expérience extraordinaire.

  • Chloe
  • 7 oct. 2018
  • 10 min de lecture

Dernière mise à jour : 13 sept. 2021


“Si j’ai bien appris une chose c’est celle-ci: si l’insatisfaction est notre maladie, voyager est le remède. Les endroits nouveaux requièrent un nouvel apprentissage. Ca fait ressortir l’enfant qui est en nous et ça le pousse à l'action. Parce que quand on est enfant, tout est nouveau. On porte attention à tout parce qu’on le doit. Mais quand on vieillit et qu’on a ses habitudes, le temps s’accélère. Le voyage a cette façon de réveiller le cerveau, de le secouer, d’apporter une nouvelle attention à ce qui nous entoure. Cette sorte d’attention est naturelle pour un enfant mais pour un adulte elle doit être choisie. L’astuce, c’est de savoir quand on est en réalité un adulte et quand notre attention est endormie.

[...] Je ne savais pas que ce voyage me libérerait de chaînes que je ne pouvais voir. Je m’accrochais aux récits de mon enfance comme à des trésors mais avec les mains pleines je ne pouvais rien recevoir de nouveau. Et je ne pouvais voir que je tenais fermement à la fois un trésor et du poison.

[...] Les années qui suivirent ma décision de partir furent différentes des autres. Je savais que je partirais aussi tôt que j’aurais 30 ans. Savoir cela a changé ma façon de percevoir le temps. Mon job m’a paru plus important. Je prenais davantage de responsabilités et travaillais plus dur parce que je savais que je n’avais plus qu’un certain laps de temps pour faire ce que j’avais à faire. Et j'ai arrêté de me sentir prisonnier. » Jedidiah Jenkins

***

Ça fait un mois que nous sommes au Brésil. Un mois que mon esprit est en constante ébullition de par ce que j’apprends, j’entends, je vois et expérimente. Bien sûr, je n’ai encore que très peu de recul mais ce que j’y ai expérimenté en un mois seulement, c’était comme apprendre un an de programme scolaire en 15 jours. L’Asie a changé ma vie. Toutefois, il m’a fallu bien du temps et du recul pour en avoir pleinement conscience. Ce fut par étapes. Mais rien ne m’avait préparée à ce déferlement d’expériences et de découvertes lorsque j’ai mis les pieds sur le sol brésilien.

Alors que j’ai vécu dans trois autres pays, que je pensais me documenter régulièrement, avoir une certaine approche du monde, des autres et une certaine culture aussi, je me rends compte qu’en fait je ne sais rien et que je vivais dans une bulle. J’aime ces leçons d’humilité car elles me clouent le bec et me font grandir d’un coup.

Je souhaitais donc commencer cet article en citant l’un de mes auteurs préférés, Jedidiah Jenkins, qui a décidé de tout plaquer à ses 30 ans et de partir à vélo de l’Oregon, Etats-Unis, à la Patagonie, pointe de l’Amérique du Sud, pour vivre une aventure hors des sentiers battus et trouver des réponses à ses questions. Ces quelques phrases figurent au début du livre qu’il vient de sortir sur l’aventure de sa vie et m’ont frappée. J’ai trouvé qu’elles illustreraient très bien cet article, tout comme elles illustrent très bien cette envie qui nous a pris de partir il y a deux ans et ce qu’on en fait depuis, intentionnellement ou non. Cette façon que l’on a eu de changer souvent de travail, de pays, de vie même - et qu’on a parfois eu du mal à expliquer - en pensant suivre uniquement les opportunités qui se présentaient à nous, est en fait bien plus que ça. Notre perception du temps que J.J. décrit si bien, et cette manière de vivre et recevoir comme des enfants, complètement éveillés, est au cœur de notre démarche depuis deux ans en fait. Nous aussi nous sommes ensorcelés par cette façon de tout vivre intensément car rien ne dure. De ne jamais se sentir prisonniers car on sait qu’on est capable de tout plaquer et recommencer. Bien que les expériences que nous vivons nous changent intensément et créent une sorte d’addiction - qu’on retrouve d’ailleurs dans le fait qu’on accepte la douleur et la difficulté pour mieux apprécier ce sentiment de plénitude du drogué - cette « nouvelle » perception du temps est en réalité un vrai trésor et une partie de ce qui nous pousse à recommencer. Et c’est en effet quelque chose qu’il est très difficile de laisser tomber.

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Pour remettre les choses en contexte - car cet article risque de manquer cruellement de structure ou de logique – j’enseigne dans une école internationale américaine, au Brésil. Mes élèves sont majoritairement brésiliens, quelques-uns sont enfants d’expatries. Et mes collègues sont surtout brésiliens et américains, une partie toutefois vient des quatre coins du monde (Honduras, Serbie, Afrique du Sud, Curaçao, Angleterre, France.) Tous ceux qui ne sont pas brésiliens, sans exception, ont déjà vécu dans d’autres pays que le leur. L’anglais est la langue officielle de l’école et la culture américaine se retrouve dans tout ce qui est scolaire (programme, horaires, vacances, organisation de la journée, diplôme, examens...) mais le reste est bercé par la culture brésilienne (atmosphère et ambiance, relation professeurs/élèves, repas, réunions, relations de travail, hiérarchie...) Le tout est saupoudré d’une approche religieuse puisque l’école est chrétienne et enseigne selon les préceptes de la Bible (la création et non l’évolution.)

