Angleterre : « je t’aime moi non plus»
- Chloé
- 23 janv. 2018
- 9 min de lecture

Le Royaume-Uni, on le connait. On y a passé cinq mois inoubliables il y a plus d'un an dans l’une de ses nations. J’en suis d’ailleurs complètement tombée amoureuse et n’ai cessé d’en rêver et de faire mon deuil depuis notre départ, il y a un an, presque jour pour jour. Seulement, l’Irlande du Nord, ce n’est pas l’Angleterre !
Et on l’a bien ressenti lorsqu’on a annoncé que l’on s’y installait pour un an et demi (en principe.) Les remarques étaient pour la plupart teintées d’une déception que personne n’essayait de cacher. « Ah en Angleterre ? Oui, pourquoi pas. Pas très exotique. » « Mouais, le climat est spécial. Ca a l’air un peu ennuyeux, mais pourquoi pas. » « Vous auriez pu aller au soleil quand même ou dans un coin plus sympa ! » « Ahah chez les rosbeef ! Bonne chance avec le temps ! » And so on…

Les débuts ont été chaotiques et plutôt difficiles, mais sans qu’on ne lie cela au pays en lui-même. Oui l’administratif est pénible et fastidieux, oui les anglais sont à cheval sur les principes et respectent les règles à la lettre, oui ils nous énervent parfois mais on n’ose imaginer ce que doit être l’administratif pour un anglais fraichement débarqué en France !
Et puis bon, avec les anglais, notre histoire de (dés)amour ne date pas d’hier ! Notre plus vieil ennemi, notre meilleur ennemi finalement. La France et l’Angleterre, c’est les feux de l’amour version militaire. Le rosbeef et les cuisses de grenouille, ça a beau être de la bouffe, ça ne se mélange pas !
Et pourtant… Le nombre de français à Londres est tout simplement hallucinant et le centre du pays où l’on vit n’est pas une exception. Ici on trouve du travail un tantinet plus facilement, les critères de recrutement ne sont pas les mêmes qu’en France et l’Angleterre fut longtemps un eldorado pour les petits frenchies qui se cherchaient une carrière. Chez Jaguar Land Rover, où travaille "l’homme", celui qui nous a traînés ici (ah non ça c’est ma décision pardon), les ingénieurs sont italiens, espagnols, roumains et surtout… français ! Et en retour, on ne compte pas le nombre d’anglais qui vient apprécier la beauté et le climat de notre belle France dans leur résidence secondaire. Les couples franco-britanniques sont monnaie courante dans les deux pays. Alors, pourquoi tant de haine ?

Peut-être finalement parce que l’Angleterre est un peu comme ce vieil ami qui nous énerve, qui nous a fait pas mal de coups bas et qu’on ne s’est pas gêné pour tabasser non plus. Ce vieil ami avec qui on n’a jamais cessé d’être en compétition mais auquel on ne veut pas de mal dans le fond. Celui avec lequel on partage pas mal de rancœurs mais encore plus de souvenirs. Celui qu’on essaie de détester mais qu’on aime quand même au bout du compte.
En Irlande du Nord, les français sont « blessed ». On nous adore, on nous paye des verres dans les pubs, on pose des bras amicaux autour de nos épaules à chaque occasion et on nous bombarde de questions. Des bouffeurs de grenouille ? Même pas peur ! Ici… et bien c’est une autre histoire. On ne mélange pas les torchons avec les serviettes!
Les petites piques sont davantage monnaie courante que les accolades. « De toute façon en Mars 2019, votre sort sera scellé. » « Les anglais vous aiment tellement qu’ils ont voté pour le Brexit ahahah ! » « Ah oui, j’oubliais que la France était siii fun! Je m’y suis tellemeeeent éclaté quand j’y suis allé. (Ironie)» Ma réponse aux remarques similaires: « ah oui, j’oubliais que passer cinq jours à Londres définissait l’Angleterre toute entière… ! » Et une mouche vole.
Voilà, c’est un peu ça les anglais et les français. On ne s’y fait pas tout de suite. Ni au climat, ni à la conduite à gauche, ni aux règles trop strictes, ni aux anglais qui vivent comme des moutons du lundi au vendredi, se bousculent dans les trains sans dire pardon, ferment leurs magasins à 17h et leurs pubs à minuit. Ni à leur gastronomie basique, industrielle et sans goût. Ni au crachin qui tombe d'un ciel gris opaque. Ni aux clichés croisés dans les films « Billy Elliot » ou « This is England », qui n'en sont finalement pas. Ceux qui parlent fort dans le train, une canette de bière à la main, le rot facile, le respect au placard. On ne se fait pas non plus tout de suite aux journées de travail sans pause, un paquet de chips ou une soupe devant l'ordi, pour quitter plus tôt le soir. Ni aux trains qui ne sont jamais à l'heure ou annulés, et à ces 30 compagnies ferroviaires privées différentes auxquelles on ne comprend rien. Ni à ces samedi soirs qui se terminent à minuit, le dernier train bondé de gens bourrés (si, ça c'est drôle!)
Mais, comme tout vieil ami, on apprend à l'apprécier, voire à l'aimer. Et c’est encore plus profond. Et parmi ces choses qu’on apprend à aimer, il y a également celles qu'on a aimées immédiatement.
Les Fish and Chips

Véritable institution au Royaume-Uni! On ne passe pas une semaine sans en manger et on ne sort pas au pub sans en prendre un. Parfois trop gras et vraiment pas appétissant, la plupart du temps succulent! Frites maison trempées dans une sauce tartare à la française et panure croustillante recouvrant du poisson frais, la base! Ici ils sont systématiquement sur le menu.
La bière !

Eh oui ! L’Irlande est peut-être THE place to be pour la binouse, et surtout la Guinness mais c’est tout le Royaume-Uni qui s’abreuve de cette potion fortifiante et sacrément désaltérante ! Si l’Angleterre est majoritairement hors de prix, les bières sont une exception et on comprend pourquoi ils ont tout fait pour que ça reste ainsi ! Une virée au pub sans quelques pintes n’est pas une virée au pub ! On la choisit directement au bar, à la pression, souvent à l’aveugle. On les essaie toutes, comme T., ou on boit que de la Guinness, comme moi.
Les pubs, oh yeah !


Là, je ne peux vous décrire suffisamment mon amour pour cette institution britannique ! Je pourrais passer ma vie ici rien que pour eux ! On adore nos bars ambiancés en France, surtout l’été venu, et rien ne semble comparable à une planche de charcuterie et un bon verre de vin au soleil. Eh bien… ça se discute ! Les pubs sont les endroits les plus cosy, fun et conviviaux que je n’ai jamais connus. Si l’ambiance n’est pas aussi folle et amicale qu’en Irlande, on n’en est toutefois pas loin.
Ici, on les trouve partout, à chaque coin de rue, dans les plus petits villages, sur le bord des routes, dans d’anciens hôtels, d’anciennes églises...
Ceux que je préfère sont ceux qui se trouvent dans d’anciens hôtels ou dans ce type de larges bâtiments qui ont du cachet. Ils sont immenses, ont souvent plusieurs coins cheminées pour apprécier sa bière au coin du feu, le sol est systématiquement recouvert de moquette, rendant le tout tellement cosy. Comme on dit ici, ils « buzz » (bourdonnent) de bruit, de vie, de rires, de verres qui trinquent. On y trouve des familles qui y prennent un repas rapide, des groupes d’amis, de nanas enflammées, de collègues ou encore d’expat’ comme nous. Et que l’on soit espagnol, italien, français ou roumain, on adore ! Le meilleur exemple que j’ai est celui de T. qui rentre du travail, un soir de semaine, en lançant fièrement : « Pedro veut mettre en place une activité sportive entre collègues pour qu’on se voit tous un peu plus en dehors du travail, tous les mercredis soirs. Ca commence ce soir. On va au pub !» Ok, je signe ! Eh ouais, ici le lever de coude est un sport national !
Le pub c'est notre incontournable du weekend. On s’y sent tellement bien. A deux, entre expat’ européens, à trois avec notre pote qui vit ici, à refaire le monde, à raconter nos voyages, à parler des anglais qu’on adore et qu’on déteste à la fois, à parler de tout et de rien. Si une virée au pub est prévue le soir, elle égaye ma journée. Non je ne suis pas (encore) alcoolique ! Parce qu'on va rarement au pub sans manger, soit un bon gros burger, ou un fish and chips, ou encore des "sides", sortes d'apéritifs à partager (onion rings, frites, nachos, étant le plus courant.)
Les gentlemen
Et oui, James Bond, ce n'est pas un mythe. Désolé de vous briser le cœur, mes chers compatriotes, mais non, les français ne sont pas plus gentlemen que les anglais ni les rois en la matière! Ici, on passe de This is England, la canette de bière à la main, le « fock» à chaque phrase, à James. Costume impeccable, chapeau éventuellement, coiffure au millimètre, accent parfait, qui nous tient la porte avec un sourire Colgate et nous inonde de bonnes manières so British. Et là on fond. Et on aime les anglais, surtout les anglais mâles. On les regarde et on retombe dans ces vieux films qu’on adore où ils débarquent devant un château, dans une cour impeccable, dans la campagne anglaise, en sortant fierement de leur Bentley Continental. On pense à Mark Darcy dans Bridget Jones (pas quand il porte son pull de Noël, non non) et on fond encore. On A-DO-RE !
La campagne anglaise