Et c’est ce qui ressort le plus de mon aventure ici. Ce qui met mon cerveau en constante ébullition. J’expérimente le Brésil à travers mes élèves et mes collègues mais dans un contexte totalement international. C’est à dire que chacun de mes collègues apporte à la fois la culture de son pays d’origine et une vision internationale, gagnée dans le ou les pays dans lesquels il a vécu. Mark est américain, certaines de ses réactions sont le résultat pur de sa culture, d’autres sont celles acquises en vivant en Chine puis en Colombie. Mark dit qu’il a cessé de juger quelque pays que ce soit après avoir vu les chinois travailler sans relâche de 6h du matin à 9h du soir, acquérir des compétences académiques incroyables mais zéro savoir-vivre. Puis avoir été témoin d’une vie relax et fêtarde en Colombie où la pauvreté du pays fait qu’il est commun de se droguer à 12 ans et avoir des relations sexuelles à 11. Il faudrait un juste milieu? Peut-être mais il ne juge pas, des tas d’autres facteurs rentrent en compte. Pourrait-on faire vivre plus d’un milliard de personnes d'un même pays de la même manière que vivent les européens?...

Karen est sud-africaine. Il y a toutefois longtemps qu’elle a quitté son pays, dont elle n’oublie toutefois pas l’humilité, la pauvreté ni l’influence britannique acquise pendant les colonies. En Afrique du Sud, apprendre c’est important car les gens n’ont pas grand-chose. La clim et le chauffage existent à peine dans les petites maisons de fortune. A Dubaï, où elle a enseigné quelques années, la vie est presque inversée. L’école n’est pas importante, l’apprentissage n’apporte rien au compte en banque déjà bien rempli d’enfants de 6 ans millionnaires et déjà « hommes d’affaires. »

Les américains, eux, travaillent sans relâche à l’école et en dehors. Ils ont la tête dans le guidon, parfois peu conscients des contrastes qui peuplent leur pays. Chez eux ce n’est pas trois mois de vacances mais trois semaines par an alors ici on se la coule un peu trop douce à leur goût ! Les français, ces fainéants qui sont une superpuissance, ont voté le bon président et ont gagné la coupe du monde, ils font chier tout le monde. Mais qu’est-ce qu’on apprécie le pays, ses habitants bon vivants, sa nourriture, ces heures passées à table, sa douceur de vie due notamment à son système social, ses citoyens qui travaillent mais tiennent à leurs vacances et à leurs droits comme ils tiennent à leur fromage et à leur vin. « Qu’est-ce que tu fais là? Pourquoi avoir quitté la France pour venir ici?! » est une question que l’on s’est vu poser dans chacun des pays où l’on a vécu.

Je pourrais écrire des pages et des pages d’exemples du même type mais je vais m’arrêter là en espérant que ces quelques lignes suffisent à décrire l’effervescence « culturelle/internationale » qui règne dans ma vie chaque jour.

Et à cela vient donc s’ajouter la culture brésilienne, qui est à la fois nouvelle et à la fois omniprésente, frappante, envoûtante et extrêmement puissante. Le Brésil ça vous saute au visage, ça vous prend au corps et ça vous ensorcelle.

Ici le corps est au cœur de tout. Et cette phrase porte en elle les deux mots qui résument pour moi ce qu’est le Brésil que je vois depuis un mois : corps et cœur. Ici on est positif, chaleureux, hospitalier, tolérant, aimant, accueillant, bon vivant, heureux. Si le Brésil est représenté par ces couleurs vives c’est parce que le cœur de ses habitants est aussi coloré que son drapeau. La vie ici se fait au son des vagues qui se jettent sur les rochers, du sable qui crisse sous les pieds le long des plages immenses et infinies, aux couleurs du coucher de soleil et au son des cris de ceux qui tapent la balle le long de la plage. De l'océan qui cohabite avec des montagnes immenses, d'une côte incroyable à la vue extraordinaire lorsqu'on surplombe l'océan, d'une nature luxuriante. Le vert en abondance et les côtes océaniques sauvages. Ici on vit de coco gelado, de ceviche, de musiques, de sourires et de corps envoûtants qu’on exhibe fièrement sans en faire un culte de la perfection. Ici on vit fort, on danse, on rit, on aime. Corps à cœur. On ne vit pas simplement aux côtés de ses pairs, on voit ses pairs. La positivité est une devise, dire ce qui est bien, reconnaître les efforts et les qualités est une manière de vivre. On s’embrasse, on s’entraide, on s’accepte tel qu’on est, sans pudeur. On se sert fort, on s'embrasse au crossfit, on fait des bisous dans le cou, des caresses dans les cheveux (même à son dentiste qui vient à la même box de crossfit!) Voilà comment le corps est au cœur de tout ici, on communique tout par lui.