Les maisons en brique rouge tristes et moches à mourir, les banlieues identiques avec leurs rangées de maisons tout aussi identiques, les quartiers londoniens mal famés, le ciel gris, le crachin, les parapluies. Ca vous rappelle quelque chose ? L’Angleterre, c’est ça ? Eh bien non, non et non ! C’est une infime vision de ce pays, qui est certes réelle mais tellement réductrice. Alors la meilleure chose à faire, c’est fermer ses oreilles en cours d’anglais et ramener ses fesses ici. Je ne dis pas que ce genre de paysages est pour tout le monde et je dois avouer que de toutes les nations du Royaume-Uni, l’Angleterre est clairement la moins belle, sauvage, impressionante. Si on la compare à l’Ecosse, au Pays de Galles ou à l’Irlande du Nord, elle perd largement. Mais elle a tellement à offrir, et c’est tellement différent.
Je ne me lasse pas de sa campagne. Chaque fois qu’on s’y promène ou que je la traverse, en van ou en train, j’en retombe amoureuse. Mon cœur se serre, et je suis tout simplement heureuse d’avoir la chance d’être ici et de voir tout ça. La beauté est partout et l'Angleterre n'est pas une exception. La campagne anglaise je l’aime surtout car j’aime l’histoire et qu’elle la rappelle partout, sans cesse, à chaque village, chaque coin de rue. Elle raconte son histoire, nous chuchote des contes moyenâgeux et nous procure l'immense honneur de marcher dans les traces de nos vieux vieux ancêtres.
Il y a quelque chose de rassurant, qui nous enveloppe, dans la campagne anglaise. Ces champs d'un vert immaculé, presque irréel, à perte de vue, habillés çà et là par de vieilles maisons immenses, tous ces châteaux impeccables ou datant carrément du Moyen-Age, tous ces murs de pierres qui délimitent les champs et dessinent une campagne presque parfaite, ces pubs sur le bord des routes ou dans de vieilles églises.

Les églises sont partout d'ailleurs, et de styles différents.
La campagne anglaise raconte son histoire, vieille de centaines de siècles. Elle nous transporte. Et je ne parle pas du bord de mer, de ces hôtels qui la surplombent, perdus au milieu des bois!

L’Angleterre est indéfinissable, comme la plupart des pays. Elle est bien trop complexe, contradictoire, complète. Mais elle est bel et bien comme ce vieil ennemi qu’on apprend à aimer, pour lequel on ne peut s’empêcher d’être envoûté. On a finalement grandi ensemble, avec ce voisin que l'on aime ou qu'on déteste, avec sa famille royale, son histoire compliquée de nations dans un seul pays. On l'a détestée quand elle nous a lâchement quittés.
Bien que je ne m’imagine pas passer ma vie ici, et que je pense au Brexit, comme tous les français employés au Royaume-Uni, que la relation entre nos deux pays est très spéciale, l’Angleterre est devenue une seconde maison. C’est aussi l’endroit où l’on construit une vie active à deux pour la première fois, sans réelle deadline cette fois. J’ai appris à l’aimer comme elle est, avec ses défauts. J’ai appris à me fondre dans sa masse, à pratiquer ses coutumes, à ne plus penser aux miennes, à apprécier la vie qu’elle m’offre. A l’aimer même, à ma façon. Surtout quand je la vois avec mes yeux émerveillés depuis le van ou le train et que ces derniers m’emmènent là où elle a le plus de sens pour moi. En dehors des villes.
Quand je regarde les films ou séries britanniques et que j'aperçois ces châteaux so British, cette campagne immaculée, ces vieilles bâtisses en pierre, je reconnais la maison, ma maison.
Je lève donc ma bière à toi, Angleterre, ma meilleure ennemie. A tous nos souvenirs, et à tous ceux que nos deux pays partagent depuis des siècles et des siècles et des siècles. Cheers!
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