A l’école c’est omniprésent. Câlins, mots d’encouragement, reconnaissance des efforts de chacun, récompenses, entraide et ambiance très familiale. (En ce moment même la plupart du staff est réunie chez le directeur pour fêter les 60 ans de son père qui vient régulièrement à l’école quand il est en visite depuis les États-Unis, et qui cherche toujours à améliorer la vie de professeurs et élèves.)

Et pourtant la vie ici se fait au milieu des favelas, témoignage de la pauvreté qui frappe encore et frappera sûrement longtemps le pays, de son système corrompu et de son ascension fulgurante et dangereuse dont ils payent aujourd’hui le prix. Ce qu’on prend pour acquis chez nous, les droits pour lesquels nous nous battons, ne sont pas monnaie courante ici. Ce fossé entre pauvres et riches, fléau grandissant de l’Europe et de toutes les superpuissances du monde qui se sont perdues depuis longtemps dans leur gourmandise est partie intégrante du Brésil. Les policiers qui arrêtent sur le bord des routes et repartent avec une liasse de billets dans la poche, les pots de vin, les murs pare-balles le long de l’autoroute, les voitures pare-balles, les routes fermées pour cause de fusillades, les kilomètres de favelas qui s’étendent sur les collines, maisons minuscules de toutes les couleurs qui se grimpent dessus, linge qui pend dehors, déchetteries à ciel ouvert, murs décrépits, espaces de vie confinés...

***

Enfin, au milieu de toutes ces découvertes, interrogations et émotions, il y a la religion. Celle pratiquée à l’école tout du moins. Le mercredi est le jour de la semaine qui lui est dédié. Un meeting entre professeurs a lieu le matin où chacun son tour on parle d’un sujet personnel qu’on lie à Dieu. Une fenêtre ouverte sur notre intimité qui est normale au Brésil mais qui fait peur aux expatriés. Lorsqu’un collègue a annoncé son cancer, on a prié debout autour de lui, soit en le touchant si l’on était suffisamment proche (spatialement) soit en levant sa main dans sa direction. Quelqu’un s’est chargé de la prière (dans un tel contexte ce fut Matt, l’ancien pasteur), et le collègue en question a levé ses deux mains, paumes vers le ciel, pour recevoir le Saint Esprit. Les professeurs (et c’est mon cas) qui sont peu ou pas religieux, restent généralement en retrait, pudiques et respectueux de la foi des autres. Quelques fois un peu perturbés également.

La foi revêt parfois un manteau plus lourd, plus laid et plus complexe. Peu de tolérance envers les autres religions, même celles de leur propre branche. A l’école les pratiquants considèrent pour la plupart que les catholiques ne sont pas de vrais chrétiens ni de vrais croyants. On prêche des valeurs parfois indispensables, belles et élévatrices mais souvent hors de portée d’adolescents qui se cherchent et tentent de se frayer un chemin dans le monde adulte qui n’a pas forcement de sens. Proies faciles, on leur sert sur un plateau qu’il faut rester pur, qu’on prend facilement des chemins de traverse à 15 ans mais que Dieu saura pardonner et montrer LE chemin. Que l’homosexualité n’est pas une tare mais un égarement, qu’elle peut mener à des maladies, à un style de vie dépravé mais qu’il est facile de trouver une cure, celle de la religion, que Dieu pardonne tout et aime tous ses sujets, qu’il sait qu’on peut facilement se perdre en se cherchant. (Ce dernier discours n’a pour l’instant pas réellement été servi aux élèves mais a fait l’objet d’un débat par mails entre un employé administratif qui souhaitait en parler aux élèves lors de la chapelle du mercredi et la directrice, qui a refusé.) Et ce même employé a demandé à l’un de mes collègues s’il était chrétien et a prié pour lui, à genoux, en sachant qu’il ne l’était pas vraiment. Ce même collègue s’est d'ailleurs vu crucifier par des parents après avoir montré une vidéo de méditation à ses élèves alors qu’ils étudiaient l’Asie et les différents courants spiritueux tels que le bouddhisme. Mon collègue fut accusé par les parents de prêcher la parole du diable...

***

Je ne souhaitais pas achever mon article avec la religion et ses points négatifs de peur que ce soit la dernière impression qu’il laisse aux lecteurs. Je me rends toutefois compte que ce fut la suite « logique » de mes pensées, les mille questions et découvertes qui cohabitent dans mon cerveau ayant été jetées sur le papier de cette manière. Heureusement, l’habitude va estomper cette ébullition et mes prochains articles devraient être dédiés à un seul et unique sujet.

Je retiens toutefois l’essentiel : en fait on ne sait rien, et si l’on est suffisamment attentif on ne cesse jamais d’apprendre. A condition d’être prêt à se laisser submerger par des vagues immenses, en trouvant soi-même la sortie, en sortant la tête de l’eau haletant, hébété et transformé.


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